Confidences

 

 

Je n'ai jamais voulu enseigner le patchwork (ni la broderie ), pour pas mal de raisons : je ne me trouve pas assez parfaite technicienne, j'aime beaucoup trop les irrégularités pour cela, et aussi j'ai eu mon content d'enseignement dans ma vie professionnelle .
Partager pour moi n'est pas enseigner à "faire comme moi". Pour être franche, je n'ai pas envie qu'on fasse  "comme moi"-je n'ai pas besoin de disciples et je ne me sens aucunement l'âme d'un gourou-en création comme il en pullule !- mais qu'on trouve ici et dans mes livres,  des façons de faire "comme soi". C'est une optique toute différente. J'ai appris, moi-même en lisant beaucoup de livres expliquant des parcours et des manières de faire très variées , et c'est en choisissant, laissant décanter, gardant ceci, rejetant cela-puis éventuellement y revenant- que j'ai élaboré mes pratiques. et notamment j'ai écarté assez vite le montage machine, pratiqué par à peu près toutes, même si mes tout premiers blocs étaient montés ainsi. 

Sans dé, ni tambour ...ni trompette!

 Je fais rarement "comme il faut faire" parce que mes moyens de procéder ne sont  pas ceux qui fonctionnent  pour les autres. Par exemple je couds et brode sans dé et assez souvent sans tambour sauf avec un "mains libres".  J'ai essayé, je me suis entraînée-      longuement et à plusieurs reprises-  et comme l'entraînement à faire "comme il faudrait" m'aurait pris trop de temps (plusieurs vies!) -pour un résultat "parfait" dont je ne  voyais pas l'intérêt en matière d'expression,  j'ai préféré faire autrement. Mais je ne dirai jamais à qui que ce soit de suivre mon exemple. Si ces méthodes conviennent à une majorité, c'est qu'elles ont leur raison d'être. Récemment j'ai trouvé un livre  d'une brodeuse  américaine pro qui expliquait ma façon de tendre le tissu sans tambour : je  me suis sentie moins seule...

 

 

demoiselle-photo-1.jpgBrodée sans tambour et pourtant publiée dans une revue de broderie d'art...

Je pense que parfois l'artiste doit faire taire l'artisan scrupuleux et perfectionniste et tatillon, qui sommeille en lui, et parfois l'artisan doit secourir l'artiste qui oublie  souvent dans le feu de l'inspiration  que ,sans technique, on n'arrive à rien ... mais la technique pure en virtuose pour éblouir , non .- Le salopé pour faire spontané et  "qui se lâche", non plus. Je suis hostile à tout ce qui n'est pas initié par un élan, une envie , venue du 'fond de moi".Il se peut que ce fond soit très peu profond, mais peu importe. Ce qui compte, c'est  l'accord entre ce que je veux faire, et les moyens d'y parvenir. Je ne refuse rien : je teste et je sélectionne les moyens qui s'adaptent - je dirai presque "à mon  propos", lequel varie d'ouvrage en ouvrage. Il s'agit moins de  "faire" encore moins de "bien faire"  que de "dire" et surtout "de faire ressentir" avec étoffes, mots ou images  ce qui me vient.

 

 

 Main , Machine ...et gadgets divers  ou l'éternelle querelle d'arrière-garde.

La mode en surfaces assemblées qu'elles soient quilts ou art textile , est de plus sous l'influence des américaines au travail machine qui va plus vite, serait mieux fait . Tout ce qui est expliqué en assemblage l'est systématiquement en assemblage machine au  nom du "progrès" et aussi de la rentabilité liée à la vitesse d'exécution. On oublie souvent que beaucoup de manifestations dites artistiques sont sponsorisées par les fabricants de fils et de machines, accessoires " indispensables"  (i y a des concours pour certaines marques par exemple et même des artistes qui s'engagent à utiliser un seul type de machine ou encore les tissus de tel styliste  : image d'un art inféodé à la consommation)  ) et de fait cela peut susciter des chefs d'oeuvre, c'est indéniable et le problème se situe moins-là que dans la ringardisation systématique de ce qui serait "fait main" . Les traditionnelles revendiquent la couture main par conservatisme, moi je dis qu'assembler est un acte qui comme poser des coups de pinceaux ou sculpter doit être soumis au libre arbitre de celui qui crée et lié étroitement à la création. La modernité d'une surface textile qui dépendrait du moyen dont elle est cousue, voire dont les tissus sont coupés la coupe au cutter conférant une "modernité" au résultat ...ça fait tout de même sourire, si on y réfléchit ... Je n'oppose pas le travail main plus "artisanal" à celui à la machine (du reste lequel ? Le piqué libre guidé à la main est tout autant "artisanal" ...pour moi ce qui est essentiel c'est mon rapport à l'outil et à la matière . Par exemple j'aime la machine pour texturer, non pour assembler (une autre ce sera le contraire) , ce que je tente dans mes écrits filaires et qui me semble aller plus loin et être beaucoup plus intéressant , c'est une réflexion sur les gestes de "couturière en tant qu'artiste". il ne s'agit plus, alors de "bien coudre"ou "broder à la perfection" mais d'assembler ou de broder  en fonction d'un résultat initié par l'inspiration, le désir d'avoir cette surface-là dans cet état -là.

