Une découverte historico-littéraire

 J'aime flâner chez les bouquinistes y compris ceux en ligne . c'est là que cherchant autre chose (souvent des vieux livres de broderie !) je tombe sur une couverture style roman populaire ou de colporteur (la maison de mes parents en abritait un bon nombre) vous savez de ces textes qui étaient lus, parfois par beaucoup de monde -mais hors intelligentsias et parisianisme- à la fin du XIX° siècle et au début du XX° .

 Le titre déjà était accrocheur : comment? pourquoi ? Journal d'une calomniée . Particularité le texte est anonyme. Un texte anonyme publié dont  l'auteur semble être une femme , voilà qui était déjà intrigant.

N'eût été que  cela, je ne m'y serais point attardée . Mais il y avait aussi le scan de deux pages . Et les lisant j'ai ressenti comme un appel voire un choc. Le style d'abord sans fioritures .Direct. J'oserai dire presque actuel si les auteurs qui écrivent pour "témoigner"  de nos jours, savaient aussi bien manier notre syntaxe .et usaient d'un vocabulaire plus étendu. 

 Dès que j'ai lu le livre, j'ai été confirmée dans ma première impression, aucune faiblesse dans aucune page.  Une fermeté de plume, d'analyse, de soi, des proches,  de la situation  même dans les égarements de la souffrance  parfois hallucinatoires.

L'éditeur Felix Juven  dans la présentation dira avoir reçu ce manuscrit anonyme signé de "trois larmes" -sic' et avoir décidé de le publier pour ses qualités littéraires, mais aussi pour donner parole à qui n'avait pas été entendue. Il a eu amplement raison , à mon avis. Il fait aussi allusion à une "affaire".  L'édition date de 1905.

 Ce journal est plutôt une confession qui prend la vie de la narratrice à ses débuts de femme. Veuve avec une fille de 11 ans elle a épousé un professeur d'histoire, doté d'ambition politique. Un amour qu'elle décrit sans ambages, une sorte amour vache, dirait-on aujourd'hui , mais qui selon elle, persiste malgré sa "jalousie". Fondée semble-t-il.

Elle se décrit sans complaisance, ce qui est déjà remarquable, et sans fausse modestie; non plus.

Elle reconnaît ses ambitions , qui sont grandes . "Je suis belle" écrira-t-elle plusieurs fois mettant en regard les descriptions peu flatteuses de la presse à scandale de l'époque. Car cette femme se dit mêlée à un crime , qui pourrait être politique ...Son mari a été retrouvé mort asphyxié dans son cabinet. Il est question aussi de détournement d'argent; et de relations incestueuses entre le mari et sa belle-fille.D'autres turpitudes aussi de la part du monsieur.  Les pages où sont analysés les sentiments ambigus et contradictoires, fluctuants surtout,  de cette mère -qui se dit froide- envers sa fille rivale mais rivale aimée et aimante toutefois, mal mariée elle aussi ,les cheminements d'une âme partagée entre colère et acceptation presque pour son "confort",  sont à mon avis ce qui plaide pour l'authenticité de ce texte (et d'une lucidité remarquable dans l'analyse de ce qu'on appellerait aujoud'hui "ressenti".)  La veracité des détails aussi quand elle décrit la reconstitution du crime .Un esprit très caustique aussi à l'égard des milieux qu'elle fréquente.  La manière dont elle déchire une rivale potentielle traitée de bas bleu "elle a tant marché qu'il  lui en reste des varices qu'elle couvre de sa littérature) p 88

 

 La narratrice ne mâche pas ses mots,entre vitriol et scalpel fût-ce à son égard, à elle.  On la sent aussi osciller aussi bien envers son époux que sa fille entre une rancune parfois haineuse dictée par la jalousie -elle ne le cache pas, ne se dédouane pas - et un amour quasi addictionnel . L'époux, lui est décrit comme à  double  visage ce qui reste très crédible , homme honorable et admiré  désigné  même comme un "héros" sans qu'on dise nettement pourquoi , mais sur le point d'être lâché par les siens car frôlé par deux scandales un soupçon de détiurnement de fonds et ce  soupçon d'inceste. Cela a suffi pour qu'on conclue au suicide "probable" .  .Mais ledit époux donc   tripoterait sa belle fille (elle avait 11 ans lors du mariage de sesa mère) et sa femme dit l'avoir surpris dans des ébats ancillaires (elle s'afflige moins d'être trompée que du mauvais goût de son mari !)   Bref l'époux meurt, on le retrouve asphyxié près de sa cheminée, mais dès avant le fait , l'auteur de cette confession haletante  fait état de ce meurtre dont elle se dit "accusée" . Et le but du livre est donc d'expliquet "comment" et pourquoi c'est possible car selon elle son mari n'a pas été assassiné (quoiqu'un moment on  soupçonne ses adversaires politiques)  mais il ne s'est pas non plus suicidé. Alors comment ? pourquoi ? il faut attendre les  dernières pages pour le savoir, selon du moins la  version de ce livre singulier et bien que le texte soit difficile à trouver, (il reste trois exemplaires chez un vendeur américain de livres d'occasion) je ne veux pas gâcher la découverte de lecteurs éventuels. L'explication fournie est du reste psychlogiquement  plausible , mais ....personne ne l'a crue.

