Femmes de l'ombre

 

Livre broderies d artistesTitre / broderies d'artistes

Intimité et créativité dans les arts textiles de la fin du XIX° au milieu du XX °siècle

Auteur : Danièle Véron-Denise

Silvana Editoriale -cité internationale de la tapisserie d'Aubusson.

2018

en français

 

Livre en trois parties après  diverses présentations, une  partie éclaire avec beaucoup de photos  les notions techniques de tapisserie à l'aiguille (ce qui n'est nullement inutile pour qui ne la pratique pas ou de manière dilettante !) et même les brodeuses confirmées apprendront par exemple l'existence du "point de Nantes",Il est à noter que les applications sur étoffes sont rangées-là ... alors que c 'est tout autant sinon davantage du patchwork (j'y reviendrai car ce point me titille!) .Il  est vrai: patchwork et appliqué sont rattachés tantôt à la broderie, tantôt à la tapisserie . Et le mot "patchwork" continuant de susciter des ricanements absurdes, il est évident qu'il vaut mieux, pour l'aura de l'activité "appliqué" la rattacher à la noble "tapisserie" .

La seconde présente donc les  artistes et leurs  partenaires d'exécution textile  et la genèse des oeuvres est developpée aussi -c'est sans doute à mes yeux, celle qui nous apprend le plus tant elle est fouillée et précise  , parfaitement documentée - comme l'ensemble du livre du reste.

La dernière est le catalogue des oeuvres textiles  exposées .

Les oeuvres présentées dans ce catalogue d'exposition sont donc  souvent "duelles"...Il s'agit de rendre hommage aussi  aux compagnes de grands artistes textiles (brodeurs et tapissiers surtout) et de montrer leur importance dans ce travail de l'ombre, si on peut dire, car elles n'ont évidemment pas souvent laissé trace dans l'histoire de l'art autre que fugitive  et "au service" de leur  mari, fils, d'amant ou de compagnon...ou en tout cas elles sont beaucoup moins connues -à part des spécialistes! Et, je souligne, ledit compagnon n'est pas non plus toujours  très connu, non plus.

Chaque parcous est détaill , de manière extrêmement précise , avec détails sur les techniques utilisées , et aussi la mention d'oeuvres disparues.

Je ne peux résumer le parcours de tous ces  artistes et de leurs "interprètes"  et j'invite à lire le livre qui est passionnant sur le sujet . Je focalise(arbitrairement!)  sur ceux qui ont retenu mon attention par une opinion ou une réflexion sur l'art textile en duo  qui  me porte à méditer et sur cet art , et sur le rôle et la place et...la reconnaissance surtout des femmes dans un art  moins  prestigieux que la peinture ou la sculpture  notamment .

Emile Bernard  selon les auteurs broda un peu lui-même réalisa  un tableau intitulé les Bretonneries (en patchwork) IL fit broder  ses oeuvres -à grands points drpits le plus souvent- par ses diverses compagnes : Maria dont le nom de famille est resté inconnu, Haneanah Saati et Andrée  Fort soeur du poète Paul Fort . Oeuvre dont on nous dit qu'elle reste mal connue .  L'article conclut "aucune pièce ne figure dans un musée français" ..Et à voir les oeuvres en question , c'est bien dommage !

Aristide Maillol (qui fut tapissier et céramiste avant d'être sculpteur ) écrivit : "J 'ai inventé un point très simple (le point lancé! )  de telle façon que je  puis faire exécuter mes tapisseries par les femmes les moins intelligentes "-sic - ! mais il appréciait quand même que ses ouvrières aient été " très jolies". Il abandonna la tapisserie en raison de problèmes de vue et devint le sculpteur que l'on sait ; sa compagne Clotilde Narcis lui servit de brodeuse et de modèle et devint sa femme.
 

  On connaît bien Jean Lurçat pour ses tapisseries tissées, on sait moins qu'il s'intéressa aussi la tapisserie à l'aiguille  en créant des cartons pour "canevas" , sa mère fut l'exécutante de sa première broderie . Il est noté que la tapisserie  à l'aiguille a des exigences propres et justement celle qui l'interprète n'est pas dans la simple exécution (il faut penser la surface en matières et en points sans parler des couleurs qui ne jouent pas de la même façon sur les points que sur de la peinture)   Il semble notamment que Marthe Hennebert qui broda  beaucoup des tapisseries à l'aiguille du maître et  qui fut amie du poète Rilke, puis  l'épouse de Lurçat  ait été bien plus qu'une simple exécutante .Il s'agit bien de donner vie et une vie textile à un carton  qui est un dessin essentiel certes mais il existe une part indéniable de création par points et fils dans le passage d'un art à un autre.

La compagne de Roger Bissière dite Mousse  -les tapisseries de Roger Bissière sont des patchworks d'appliqués -mais on dit tapisseries puisque le mot patchwork reste, hélas dépréciatif- elle, créait carrément ... en composant avec des étoffes choisies par son partenaire. j'avoue avoir un coup de coeur pour  ces tableaux-là. Et ce sont même les rares patchworks que les musées accueillent , -(il suffit de ne pas  dire  que ça en est et surtout qu'il y ait un grand art exercé comme caution artistique du travail d'étoffes. Le travail d'étoffes seul lui,  surtout si c'est du patchwork, s'avouant tel,   n'est pas considéré de la même façon , surtout s'il est hors courant et intelligentsias.