Le  "mieux fait et le vite fait"  ne m'intéresse pas, ce que je veux, c'est être au cœur de ma matière et la manipuler à ma façon pour en tirer quelque chose .  iI me faut un contact constant et sensuel avec étoffes et fil, même quand je découpe.. Si je faisais tout au cutter sans "perte" d'étoffes, cela m'ôterait la joie immense de travailler avec les petits restes, je ne me vois pas hacher de belles étoffes exprès pour  cela. La série Nous est née de ces  "rebuts "... N'aurait-il pas été dommage, à cet égard,  que je travaille autrement ?

 

chimere-apprivoisee-2p-3.jpgla chimère apprivoisée -Série Nous-

 Le jardin du poète n'est pas tracé au  cordeau ...

De plus j'aime dans les tissus leur côté rebelle, leur faculté de s'écarter de la ligne trop droite. Je n'ai jamais compris qu'on essaie à tout prix de les traiter comme du papier ou du carton, au mépris de ce qu'ils sont. Je comprends que si, pour l'artiste, avoir une surface parfaitement équerrée ( le terme m'a toujours fait penser à l’équarrissage ! )  soit essentiel, il ou elle se l'impose. Je comprends moins qu'on en fasse un facteur de jugement esthétique et d'élimination dans les expositions collectives qui se veulent "artistiques". Des juges qui l'exigent  discréditent, à mon avis, notre art en établissant ce type de critère et discréditent  aussi sans même s'en rendre compte leur soi disant   "autorité" en la matière : autorité de couturières normatives et pointilleuses déguisée en "exigence" de qualité alors qu'il ne s'agit pas de valeur artistique mais de mesures normées. Cela non plus ne semble interroger personne : on l'admet, comme allant de soi.

Le seul avantage, c 'est que  cela a amené certaines artistes à faire des bords différents un peu chantournés, mais là encore selon des normes strictes et tout à la machine à la façon dont sont terminées les robes de prêt-à-porter (zig zag , bourdon ..) .Nickel, nickel ...par derrière l'artiste"couturière-brodeuse"  se profile souvent une image de la femme vouée à l'impeccable -sans péché selon l'étymologie... Je préfère être pécheresse, de loin ! Je suis une licencieuse poétique, qu'on se le dise!

Je ne plaide pas pour un travail salopé où tout semble mal foutu, mais pour la petite entorse qui humanise ou un grand bordel voulu pour dire autre chose que ce consensus au bien léché où rien   ne dépasse.. C'est tout différent . Je peux dire d'ailleurs que mon quilt le plus mal foutu à cet égard Miettes, est de loin celui qui a eu le plus de succès de tous mes ouvrages parus, et au fond son côté "mal foutu" s'assortit bien à la surface elle-même, ça lui donne un petit côté "art premier" ... Sourire

 

Miettes jacqueline fischerMiettes le "bien-aimé, mal fichu ..."

 

Des goûts et des couleurs , on peut en discuter... justement

Les couleurs : on a souvent compris que je disais qu'on pouvait mettre n'importe quoi,  n'importe comment , lorsque j'écris qu' utiliser la roue des couleurs ou autres procédés abondamment expliqués dans nombre de livres ne m'est pas absolument nécessaire -bmême si j'ai écrit aussi qu'il ne fallait pas l'ignorer ! - Trouver ses propres harmonies ne veut pas dire mettre tout et n'importe quoi n'importe comment mais tout précisément le contraire. Il y faut un gros travail et sur soi-même, et d'observation autour de soi. On peut tenter la cacophonie expressive, mais les libertés qu'on prend ne seront convaincantes, pour qui regarde, que si c'est assez fort pour entraîner l'adhésion - et c'est rarement le cas quand, une fois de plus, cela vient d'un parti-pris de se différencier et non d'une émotion intérieure.Cela n'exclut pas la spontanéité. Mais il en existe à mes yeux deux types : une qui est un peu naïve et paresseuse, qui consiste à croire que toute création "personnelle" est forcément réussie de ce point de vue "si on se "laisse aller" , une autre est de suivre ce que j'appelle "ses sources profondes". On n'obtient rien de valable, je crois en restant en surface, en suivant des recettes, sans les rapporter à ce qu'on à soi-même à dire. Ni même en faisant systématiquement le contraire de qui est prôné ce qui est encore une manière de suivre ... mais à l'envers. 

