Libre...

Etre libre pour moi c'est :

 Partir dans quelque composition textile que ce soit sans me dire: là  je vais faire du traditionnel ...  là je vais faire du contemporain ou là je vais faire de l'art textile...pratiques fréquentes à nos arts textiles et qui font ouvrir  de grands yeux étonnés aux personnes qui pratiquent d'autres arts...Sortir de cette étroitesse de vues où on vous place d'office sur des  rails. J'aime dérailler!

Ma liberté c'est de composer moi-même cette surface, à partir de ce que j'ai choisi comme point de départ. Non sans influences et toujours reconnues :  l'honnêteté pour moi participe de ma liberté, seul le mensonge enferme les tricheurs !-  -je l'ai déjà dit, je sais.

Pas faire de l'ancien pour de l'ancien ni du tendance pour être tendance, dans les deux cas  c'est du suivisme. Mais prendre à toutes les sources qui m'inspirent sans me soucier de leur date de parution sauf dans le but de m'instruire. Quand je crée, les traits, couleurs et formes à partir desquelles je compose, je me moque qu'elles datent d'avant Jésus-Christ ou de la semaine dernière qu'elles soient régulières ou irrégulières symétriques  ou asymétriques, issues d'une photo  que j'ai prise, d'un dessin que j'ai fait  ou d'un bloc déjà tracé par d'autres ...Je dis bien  un bloc qui est l'élément en noir et blanc pas la composition entière. Je le précise parce que la confusion entre les deux démarches est si courante qu'elle passe inaperçue.

Et quand je lis ou j'écris, c'est tout comme . Reproche -t-on à un roman d'être organisé en chapitres? Et cela suffit-il à le classer "classique " voire "ringard" ? Non ... même  si d'autres structures sont possibles. La forme doit venir du fond, et même du profond C'est vrai aussi des surfaces textiles.J'applique les mêmes choix à mes œuvres littéraires et textiles. Alors pourquoi estimer qu'un quilt en blocs c'est automatiquement "traditionnel "  ?.   Mes émotions d'où qu'elles viennent sont  celles d'une femme de son époque qui n'a pas commencé à la dernière seconde du dernier quart d'heure, mais porte ave elle tout ce qui l'a précédée. Pas comme un boulet à traîner mais comme une source possible de création parmi d'autres.  Est vivant ce à quoi on insuffle ou ré-insuffle sa vie propre. Il m'est égal de ne pas faire une surface jugée contemporaine du moment qu'elle est de moi, qu'elle vit et vibre de mes couleurs, de mes émotions, de ma perception de l'espace.

Comprendre cela qui est pour moi si évident semble impossible à la plupart des gens à qui je tente de l'expliquer. Et toujours ils/elles -surtout!- réduisent .  La pire réduction pour moi est d'être assimilée à celles qui imitent et fabriquent et prétendent "créer". Je sais le faire , je l'ai fait parfois, je sais la différence . Mais ma liberté ne dépend pas du degré de compréhension et d'adhésion  des gens qui me lisent, ni leur approbation éventuelle sous réserve qu'ils puissent lire une phrase de plus d'une proposition et un texte un peu long  sans zapper...  Je préfère quand on saisit exactement et si possible dans sa totalité ce que je fais, mais c'est extrêmement rare.  Et c'est la liberté des autres  de ne pas aimer . Seulement ne pas aimer une maison quand on se contente de regarder la façade ...ou qu'on juste  a visité le salon ...voire le corridor d'entrée, est-ce une opinion fondée à prendre en compte ?

 Être libre c'est choisir mes techniques comme il me semble nécessaire de le faire, pour le projet que je crée et non parce qu'il faudrait faire comme ça et pas autrement, parce qu'on a appris comme ça, ou qu'on vous a dit qu'on faisait toujours comme ça,  ni non plus parce que c'est nouveau donc tellement plus "créatif" "innovant" ou autre tarte à la crème ...cousant mes tissus en couture classique "qui se cache" ou montrant les points (et parfois un peu les poings, verbalement s’entend!) , ou juxtaposant des tissus ébouriffés, parce  que je le sens et veux ainsi . Je veux être libre aussi, en tant que maître d’œuvre, de juger si ma surface nécessite matelassage, broderies, ou rien  de tout cela, et non pas me sentir obligée parce que ce serait la coutume. 

Être libre c'est user des outils dont j'ai besoin et non des gadgets qui me permettraient certes d'aller plus vite, mais aux dépens de mon propre rythme. Je ne travaillerai  jamais contre lui et contre mon plaisir de manipulation.  Quand j'écris il m'arrive de mettre trente ans pour terminer un texte , ou de l'écrire en quelques minutes s'il s'agit d'un poème. Et je le dis avec force :qui d'autre que moi pourrait savoir mieux que moi ce qu'à cet égard je "dois" faire ?

