des tissus...
Des tissus, de la mode et de la vie.
NB Ce texte est moins destiné aux spécialistes à qui je n'apprendrais rien, qu'aux personnes qui ignorent tout de ce que je nomme un art des tissus et pour qui ce medium est lié uniquement au vêtement, à l'ameublement, à la décoration et à la couture. Assigné à résidence.
A lire comme si on découvrait ce que sont la gouache et l'aquarelle etc. en peinture et qu'on croyait que la peinture c'est juste pour ripoliner les murs de la salle de bains Parce que côté tissu c'est ce qui se passe. Presque toujours A lire aussi , si devant un livre qui parle de l'art des tissus et de leur assemblages variés, vous vous dites "je ne fais pas de patchwork donc ça n'a pas d'intérêt pour moi" ... Vous ne faites peut-être pas non plus de peinture, est-ce que ça vous empêche de feuilleter un livre d'art ?
A lire aussi pour celles et ceux qui le connaissent (un few que j'espère happy) en prolongement de mon livre Jeux D'étoffes , impressions, expressions paru en 2010 aujourd'hui épuisé.
A lire comme témoignage et acte d'amour envers "ma" matière d'artiste.
Quand j'ai commencé le patchwork dans les années 1980, je croyais naïvement que tout le monde faisait comme moi et récupérait les morceaux de coton ou de ce qui y ressemblait , pour faire sa surface textile. Et même, tous les morceaux de tissus. J'achetais peu et je prenais tout ce qu'on me donnait.Ensuite j'ai collectionné passionnément, et je continue. Je collectionnne un peu en "lectrice" de tissus plus qu'en acheteuse (on ne me voit guère dans les salons d'arts de l'aiguille ou autre grande messe consommatrice).
J'ai découvert qu'il n'en était rien et je voudrais d'abord dire ce que pour moi les tissus et leurs assemblages ne sont pas, et qui fait que si souvent même de bonne volonté je n'arrive pas à entrer dans l'activité patchwork telle qu'on la pratique le plus souvent; .Et pas davantage dans les démarches très intellectualisantes autour du tissu. Pour moi le tissu n'a pas besoin d'une caution style dissertation philosophique pour se dire . Qu'on m'entende bien: on a le droit de faire comme on veut, ce n'est pas un jugement de valeur que je porte mais une expérience personnelle que je sens différente. .Ni inférieure, ni supérieure : juste cela : différente avec des points d'ancrage toutefois , qu'on se rassure.
J'ai appris , dès que j'ai eu accès aux revues de patchwork qu'il existait des tissus spéciaux pour cet usage. Ces tissus fabriqués essentiellement aux USA (mais pas seulement,) ont un tissage serré et fin qui les rend idéaux pour les assemblages précis des géométries que j'affectionne. Ils sont lavables, solides et j'ai découvert aussi que la majorité des quilteuses n'envisageait pas de faire un quilt qui ne se lave pas. Les préoccupations ménagères, voire hygiénistes parfois, l'emportent dans cette optique.
Les querelles sur laver les tissus avant ou après, comme celles sur couture main et machine qui passionnent tant mes consoeurs n'ont que très peu d'intérêt pour moi. Mes ouvrages ne sont pas faits d'abord pour être passés la machine, mais pour être regardés et touchés exactement comme d'autres surfaces dans d'autres arts reconnus supérieurs.On ne crée pas un tableau en se demandant d'abord comment le dépoussiérer.. Ce point est plus crucial qu'on ne le pense. Si on a le malheur de partir des géométries régulières, on est vouée à la fonction ménagère,utilitaire, couturière et décorative ..Or la tradition,américaine ou anglosaxonne qui prévaut comme référent, distinguait les quilts d'usage de ceux dits de transmission (heirloom) faits pour être légués.Ce que je fais.
Il y a eu aussi des adeptes de tissu pour patchwork et surtout rien d'autre et même des personnes qui traitaient de "faux patchwork' tout ce qui n'était pas copie d'anciens faits avec des tissus achetés très cher dans des magasins spécialisés. Là il ne fallait pas avoir l'air "peuple"mais montrer qu'on avait des connaissances en histoire des tissus (parfois!) et un pouvoir d'achat sinon de création .
.Dans le camp adverse, à l'emergence du contemporain (cf articles sur ce sujet) surtout pas de tissu américain qui "fait trop patchwork" et on allait jusqu'à nier qu'on en avait employé, alors que je voyais, moi dans ce qu'on me montrait un Jinny Beyer(styliste et quilteuse célèbre) bien reconnaissable dont je possédais un morceau.Mais le dire provoquait une colère..de mauvaise foi.Il n'est pas bon de montrer qu'on n'est pas dupe. A aucun des deux camps.
J'ai vu aussi passer la vague des tissus "moches" , tout un courant qui ayant cru comprendre que l'art ne devant surtout plus être beau , s'imaginait qu' en entassant un maximum d'horreurs dans un espace donné, on avait automatiquement du génie et on devenait automatiquement artiste puisqu'on ne faisait pas comme les autres...
J'ai vu arriver la vague des "il faut peindre ou teindre son tissu soi-même" etc ... Le tissu teint et peint a provoqué la vague des batiks, qui dure encore. Les livres récents sont inondés de quilts en batik . Je passe sur la vogue des tissus dits japonais qui perdure et qui ne sont souvent que japonisants.