L'intuition, l'instinct sont le contraire de cette spontanéité naïve : il n'y a pas d'instinct qui ne soit mâtiné par notre expérience ...si vous voulez pour moi c 'est simple : il faut que ça chante en moi et que la musique soit douce ou violente, triste ou gaie c'est cette ligne mélodique qui m'inspire. Je crée mes textiles en poète "musicienne" de sa langue. Je ne dis pas que c'est réussi, c'est  ce que j'essaie de faire. Mais c'est au moins profondément sincère et honnête. Mon but n'est pas l'originalité que je laisse aux ambitieux et autres  "m'as-tu-vu ", mais l'authenticité. C'est exigeant, c'est difficile à partager, aussi, je m'en rends compte.

Ne pas chercher à faire comme les autres, mais ne pas chercher non plus à se démarquer systématiquement des autres .... être soi , prendre ce avec quoi on a des accointances, le creuser aussi loin qu'on peut , ne pas l'abandonner parce que tout le monde autour dit que ce serait dépassé - pour y revenir quand  ce sera de nouveau tendance - continuer son ou ses chemins sans se laisser trop décourager - même si mon parcours dans le monde de l'art textile et du patchwork est, vu sous certain angle, un échec total - car pour réussir je veux dire intra "corporation" - il aurait fallu que je me renie, en quelque sorte ou que je fasse des choses que j'aurais détestées faire et dans lesquelles je ne me serais pas reconnue, même si je peux en admirer le résultat chez les autres. Il  aurait surtout fallu dans certains cas que j'adopte une mentalité qui me met mal à l'aise.

 

Le tissu ne sort pas d'un tube de peinture....

Un point que j'aimerais souligner.

Sauf à peindre sur ses tissus ou les imprimer,  ce qui est tout autre chose, un tissu déjà fait ne  mêle pas aux autres ses couleurs comme sur la palette d'un peintre. Or,  on parle de plus en plus des œuvres textiles comme si c'était la même chose. Il est vrai  : si peu connaissent notre art sous cet aspect !  Alors que le peintre lui, mélange les pigments, nous, nous devons donner l'illusion de ce mélange, de ce passage d'une teinte à l'autre, Il  faut  parfois que l'oeil, regardant deux choses, en capte une , et c'est pourquoi les dessins  sur les étoffes sont aussi importants .  Les motifs y aident , ou au contraire contrarient cette tentative de mélange. Il faut parfois marquer la frontière entre les étoffes et parfois la faire oublier .Quand on utilise énormément de couleurs et de petits bouts déjà marqués de signes, cela devient vite une sorte de labyrinthe interne. C'est un art , d'apprendre ce "mixage" et c'est un art difficile.  Il existe très peu de livres en français incitant à regarder les motifs sur les étoffes , à réfléchir  au plus simple : comment les faire "fonctionner" ensemble. Et pas seulement esthétiquement mais expressivement.  Cela exclut déjà qu'on  travaille avec une gamme préétablie pour" faire joli.".Pour moi c'est cette composition-là qui nous est particulière, fondamentale. C'est aussi cet aspect-là qui  est de tous, le plus dévalorisé, car il n'est  pas ou  presque plus travaillé par les grands artistes actuels qui préfèrent peindre, teindre, feutrer ou texturer ou carrément créer leurs propres gammes d'étoffes.Souvent   on  y a   recours "dans les débuts" et puis on explique qu'ayant découvert le "vrai art" - celui qui ressemble à ce qu'on voit dans les autres arts, dans galeries et musées- on a   "evolué" , voire "progressé". Je n'ai jamais compris qu'on se lasse de cet aspect-là qui fut tout de même le fondement de notre art.