Pourtant Bissière lui-même écrivit :" Le tableau qu'il soit à l'huile, à l'eau ou qu'il soit fait d'étoffes, de ciment ou de la boue des chemins n'a qu'une signification  la qualité de celui qui l'a créé".

J'ajouterai : ou de celles et que les celles en question  ont  été à travers les siècles étellement plus nombreuses à créer avec fils et étoffes pas seulement à reproduire ou interpréter  des modèles  ... qu'on aille y voir , bon sang qu'on aille y voir !

Dans cette partie Jeanne Kosnick Kloss  Freundlich est la seule a être présentée comme  créatrice "à part entière" encouragée toutefois par son mari l'artiste   Otto Freunlich qui périt en camp de concentration . On la connaît surtout comme peintre , mais elle a  créé dans d'autres disciplines avec bonheur et réussite y compris celui du chant lyrique. Son Apthéose des couleurs est une tapisserie brodée magniqfique.

il faudrait citer aussi :

Paul Eliee  Ranson et France Rousseau, Laure Lacombe.

Fernand Maillot et  Fernande Sévry

Paul Deltombe et  Yvonne Berthault

Georges Braque et Octavie Eugénie dite Marcelle Lapré

 Henry de Waroqiuier et Marie Joséphine Louise "Suzanne" Plassard

Bernard Pomey et Madelene Biardot dite Manon et un dernier chapitre intitulé : et quelques autres (prmmi lesquels Blanche Ory Robin (qui créait seule

et Sophie Tauer-Arp dont il est dit qu'elle créait tellementet en symbiose avec Jean Arp qu'il est impossible de savoir qui a créée quoi (et sans doute inutile !)

Et j'en ai sûrement oublié !

Et on conclut par un chapitre sur le rôle de ces femmes insistant sur leur  qualité d'interprètes  et la part active prise à l'exécution de l'oeuvre.

 Ce livre est  magnifique et il nous apprend énormément sur une partie peu connue de l'art textile..Les photographies sont également de grande qualité.


 Je suis pour ma part  dans une position plus militante ... on le sait.

 J'aimerais qu'un travail soit fait sur les artistes femmes qui créent seules leurs surfaces textiles,  en commençant par une étude des oeuvres qui ne soit plus uniquement histirique ou de technique, mais s'interroge et interroge sur l'expression artistique qui s'en dégage. Il est vrai : très peu de personnes en France   semblent juger que c'est nécessaire et même simplement pertinent ("c'est comme ça depuis des siècles et donc si c'était vraiment un art,ça se saurait"et autres arguments aussi peu fondés .)   Et dans ses parties les plus ignorées (comme le patchwork, la tapisserie à l'aiguille ou la  broderie  de création- création en broderie pas forcément en dessin ! )on en est très loin.

On est toujours dans l'optique pour être artiste en art textile il faut à côté avoir exercé un grand art (  ou l'execer en imitant les grands arts),  ou encore être la compagne de quelqu'un qui exerce un grand art . Seule dans son coin notre  "anonymous woman" reste niée et dans sa création et dans son expression personnelle, on lui concèdera toujours un bel ouvrage et  :"ah quel travail !"  qu'on sert aussi à celle qui ne crée pas . Au pire on lui préferera la parfaite exécutrice virtuose d'un kit difficile.

Ce livre fait la part belle au travail des interprètes (et dans ce type de passage d'un art à un autre il y a effectivement ue grande part de création pas uniquement technique  L'auteur fait une comparaison avec l'artiste interprète en musique .Et sur ce point  la comparaison est juste : il s'agit de donner une vie textile  au carton d'origine.. Il ya création donc dans le passage d'un art à un autre et création à part entière,  surtout quand  l'interprète y introduit des modifications qui viennent d'elle, de ses décisions propres.
Je soulignerai toutefois  que si une composition musicale a besoin d'interpètes pour être entendue, un carton a besoin  d'interprètes textiles pour exister en tant que pièce unique, on donne vie à quelque chose qui n'existait pas , une oeuvre en kit ou en modèle style "pas à pas" à suivre, non :  on refait  ce qui existe déjà . C'est rappelé aussi dans ce livre et c'est bien.

Le livre souligne aussi que, pour beaucoup d'oeuvres, on ne sait pas on où elles se trouvent et en quel état .Alors pour des complètemet anonymes vous pensez !

Les oeuvres textiles, il est vrai,  exigent une manutention coûteuse et dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres on ne fait d'efforts que pour ce qui est ancien ( ou au contraire dans la dernière mouvance au goût du jour ) . On conserve mieux  les échantillons d'étoffes du patrimoine industriel -et on a raison- que les oeuvres créées avec des tissus et des fils.  Il faudrait un travail d'indexation et un travail honnête , reconnaissant sources, emprunts. Et des analyses côté art à visée expressive et esthétique pas seulement technique ou historique. Seul  moyen que ça glisse un jour côté  culture générale et non oeuvres qui n'auraient d'intérêt que pour les   spécialistes .. Comment savoir si on refuse d'aller vraiment y voir ?

 

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