Et puis il y a eu la vague des" tout est mieux que le tissu seul" et vive le plastique, le tyvek -qui rend créatif, on me l'a juré!- et autres ajouts non textiles. très beaux parfois, mais où était là dedans l'amour du tissu? Et la vogue de la récupération où un filet à pommes de terre c'était mieux qu'un morceau de robe fleurie, ça faisait plus récup branchée bobo.Pourtant la petite robe qu'on découpe, elle a quelque chose à dire, elle aussi, autant que la capsule de bière montée sur un fil électrrique qu'on baptise pompeusement "art textile novateur". Oui j'ai vu tout ça passer.Je n'ai pas fait que voir , j'ai discuté, expérimenté, écouté et lu, observé, étudié. et je continue. .
Non qu'il faille rejeter en bloc certes pas .Il y a eu dans tous les cas de fort belles réussites .Et je les admire, regrettant parfois que leurs créatrices en soient emplies d'un dédain un peu condescendant pour les humbles assembleuses- brodeuses dont elles ont parfois tout appris avant de s'en démarquer. Parfois, pas toujours, mais trop souvent.
Ce que j'aime dans les tissus américains et/ou les cotonnades adéquates au patchwork, c'est l'infinité de leurs couleurs et motifs qui a été pour moi un vivier de re- composition et maintenant encore. Il ne s'agit pas de coudre ensemble des tissus d'une gamme faits pour aller ensemble. Je vois les morceaux de tissus comme des fragments d'un univers variable, mouvant que j'assemble ainsi. En ce sens ils sont pour moi très proches des mots que je n'ai pas créés non plus.
Ce qui leur manque, à mes yeux s'entend , aux tissus américains "faits pour" , c'est que le tissage en lui-même lui, ne dit pas grand chose , il est atone en quelque sorte et c'est pourquoi je leur ai toujours ou presque adjoint, même dans les assemblages, des tissus que je dirai "de caractère". feutrés , tissés plus lâches et en d'autres matières que le coton. un de mes premiers quilts dans les années 1980,un modeste vol d'oiseaux en triangles comportait de la soie et du synthétique.C'était déjà sans que je le sache hérétique ou... novateur dans ce type d'ouvrage tout au moins..
Certaines étoffes sont empreintes de sensations spéciales, des histoires de vie et c'est cela aussi que je voudrais partager avec ceux et celles que cet aspect intéresse. Un tissu ce n'est pas ce qui sort d'un tube de peinture... c'est un medium "chargé"produit d'un art humain . C'est pourquoi je l'aime tant et c'est pourquoi pour moi les tissus sont symbole des hommes. Si je préfère l'assemblage, c'est toujours en moi le rêve que chaque humain trouve sa place dans le monde comme chaque fragment d'étoffe dans mes ouvrages et ce, d'où qu'il vienne et quelle que soit son apparence. Quel que soit aussi son style et son âge , sa couleur et son aspect. Quelle que soit aussi la technique d'assembler ou de juxtaposer.
Ma démarche première celle qui prime toutes les autres c'est de trouver un emploi à chacun. Avec le rêve que ce soit vrai pour les hommes . Il y entre eux et moi presque un rituel magique . C'est absurde sans doute aux yeux des rationalistes, mais c'est ainsi. D'autre part défendant le patchwork, en tant qu'assemblage d'un matériau humble et dévalué surtout quand il ressemble à un tissu, je défends la partie la plus populaire d'un art qui s'est quand même pas mal "snobisé" en voulant se rapprocher des vrais arts sans d'ailleurs tout à fait y parvenir non en valeur mais en reconnaissance durable Je défends le cousin pauvre qu'on a laissé sur la route, voire foulé aux pieds .On veut bien des arts premiers mais à condition de les "élitiser" souvent d'ailleurs en les trahissant. On veut bien faire "arte povera" , parce que c'est un mouvement reconnu par les intelligentsias mais surtout pas avoir l'air "peuple". Du peuple, j'en suis, j'en sors, j'y vis et j'en suis fière. Défendre cette petite cause, c'est défendre en arrière-plan les pauvres et les femmes ce que j'ai toujours fait par ailleurs, dans d'autres engagements. .. Il n'y a pas de petite injustice..
Mais en aucune façon, je ne défends ici pas plus qu'ailleurs la "tradition ".Laquelle , d'ailleurs ? Je défends un droit à avoir la source graphique d'inspiration que l'on veut, d'user des étoffes -donc de la matière- que l'on veut sans que ce soit un marqueur d'infériorité artistique .Des serpillières et des petits imprimés fleuris pourvu que de ces assemblages jaillisse de quoi émouvoir quelque chose dans l'âme des quelques-un(s).Pas qu'on admire ou rejette selon des a priori formatés.
Je voudrais monter un regard personnel sur les étoffes. Autre que la simple couleur , texture .Personnel veut dire à la fois unique en ce que je suis moi et ressemblant en ce que je suis humaine et que comme tout humain qui sait regarder et éprouver imprégnée de tout ce que j'ai vu. Les quilts aussi!
. Je voudrais surtout faire échapper cette matière qui me passionne au consumérisme ambiant et et au côté loisir créatif pré-digéré, pré-pensé. A son aspect désodorisé et parfois bien-pensant. Mon approche des étoffes est exclusivement sensuelle Utilisant le toucher autant que la vue, je ressens le tissu comme vivant. Je couds à la main non par tradition mais pour ce contact étroit dont la machine me prive. ..C'est aussi pour moi un des innombrables moyens de relier les tissus et les mots .Côté coulisses.