Stigmates : du code technique au langage poétique
Stigmates : du code technique au langage poétique
Présentation
L’idée est venue de marques techniques sur des échantillons de tissus Haute-Couture. ces marques - le plus souvent des chiffres - constituaient pour moi déjà un premier langage secret , un code professionnel auquel je n’aurais probablement jamais accès. D’un autre côté, je les percevais aussi un peu comme une sorte d’atteinte, d’offense à la beauté des étoffes.
J’ai découpé tout d’abord toutes ces "écritures"
Certaines portaient la mention Abraham, nom de la maison des soyeux Lyonnais dont les étoffes sont toutes issues. Mot ici prédestné en quelque sorte pour ces étoffes "sacrifiées"et scarifiées.
. D’autres mots renseignaient sur la matière,ou le type de tissage . la mention « essai » revenait aussi très souvent. D’autres encore portaient mention du grand couturier à qui l’étoffe était destinée notamment LAC pour Christian Lacroix, ou Yves Saint Laurent.
Ces tissus, fins pour la plupart soies, mousselines, lamés, montrant comme stigmates ou tatouages ces marques, portaient aussi parfois comme un piercing le sceau de la maison-mère, des taches, des ratures, des agrafes , des coutues de jonctions entre échantillons.
Marque qui magnifie et donne le prestige , la marque d'infamie.
C'est là que le jeu de mots a joué son rôle, semi-conscient .
Méditant tout cela j’ai imaginé trois stades de la vie d’une femme ( non pas moi mais une femme n’importe laquelle) allant d’un emprisonnement à la libération. Trois stades qui rappellent l’énigme de la Sphinge, quoique différemment. Tout le temps que j’ai travaillé, ces tissus pour moi n‘étaient plus des tissus, mais de la peau humaine qu’on maltraite aussi pour assurer pouvoir ou possession sur les esprits et les âmes. C 'est de cette impression très forte, quasi physique, que les textes sont nés.
Trois attitudes : à genoux de profil, a genoux de face et les bras levés, de profil debout et en marche.
Les textes n’étaient pas prévus, ils se sont imposés à moi avec force tandis que je cousais. Un mot justement de la couture que j’ai réduite au minimum technique pour que tout tienne ensemble. Le but de l’ouvrage n’a jamais été esthétique. ni de faire du bien fini.
Je partais d’un matériau à la fois brut, voire brutalisé et délicat ,et d’un raffinement technique extrême pour certains lamés notamment. J’ai voulu que les tableaux conservent ces deux aspects.
Stigmates 1
De profil , elle fait face.
Ses mains sont gourdes où poser son visage
Elle ne prie pas. Elle dort.
Cousue elle est trouée,
fendue, infabulée.
Marquée
Ses codes n’ont de sens que dans le langage des oiseaux.
Forme informée, elle, approximative.
tissée de barreaux, elle s’évase.
s’évade.
Arc en terre.
Prisonnière de sa peau, elle fuit dans la fente, la pliure, la ride et le creux
Toujours à la tache.
Son seul piercing c’est au cerveau. Très pas née.
Stigmates 2
Elle lève les bras
Ni victoire ni ola
dans l’attente vaine
Écartelée
Depuis combien de vies
à poireauter ?
Que cherche-t-elle au ciel de nuits passées
à dénombrer les lambeaux de sa peau d’âme
et de ses peurs froissées ?
Quelqu’un
Elle ne sait ni qui pourquoi
L’a tatouée ordinaire
Lame de fond
des lamés doux
dans les soirs de bal
où jamais elle ne fut invitée
que le premier temps
d’une valse avortée.
Retenue à l’oubli
en laisse des amers
Le vide est sa matière première.
Stigmates 3
Debout
Elle découvre qu’elle marche
Pieds qui se désentravent
A traverser les incertains
Dé-rivée , elle guette des chemins
Où allonger son ombre.
Ors et peaux déposés,,
elle échappe à la loi imbécile du nombre
Biffée, elle se rebiffe.
Evidée,
Elle défie l’évidence.
Frissonnera-t-elle encore ?
Le silence désormais
seul
Répond d’aile.