A ce stade on sent qu'il faut absolument abandonner deux choses: la géométrie régulière ou symétrique et l'usage des petits imprimés, jugés niais, on ne sait pourquoi. C'est à dire qu'on a affaire à un art qui avance en se reniant . Et en méprisant en partie son matériau initial. Curieux phénomène ...Or précisément ce qui m'a toujours passionnée  et ayant tellement à dire avec les deux (la géométrie et les tissus)   je ne puis moi y renoncer, je ne puis adhérer à une sorte d’histoire de l'art textile refaite en allant vers ce qui  l'approche de  ce qu'il n'est pas : de la peinture. même si les croisements entre les deux formes d'art sont parfois passionnantes, il reste à respecter le fait que l'invention est toujours possible dans ce  que je nomme "l'art premier" fondateur, d'assemblage d'étoffes. Il faudrait cesser de le percevoir comme un stade à dépasser, alors même qu'il existe si peu de réflexions vraiment fondées sur les qualités propres à cet art-là !

 On peut percevoir ce que  je veux dire encore mieux en comparant dans ce détail  du quilt Le jardin de l'abeille le schéma couleurs transformé en peinture numérique pour donner l'aspect peinture justement,  et l'oeuvre textile où l'intérêt porte sur les passages d'une étoffe à une autre,  par les nuances et les motifs.

Jacqueline fischer le jardin de l abeille detail

Si on pouvait regarder non pas seulement le travail de couture mais la manière dont les imprimés sont agencés, on comprendrait ce que je veux dire, un peu, sur cet art d'assortir les étoffes.

 

Composition académique ou expressive ?

Même chose pour  ce qu'on nomme la composition. Il y a des "trucs" et des recettes , des types de composition soigneusement analysés, des livres entiers qui vous permettent de "faire comme" . On le peut,  comme entraînement par exemple. Mais il y a des personnes qui   s'imprègnent par le regard de tout ce qu'elles voient.  Le mixage est aussi intérieur : il s'agit de digérer ce qu'on a vu, de s'en nourrir non de le restituer façon régurgitation ... et comme pour les couleurs il y a une composition esthétique, voire esthétisante, qui repose sur un équilibre ( et même plusieurs ), cela aussi est détaillé dans pas mal de livres,  et cela ressemble  très exactement à ce qu'on  trouve dans les livres pour apprendre à peindre ou dessiner. Rien qui vraiment fasse un sort au tissu en ce qu'il est : tissé et parfois imprimé.

 L’équilibre d'une surface géométrique à lectures multiples exige aussi que on tienne compte  de la profondeur, cela se passe à des niveaux différents de perception   : celui des formes du plan,  celui des motifs sur les étoffes, celui des rajouts-broderies matelassage. On l'oublie souvent.bDans un quilt à structure dite "classique"  le regard  s'enfonce et  va du général au particulier de l'ensemble au détail et ainsi de suite. C'est pourquoi on ne peut pas l'analyser tout à fait comme une peinture, pour la composition d'ensemble oui, ( mais alors on pourrait choisir la photographie comme référent tout aussi bien ! ). Il faudrait oublier cette référence, par moments car une personne qui compose avec des étoffes travaille un  medium tout différent ...plus exactement il faudrait regarder comme une peinture pour l'importance artistique - la "valorisation"- mais comme ce que  c'est -du patchwork en tissus - pour le reste. Et pour cela il faudrait que les personnes habilitées à juger, jauger et critiquer aient tout de même une idée de que ce nous faisons quand nous créons en étoffes imprimées disparates. Sinon on tire à côté, si j'ose dire. Or,  on est jugées en couturières au pire, ou en peintres au mieux  , jamais pour ce que nous sommes précisément  : des assembleuses de tissus variés et dépareillés. Et je passe sur toutes celles qui ne créent pas et omettent de le préciser et sur celles qui créent et s'imaginent que créer c'est être automatiquement artiste. Mon premier quilt était une  création intégrale et je n'aurais pas le culot d'appeler cela une oeuvre d'art .

 

Premier quilt 001mon premier quilt où la preuve qu'une création n'est pas forcément artistique

 

 

Du bon usage des livres et revues......sans parler des "modèles" !

Ce qui amène à l'usage des livres. Je ne les achète que rarement en vue d'un "usage", j'ai besoin de telle technique , je peux la trouver sur le web . Ce que  j'attends d'un livre c'est de me faire rêver à d'autres univers textiles que le mien , de m'infuser, de me nourrir de leurs inventions, de leur beauté, de leurs trouvailles .  Je n'aime pas forcément toutes les oeuvres qui y sont présentées, je ne suis pas forcément en  osmose et en extase  non plus avec les façons de créer suggérées. Les inévitables pas à pas sans lequel l'artiste ne trouverait pas d'éditeur- j'en sais quelque chose - ne me servent pas à grand chose je n'ai pas envie du tout de reproduire ni même d'interpréter. Les idées que cela me donne ne sont jamais directes. Elles se recoupent avec bien d'autres sources.

