Radio days
Ma mère gardait dans un tiroir de chiffonnier, roulées et nouées, toutes les chutes de restes de confection domestique , et aussi de petits coupons qu’elle achetait pour un usage futur, si le prix lui paraissait avantageux .
Ce devait être le cas de ce tissu à la fois bon marché et somptueux, je ne connais pas sa composition. Au toucher , j’imagine un coton et lurex. J'aime le tissage en diagonale , le côté brillant sans clinquant , et le toucher qui reste très doux, ce qui n'est pas souvent le cas des tissus à fils métallisés.
Il reste en moi lié à la passion de mon père pour les postes de radio. Son atelier regorgeait de ces appareils à l’état d’écorchés, exhibant ampoules et circuits. Il passait du temps à les récupérer, réparer ceux des autres , et parfois il en remettait un à neuf pour nous.
Chez nous la radio fonctionnait toute la journée, mais à titre d’essais techniques , le plus souvent. Bien avant que le mot fut inventé, mon père « zappait » d’une station à une autre, avec entre deux des bruits de gargouillis, pour vérifier si tout fonctionnait à son souhait.
Quelque chose de lointain et de viscéral à la fois.
C’est là que le tissu intervient parce qu’il eut un jour l’envie d’en couvrir un haut-parleur défaillant qu’il venait de remettre en état.. je crois même qu’il se servit en l’absence de ma mère dans le tiroir aux coupons .
Je revois bien le haut parleur en robe du soir de quatre sous ... et je me souviens moi d’avoir ressenti cet usage comme une sorte de crime de lèse-majesté envers l’étoffe. Ma mère râla un peu , arguant qu’il aurait pu se servir d’un tissu moins beau..mais mon père semblait très satisfait du résultat autant au point de vue technique qu'esthétique.
J’ai récupéré ce qu’il restait de l’étoffe quelques années plus tard quand j’ai commencé à faire des crazy quilts et qu’on trouvait peu d’étoffes précieuses en petites chutes.
C’est un tissu léger,fluide, agréable à travailler, je pourrais même dire qu’il chante sous les doigts .
Je l’ai donc utilisé dans le quilt Peau d’âne notamment pour la robe couleur de lune et dans Text-ile à la lune de mes minuits pour rendre l’atmosphère de nocturne. Egalement dans le quilt Jaillissements et là juste pour sa texture et sa couleur, indépendamment de ce que je nommerais son « atmosphère »,et par petits bouts dans pas mal de compositions géométriques quand j’ai eu besoin d’un gris hésitant entre cendres et lumière. Comme tous les autres tissus dont je parlerai il possède ici sa valeur propre et là sa valeur contextuelle. Comme les mots.