A partir delà , j'ai evidemment voulu savoir d'abord si c'était une histoire vraie .Une telle relation aurait pu être inventée et demandée par l'éditeur à un écrivain professionnel (l'histoire devait être "vendeuse")  , et même si c'est le cas , reste que je me demandais, aussi et surtout  de quelle affaire  il  s'agissait. A quoi ce texte fait-il allusion ? Car tout y est crypté . Les prénoms sont changés, les noms propres sont voilés (elle use de périphrases)  sauf le chimiste Berthelot et Zola évoqué dans un  détail assez cru ...  J'ai donc cherché trace en vain dans la presse écrite de l'époque . Je suis arrivée  à identifier le "tyran" c'est à dire Emile Combes qui au moment des faits présidait le conseil depuis  1902  et le bloc des gauches vainqueur aux élections de  la même année.  Une autre édition me donna un indice : là   le texte était sous titré "la vérité sur l'affaire S.  J'ai eu l'idée   de chercher  le mode d'assassinat 'asphyxié dans sa cheminée" et là bingo : je tenais notre homme et toute l'histoire . Il s'agirait de Gabriel Syveton (Pierre dans le livre) , qui fut professeur d'histoire  et membre d'une des nombreuses ligues d'extrême droite anti dreyfusarde de l'époque (la sienne ne se voulait pas antisémite ) . célèbre pour avoir giflé un ministre de la guerre à la suite de l'affaire dite des fiches. .. L'histoire est là . Tout concorde. Les dates, les faits.

 Article sur Gabriel Syverton

 J'ai recoupé avec d'autres articles il existe plusieurs  livres d'historiens ou de journaliste sur le sujet.Aucune mention n'est faite de ce texte  qui étant publié aonymement et "à clefs" ,  pouvant  être apocryphe, n'était pas susceptible d' être pris en compte "scientifiquement." Jean Jaurès se fendit d'un article dans l'Humanité dont le manuscrit est encore en vente .. En 1934 on parlait encore de cette affaire, vu la situation , et au moment même des faits elle semble avoir largement alimenté la presse de l'époque (les "nouvellistes" dont la narratrice se plaint !!)  . On peut d'ailleurs voir sa photo et celle de sa fille sur la page de wikipédia et on constatera qu'elle n'a pas menti sur sa beauté .

Reste  ce texte, le drame de  cette femme,vrai ou fantasmé,   et de sa fille. Cette confession est émouvante sans trop sombrer dans le pathos (sauf quelques  élans dans le style déploratoire de l'époque ) . Sa vérité, à elle sur les faits, les policiers (la scène de la reconstitution du crime est un chef d'oeuvre de réalisme psychologique, ) ) . Il ya aussi en filigrane l'histoire de cette période et la troisième République  (que je connais mal ce fut  l'occasion de la revisiter) , les clivages abrupts gauche/ droite qui ne sont pas sans rappeler d'autres temps, un pays encore ébranlé par la guerre de 70 , la répression de la Commune, les luttes entre laïcs et eligieux, et surtout la récente affaire Dreyfus. Tout cela sous la plume de la probable Madame Syveton s'anime et vit. Bien des romanciers de profession sont moins passionnants que cette femme qui dit ne pas savoir écrire...

Une voix de femme qui vraie ou reconstituée donne un texte qui mériterait d'être réédité -si les droits le permettent le texte est anonyme, il est vrai et vieux de plus de 70 ans -- si possible par quelqu'un qui pourrait le diffuser. Moi je ne peux, je n'ai ni notoriété , ni relations, ni autorité, juste mon enthousiasme "littéraire"  qu'on jugera peut-être excessif ! Mais je lance l'appel ... et je suis certaine que cela se lirait aisément et que ce texte parlerait à mes contemporains!

Ci dessous quelques pages du texte pour se faire une idée.

 

 

 

 

Extraits de Pourquoi ? coment ? journal d'une calomniée Anonyme 1905 éditions Félix Juven

Syceton 1 red

Syveton 2 red
Syveton 3

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