 Si j'étais professeur, je conseillerai de regarder des surfaces ou objets textiles et de faire comme pour les tissus : s'arrêter sur ce qu'on aime, qui vous attire, oser écrire aussi ce qu'on n'aime moins, ce, avec quoi on n'est pas "en accord"et chercher pourquoi . Cette précaution amène à se connaître soi-même dans son  propre rapport avec les tissus. Le sien pas celui du "gourou" ou de la copine de club ni encore de l'auteur du livre si "bluffant" qu'on vient de lire. . . . je dirai de se méfier des engouements passagers.Or nous sommes dans une optique où quand un ou une grande a parlé, on voit une horde de thuriféraires l'approuver, l'encenser et vouloir faire comme , espérant récolter des lambeax de sa glmoire (et de fait beaucoup d'artistes dit "novateurs" sont des suiveurs astucieux,ambitions et espérant profit et retombées posituves syrfabt sur une vague. Je préfère l'immensité de l'océan quitte à n'y être qu'une goutte d'eau, à ce compte.

J'ai coutume de dire qu'un artiste est souvent mauvais professeur quand il est si totalement immergé dans ses visions qu'il ne peut plus voir le monde autrement qu'il le retransmet transfiguré à sa mode. Et si c'est un artiste pâssionné , il aura du mal à se détacher de son propre parcours. C'est pourquoi les stages devraient se borner à transmettre des techniques et non l'esthétique du "maître" qui lui appartient. On ne trouve pas ce qui nous appartient en propre en démarquant surtout une personnalité si forte que celle d'un "maître" ! . Même si on me dit que c'est de l'humilité. Possible , mais cette humilité-là cautionne beaucoup de "valeurs"et de comportements auxquels je n'adhère pas. Notamment quand cela recoupe un manque d'imagination et de recherche tout personnels et qu'on  on s'abrite derrière le génie qu'on suit en groupie ... on est à peu près sûr que faisant dans le "style de" il en rejaillira bien quelque parcelle sinon de gloire au moins de reconnaissance . J'ai vu trop de personnes s'accrocher au renom de tel ou telle comme une moule sur son rocher, pour ne pas être sceptique sur cette humilité-là , quand il s'agissait surtout de se bâtir un réseau d'influences, on trichait et avec soi-même aussi le plus souvent ,déguisant son propre désir de percer sous l'admiration, voire le  cirage de bottes...  Petits arrangements avec la vanité et la gloriole. Je m' y sens totalement étrangère. Et bien sûr de ce fait le disant, certaine de ne pas me faire beaucoup de relations par ce moyen.  C'est un choix que j'assume, mais assuler ,ne veut pas dire qu'on trouve juste l'exclusion qui en découle, quasi automatiquement. Qu'on me comprenne : je ne  me plains pas, j'établis des constars de ce qui semble dysfonctionner. Je sais ne pas être la seule à en pâtir (combien de fois on m'a écrit  que j'exprimais ce qu'on n'arrivait pas à dire !)

De l'inspîration et de l'imitation

Il se peut,  qu'avant un grand nom  ou en même temps  que lui, vous ayez  abouti à des oeuvres qui  ressemblent à ce qu'il ou elle a fait ( dans ce cas tant pis pour vous, on dira toujours que vous avez subi l'influence de ... ) Cela m'est arrivé deux fois. J'écris souvent que j'ai été influencée par Kaffe Fassett et Deidre Amsden. C'est vrai et  c'est faux. Quand mon mari m'a offert fin 1998 un livre de Kaffe Fassett j’avais déjà effectué  toute une recherche autour de tissus et couleurs qui ne lui devait rien. Par exemple le quilt Facettes élaboré en 1992 ne pouvait être influencé par un artiste que je ne connaissais pas, pas plus que mon premier quilt Jardin débuté lui aussi aux débuts des années 90. Pourtant, quand j'ai montré ces deux quilts on m'a  dit que je m'étais "inspirée" du maître.  Mes quilts jardins eux doivent pas mal aux Colourwash de Deirdre Amsden, en revanche et je le dis sans hypocrisie. Mais si on regarde mon Confiseries terminé bien avant on verra que je travaillais déjà dans ce sens, et ce n'est pas parce que je suis inconnue que je dois minorer mes propres recherches et découvertes.

