Jeux d'étoffes Ecriture et art textile

Si je résumais en schématisant  mon cheminement créatif je dirais : « j’ai d’abord brodé, puis j’ai écrit, puis j’ai assemblé des tissus, j’ai assemblé et brodé. Je me suis remise à écrire et tout naturellement j’ai cherché des passerelles entre l’écriture notamment poétique et les tableaux textiles ». Plus exactement : sans rien chercher, l’idée qu’il y avait lien entre ces deux sortes de création s’est imposée à moi. Il serait simpliste d’affirmer que les mots correspondent aux carrés de tissus, que l’assemblage en serait la syntaxe, la broderie la calligraphie. C’est évidemment beaucoup moins tranché que cela, mais il est indéniable qu’il existe une relation et pas seulement d’étymologie entre textes et textiles. Même si les deux langages demeurent fondamentalement différents, le fait de les avoir pratiqués  a tracé en moi tout un réseau de correspondances ; des mots et de leurs rythmes, des visions peuvent naître qui donnent naissance à des images  que le tissu rend palpables, tentative de donner corps à l’indicible qui se sait dès le départ vouée à l’imperfection, mais qui vaut la peine d’être tentée.

En fait mon tout premier essai d’association de ces deux moyens d’expression fut modeste. Il s’agit un quilt d’enfance créé pour ma fille, autour d’un tout petit bout d’étoffe ancien représentant le petit chaperon rouge et le loup. J’ai tenté réellement  de raconter l’histoire en tissus, notamment en choisissant des motifs qui avaient un rapport avec les faits, les décors, les personnages, mais sans abandonner la géométrie.

L’expérience a continué avec les crazys quilts, j’ai écrit précédemment combien cette forme d’expression « libre » m’avait séduite. J’ai d’abord, comme on l’a vu, illustré des contes de fées ou des légendes et c’est en réalisant de tels ouvrages que l’idée m’est venue d’illustrer des poésies.

J’ai commencé par les miennes, mais le hasard a voulu que je rencontre juste à ce moment  gravitant autour de .la Librairie Galerie Racine, des poètes qui m’ont laissé illustrer leurs œuvres. Cette histoire est aussi d’amitié. Tissage triple donc des tissus, des textes et des relations humaines

 

Expérience intimidante, mais exaltante. Au départ il n’y a en général pour le public aucun rapport entre un assemblage d’étoffes et un poème. Les illustrations des ouvrages de poésie sont quasiment toutes graphiques, picturales, ou photographiques. Pourtant l’étoffe est un medium qui se drape  en quelque sorte sur l’essence du texte, pourvu que celui-ci se laisse imager.

Le tissu est une matière qui sollicite à la fois le regard, l’esprit et les sens (le tissu se touche, se respire). Il peut donner corps en quelque sorte à cet autre langage de l’âme qu’est la poésie. Il l’incarne.

Il ne s’agit pas, bien sûr d’une conversion ou d’une traduction de mots en étoffes, et il m’a semblé qu’il  y avait deux écueils à éviter.

 D’abord, l’évasif qui fait que regardant la représentation, on n’arrive à établir aucun lien avec le texte et on se dira que l’illustration pourrait aussi bien aller avec n’importe quoi d’autre; et le littéral qui se voudrait traduction exacte et lourde d’un langage dans un autre. L’idéal étant pour moi dans une parenté sans trop de dépendance, chaque œuvre gardant son autonomie, le textile restant lisible sans le texte (l’inverse étant évident) mais la vision simultanée des deux faisant germer d’autres sensations, d’autres émotions, d’autres lectures.

Je ne voulais pas non plus utiliser systématiquement les mots comme  calligraphie surajoutée sur le tissu, mais je ne désirais pas me l’interdire absolument. Je parle ici de l’illustration de mes œuvres, car pour celles des autres, je respecte en la matière le désir du poète s’il est exprimé.

Pour ces ouvrages on comprendra qu’il est impossible d’expliquer comment ils se sont élaborés ; j’invite donc juste à regarder ensemble le texte et le textile qui l’accompagne

Il a suffi bien souvent de prendre appui : sur le rythme, sur les images, et alors les mains vont droit à ce qu’elles cherchent. Expérience un peu magique où la transe du poète traverse aussi l’illustratrice, les formes s’imposent, la surface s’organise. Le texte reste référent  « rassurant » si les doigts tombent en panne.

Une première série de texte-iles a été exposée en mai 2004 à la Libraire Galerie Racine, à Paris.

Après avoir illustré des poèmes « individuellement », j’ai tenté d’imager ’un thème « le Coquelicot » dans ses recoupements avec la poésie.
Le coquelicot- et son grand frère le pavot-  est un peu ma fleur emblématique celle avec laquelle j’ai joué enfant, qu’on trouve en abondance dans mes jardins textiles et réels. Image à la fois de féminité (renversée la fleur devient jupe), de vie joyeuse champêtre idéalisée sans souci, mais aussi de sang  et de mort sur les champs de bataille. Opiacée, mais avec une relative innocuité.

Parallèlement j’ai mis en route l’expérience encore inachevée du Chant des Couleurs, essai d’écriture simultanée de textes et de textiles, présenté sous formes de diptyque. Dans ce cycle encore inachevé, l’écriture a amené des retouches au textile et vice-versa, dans une sorte d’osmose.

Voie ouverte à d’autres expérimentations, encore à  découvrir. Inverser, par exemple le mouvement premier : écrire ou inspirer un poème ou un texte à d’autres avec comme point de départ un tableau textile, rechercher dans les textiles cousus antérieurement ceux qui auraient accointance avec ce que j’ai écrit avant ou bien plus tard, commencer un ouvrage avec l’écriture et en proposer une fin textile, travailler sur le palimpseste…. Les pistes manquent moins que le temps pour les frayer, ici je les partage dans l’espoir que ces idées, si ce n’est déjà le cas, germeront ailleurs au moins ou aussi.

Nb dix ans après ; cette voie a été développée dans beaucoup de directions  , le chant des couleurs est terminé, et j'ai fini pas  mal de livres où le textile est considéré comme un langage  par les combinaisons de ses jeux et de ses moi tifs en impresion, tissage ou broderies, écrit deux livres alliant textiles et poésie le précis de  botanique alternative  et Touches . On peut en voir le détail dans la rubrique expériences textes textiles et l'index de mes oeuvres et ouvrages.

 

 

 

 

 

Pluie bleue

Peau d ane art textile j fischer 2
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Vous me ferez cent lignes jacqueline fischer livre textile 3

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