Ecrits filaires - 2
Les rêves de la vieille fée et le gros poids ....
Si c’était un conte, on parlerait d’une vieille fée, du genre bienveillante ,qui aime tant les surfaces textiles qu’elle en crée au rythme d’un atelier à elle toute seule :
Des petites, des grandes, des qu’on dit "traditionnelles" et des qu’on dit "contemporaines", ce qui pour elle, n'a pas de sens. Ce sont des oeuvres dans son temps hors du temps...
Qu’on ne la scinde plus en deux. Pour classer et souvent exclure.
Un rêve.
Juste des surfaces en tissus assemblés et/ou brodés. Quand elles sont finies cette sorte d’apaisement dans son coeur et dans son ventre , comme une satisfaction d’avoir rempli quelque chose pas un devoir certes, non.- et encore moins une pénitence .
Qu’on ne lui parle jamais plus de sa patience, mais seulement de sa passion.
Un rêve .
L’oeuvre existe pourtant, mais en Belle au bois dormant condamnée à dormir sur ce lit pendant des décennies ou des mois selon ce que la vieille fée restera chez les humains ...
Qu’on ne la renvoie plus vers les clubs de « loisirs créatifs », quand elle aurait envie, comme tant d’autres artistes d’exposer dans un lieu destiné à cet usage pour partager ce qu’elle a créé, dans un don de soi vers les autres enfin permis.
Un rêve.
Qu’on ne lui dise plus qu’elle n’a pas essayé. elle l’a fait. Qu’on ne lui dise plus que c’est pareil pour les autres arts : ce n’est pas vrai. Qu’on comprenne qu’il lui faudrait dix fois plus de temps et d’énergie pour ce combat-là et que ce temps et cette énergie, elle en a besoin pour créer .
Un rêve.
C’est lourd toutes ces surfaces ...un poids sur sa vie, et parfois sur son coeur . un poids que sent la fierté de son âme , de qui croit en ce qu’elle fait . Le doute n’est pas là.
Il est dans le poids du jeu social et des habitudes , et le mépris ordinaire et l’incompréhension quasi universelle et permanente pour ce qui n‘est pour tant d’autres que de la « couture ».
Trouver un vrai regard... échapper surtout au doigt et à l'oeil qui tacle ce qui serait une "faute", ces regards étriqués de bonnes faiseuses rogneuses d'ailes.
Pas tout à fait un rêve ! Et merci à celles et ceux qui l’ont rendu vrai.
Au fil des ans elle en a vendu quelques-uns , donné beaucoup à qui les aimait , mais parfois d’un amour plein de méprise sinon de mépris . Qu’on ne les passe plus à la machine à laver, voire à l’eau de Javel, comme des couvertures ordinaires voire du linge de maison ...
Avoir droit à ce minimum de respect qu’on accorde aux peintres , même amateurs, dont on ne lessive pas les surfaces pour les dépoussiérer ...
Un rêve .
Entre oeuvres et ouvrage : tout est dit et quand encore on ne rajoute pas "de dames".
La vieille fée crée en être humain-enfin presque!- , son art a été reservé aux femmes, dit-on, mais les tailleurs étaient des hommes, les brodeurs étaient souvent des hommes et les hommes qui créent en art textile, actuellement , comme par miracle, sont tous des "grands" ...et les femmes sont les premières à leur tresser des couronnes, alors qu'elles critiquent sans pitié leurs congénères ...au moindre point jugé de travers .
Alors, faut-il encore que pour les libérer, les femmes, on méprise ce qu'elles ont su faire, depuis des siècles ? Les imiter en négligeant ce qu'elles savaient, elles, créer au lieu de le valoriser, n'est-ce pas implicitement reconnaître qu'ils sont supérieurs ? Et si on affirmait tranquillement ce qu'elles maîtrisent depuis tant de siècles comme étant aussi de l'art quand il est création ?
Un tableau de Vasarely est une oeuvre d'art incontestée.Quand les textiliens Michael James ou Käffe Fassett créent des géométries en étoffes c'est encore de l'art, mais tout ce qu'ont cousu les femmes de compositions géométriques -et bien avant eux et encore après eux- dans l'anonymat le plus complet, ce serait juste du folklore ? Valable parce que c'est vieux et que ça fait partie du patrimoine ?
Est-ce juste alors que cela repose sur une ignorance volontaire ? Une cécité consentie où les pires aveugles sont souvent les femmes elles-mêmes.
La vieille fée ne les imite ni ne les rejette, elle va son amble. Elle prend ce qui adhère à elle, ce avec quoi elle sait qu'elle peut s'exprimer; en être humain pas en femme qui coud . Pas les genoux serrés.Pas coincée dans quelque tambour à broder que ce soit .
Elle attend vos regards, libres de préjugés et surtout de formatages . Les oserez-vous ?
chiffondart@aol.com