Je sais que l'argument de la coïncidence d'inspiration sert souvent aux véritables tricheurs pour se dédouaner. Mais une démarque sans "jus" personnel se voit, parce que tout est affaire au fond de force de la personnalité, si on n'en a pas, on est condamné à   se parer des plumes du paon en faisant croire qu'elles viennent de vous pousser pendant la nuit .., que tout le monde fait comme ça etc ...ce type de médiocrité me laisse pantoise. J'ai croisé aussi des personnalités fondamentalement malhonnêtes,    avouant toutes leurs sources sauf ...quelques-unes  bien ciblées, pour évidemment, des ouvrages importants et publiés, et plaidant l'oubli (l'amnésie salvatrice !) pour quelques autres. J'ai vu tant de petites magouilles et de mauvaise foi  pour tenter de  faire croire qu'on avait tout trouvé   toute seule ! C'est plutôt pathétique. Mes idées je ne les trouve pas toute seule au sens que j'ai conscience de ce que je dois à ma culture en textile et au travail des autres , mais j'espère qu'à travers elles, on voit ce  que je suis en tant qu'être humain singulier - mais ressemblant à d'autres.

 

Réfléchir, c'est pas  prise de tête....

 

Je n'ai  jamais opposé le travail manuel au travail dit intellectuel. J'ai toujours pratiqué les deux et je  crois bien que pendant longtemps même si j'étais une très bonne élève en classe (qu'on me pardonne si on préfère les cancres de génie ) je crois que ce que je préférais entre toutes choses c'est bâtir , agencer...J'étais concrète, je le suis toujours . Mon intelligence abstraite reste verbale et c'est pourquoi les mathématiques      dans leurs  hautes sphères absconses" me sont restées fermées. A un moment ma comprenette se bloque et c'est celui où je ne peux plus me "figurer" concrètement ce qu'on me dit. En revanche j'ai de l'aisance avec tout ce qui se verbalise ou ce que je peux "mettre en dessin". Nul n'est parfait et c'est pourquoi nous sommes tous complémentaires.. .
Et c'est pourquoi  aussi les tissus et les mots.J'ai deux choses qui me hantent les mots    qui me viennent et le formes et les couleurs qui s'élaborent en des sortes de visions. Il faut que ça sorte d'une manière ou d'une autre....ensuite les autres en font ce qu'ils en veulent, aiment ou pas trouvent ça nul ou de valeur, insignifiant ou émouvant. Non !  ça ne m'est pas égal : je préfère plaire comme tout le monde, mais j'aime surtout quand je sens vraiment comprise - et ce dans la totalité de  ce que je fais -.je n'entends pas par là toutes mes oeuvres mais toutes mes valences textiles. Cela ne m'est pas arrivé si souvent, mais quand c'est le cas je sais que c'est aussi une affaire de partage avec l'autre et c'est inégalable. Ve que je déteste c'est  l'indifférence , l'absence totale d'attention "parce  que c'est du tissu et de la couture". On ne daigne même pas y jeter un oeil ! -ou pire du patchwork- donc pas de l'art.  Bien évidemment.

J'ai appris des choses intellectuellement difficiles- le grec ancien entre autres, ce que je peux guère partager 'autant que j'ai beaucoup oublié, - et je pense avoir été moins douée pour tout ce qui implique le corps, hors l'usage de mes mains, encore ne suis-je pas vraiment "adroite". Je ne suis pas une fine couturière, j'ai déjà dit que pour moi les coutures sont un mode d'assemblage pas un terrain  où montrer mon "application" et mon soin. Je dis souvent que mes mains pensent pour moi et qu'elles ont leur propre intelligence autonome, et je n'aime pas quand je montre mes quilts qu'on me parle de travail "manuel" alors que mes écrits seraient plus respectables en tant que travail "intellectuel" pour moi cette scission n'a pas plus de sens que le  cllvage qu'on nous impose depuis presque trente ans entre patchwork et art textile (elle le recoupe d'ailleurs ). Il ya travail manuel quand les mains ne font qu'exécuter, pas quand on conçoit son projet de bout en bout. Pour  l'imaginer, pour trouver les moyens de le réaliser tel qu'on l'a conçu on est dans une forme de réflexion , pas dans de l'occupe-doigts automatique.

 

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