 Être libre c'est  laisser de côté les diktats et travailler comme les autres artistes d'autres arts à qui on ne dit jamais   quelles couleurs et combien  ils ont le "droit" de mettre ensemble. Être libre c'est se débarrasser de ces préoccupations ménagères  tenues comme prioritaires par toutes celles qui font de la décoration d'intérieur et de ces objectifs de couture utilitaire. Comprendre que ça ne m'a jamais intéressée n'est pas si difficile . On ne fait pas plus de cent surfaces textiles pour les assortir à son salon ! Je les compose en elles-mêmes et pour elles-mêmes ensuite il arrive qu'elles s’intègrent à un décor.qu'on me comprenne bien: je ne méprise nullement la personne qui recherche un modèle et va assortir les couleurs à celles de son salon, mais je lui demande de comprendre que ce n'est pas comme ça que je vis ce  que je nomme mon art et qui n'est souvent pour elle qu'un passe-temps.  je lui demande aussi de comprendre qu'avant de passer à la fabrication, où se borne sa compétence et son plaisir, il ya une étape antérieure, celle de la conception qui pour moi est la seule essentielle.

Le mot "passionné" a   aussi différents sens et passionné en tant que loisir recréatif et divertissement , ce n'est pas ma façon de vivre mes passions .Je ne suis pas non plus amoureuse de la couture, mais des tissus et des fils ... des couleurs et des formes. La femme qui prend son plaisir à faire des points plus petits et plus réguliers que sa voisine ne me comprendra jamais ...le "bien fait" n'a de sens pour moi que dans l'adéquation avec ce  que je veux obtenir,comme exigence que je m'impose pour cette surface-là, cet objet-là   et non dans l'absolu, comme une norme de calibrage obligatoire. Mais  je ne fais jamais non plus du salopé exprès  pour faire moderne. Et pas plus en littérature d'ailleurs. C'est aussi normatif .

Être libre c'est comprendre qu'une oeuvre d'art , œuvres textiles comprises, n'a pas forcément besoin d'être belle  si elle est forte, mais que le moche bricolé et sans autre raison que de faire du moche pour se démarquer est un procédé , non une démarche.

Il m'arrive souvent de penser que j'aime trop la beauté pour être vraiment artiste  au sens contemporain du terme. Mais à dire vrai l'être ou pas, ce n'est pas mon problème, mon problème est de faire ce  que je sens nécessaire de faire et de le faire comme ça.

La valeur artistique d'un  quilt , si on le considère comme une surface créée librement , ce n'est pas d'être joli,ou de bon goût, ni non plus d'être moche exprès parce que  ça ferait original,  c'est que le regard se perde dans ses diverses lectures, sa profondeur et qu'il parle par tous ses morceaux un langage qui lui est propre, pas d'obéir à des critères d'esthétique ou de contre- esthétique. et il est normal qu'un patchwork géométrique ressemble à un autre comme les paysages ou les nus de peintres ont tous un point commun : les formes utilisées comme source

Être libre pour moi c'est assumer mon besoin de solitude et d'indépendance, si mal perçu parfois , cependant dans une corporation qui fonctionne en clubs, associations et autres ateliers . Je l'ai dit : les conseils techniques je les trouve dans les livres et quand je ne trouve pas, je fais autrement , je n'ai pas besoin qu'on me tienne la main et je n'aime pas qu'on me regarde quand je crée : pour moi c'est une activité qui tient de l'intime.

Les peintres que je connais travaillent seuls aussi, et seuls aussi les photographes, les collagistes, les graveurs . Écrire est aussi pour moi un acte éminemment solitaire même si je participe volontiers à des ateliers d'écriture. . Le partage vient après quand on donne à voir ou à lire. Je ne vois pas pourquoi créer des mosaïques de tissus condamnerait à se mettre à plusieurs si on n'en ressent pas le besoin.  L'indépendance n'exclut pas l'ouverture aux autres et je me sens bien plus libre à lire et à visiter des sites qu'à écouter toujours les mêmes "sons de cloche" répétant à l'envi les mêmes lieux communs. La seule chose que je regrette profondément c'est que sur la plupart des blogs français  on ne sache presque jamais ce qu'on regarde fabrication ou création puisque le mot est employé  hors de propos pour se valoriser à peu de frais.

 Qu'on comprenne aussi qu'affirmant  cela je ne prétends à aucune valeur ou supériorité  de ce que je crée. Laisser les autres en décider me semble sage. Certains y verront toujours des couvertures, de l'ouvrage de dame, d'autres de l'art , il en sera toujours ainsi et j'ai décidé de ne pas m'enfermer dans les bocaux  pré- étiquetés où on veut ranger telle ou telle chose que je fais.

Je fais, je vais où on veut bien de moi, dans tous  "mes" arts,  j'écris, je crée. Et si on n'en veut pas, je range dans un tiroir et je fais autre chose.Je n'ai pas d'autres ambitions. J'ai de l'orgueil,   mais très peu de vanité.