Les palettes d'une textilienne 1- les tissus
Palettes d'étoffes - Introduction
Dans son introduction au catalogue l’exposition de la bibliothèque de Forney de l'hôtel de Sens à Paris en 1992 , Pierre-Louis Mathieu, alors chargé de mission des musées nationaux notait -après avoir souligné honnêtement sa « réticence » à accueillir des patchworks ( !) que pour les mélanges le peintre serait par rapport au textilien « insurpassable » au vu de l’infini des nuances qu’on peut créer sur une palette. Le textilien, lui aurait l'avantage côté texture , matelassage et « velouté » -sic- des étoffes.
A mon avis il n'y a pas lieu de toujours comparer, il ne s'agit pas de dire- quel art serait "supérieur" à l'autre et sur quel point sauf dans une optique où les quilteuses'"créatrices" se mettraient exclusivement (et c'est un peu ce qu'elles ont fait!) à imiter les peintres. Nous étions encore en 1992 dans un art des tissus existants assemblés, même si la tendance que je décris dans mon article Le Bonheur en lisière était en place.
Le tissu est un medium différent, sous beaucoup d'aspects et pourtant maintes analyses font comme si seules les formes et les couleurs, comme dans les autres arts comptaient. Les textiliennes ont depuis très longtemps manipulé en composition de fragments. Un des premiers quilts anglais dit the Coverlet et qui revient à la mode -parce qu'il est question de l'imiter et de le reproduire- date du début du XVIII siècle.- Je me permets de rappeler une fois encore que l'abstraction en assemblage d'étoffes a précédé de beaucoup celle en peinture, et que précisément au départ ça n'y ressemblait pas vraiment en raison de l'usage d'étoffes imprimées notamment . C'est pour ma part ce que j'ai aimé d'entrée dans cet art du patchwork : c'est qu'il avait ses spécificités bien à lui, qu'on pouvait les utiliser diversement et que contrairement ce qu'on lit un peu partout il n'est ni "limité"; ni "réducteur"et encore moine exclusivement "décoratif". Encore le serait-il : ce n'est pas forcément un défaut ! .
Tout au contraire, je ne pourrai certes pas montrer ici toutes les possibilités qu'une palette textile peut proposer en cet art d'assemblage.
Je prierai de pardonner une fois encore le fait de prendre mes "oeuvrages" pour exemple, mais je ne suis pas autorisée à analyser ceux des autres à cet égard. Et je n'empêche personne d'en faire autant, tout au contraire cela m'intéresserait beaucoup ! Mon blog présente d'autre part nombre d'artistes dans leur rapport aux étoffes en composition . Je renvoie notamment aux articles sur Ruth Mc Dowell et Edrika Huwes, par exemple.
Je parle donc ici des assemblages de tissus déjà existants, pas des tissus teints ou peints par les artistes eux-mêmes qui alors rejoignent pour le mixage des couleurs les lois que je dirai purement pigmentaires. Ce n'est pas ma valence principale et c'est expliqué abondamment par des spécialistes ailleurs. Je ne n'évoquerai pas non plus l'usage du tissu assemblé dans le vêtement , ni même la décoration intérieure, domaines nullement méprisables ou négligeables mais obéissant tous deux à des contraintes de modes et "d'assortissage" qui ne suivent pas les mêmes règles que celles d'une surface créée pour une expression personnelle. La visée n'est pas la même et surtout au niveau des couleurs. Dans cette optique, on peut utiliser des nuances pour dire aussi - bien que ce ne soit guère admis- la colère, la révolte , la peur, l'abandon voire la mort ou autres sentiments ou réalités jugés "négatifs". Il n'y a pas d'assignation au "qui met en joie", même si j'aime bien que mes surfaces mettent en joie !
Pour moi, en composition avec d'autres, les tissus peuvent davantage échapper à leurs "codes" premiers " et même si on ne les gomme jamais tout à fait, au moins être l'objet d'une re-composition qui n'en tient pas essentiellement compte. Je m'explique : une petite cotonnade fleurie, un lainage sobre, ou une soie somptueuse ont été créés pour des emplois vestimentaires,différents, et souvent inclus dans un milieu donné et une époque définie, ils arrivent aussi avec leurs symboles (et la couleur en participe mais pas que la couleur). On peut certes utiliser l'étoffe dans ce champ de son usage géographique, historique, social, voire "genré", ou attaché à un âge (les couleurs layette ...), on reste toutefois dans une perception extérieure à ce que le medium est "sensiblement", surtout dans une optique d'assemblage. L'important alors, reste la manière dont il va interagir en relation avec les autres et non pas seul utilisé dans un objet. Et le signifiant (symbolique,sociétal etc) et le sensoriel (vue, toucher ) tout ensemble, ce n'est pas impossible non plus ... En matière d'étoffes le sens - voire l'essence de l'oeuvre - passe toujours par les sens : vue et toucher ensemble, liés indissolublement .
Il faudrait dire un mot de la manière dont on peut créer sa palette textile. J'accueille déjà toutes les étoffes qu'on me donne ou que le hasard parfois met à ma portée pour un prix modique, et j'essaie de leur trouver place dans un ou plusieurs ouvrages. Je ne recherche non pas non plus uniquement des tissus pour un ouvrage, mais aussi une surface où ma collection peut se dire et le même fragment de tissu placé là ou là ne sera pas perçu de la même manière, c'est pour moi ce que je nomme travailler en "artiste des tissus assemblés". Pour moi il n'y a strictement aucun plaisir, aucune envie d'utiliser une gamme pré-assortie par un créateur en étoffes et quand j'en achète c'est en général pour les éparpiller dans différentes surfaces. J'aime les tissus qui ont du caractère et qui ne se laissent pas si facilement "intégrer" à un ensemble, et j'aime jouer avec tout ce que le tissu me donne : sa texture, sa matière, son épaisseur, sa brillance, ses motifs, sa souplesse ou sa rigidité mais il va de soi que mon choix ne sera pas le même pour un ouvrage destiné à être utilisé et lavé et pour une surface qui sera conservée comme oeuvre d'expression personnelle. Je comprends que les personnes pour qui un quilt est avant tout une surface décorative -utilitaire aient un autre point de vue. Mais je maintiens qu'on peut faire d'une couverture de berceau une œuvre d'art, toute personnelle. Il suffit d'oublier -ou de faire oublier- qu'elle peut être aussi une couverture de berceau, pratique et lavable !
Enfin il ne s'agit pas d'expliquer mais de montrer non comme exemple de ce qu'il faut faire, mais de ce qu'on peut faire avec les couleurs sur les étoffes et non pas les couleurs de la roue des couleurs qui ne sont ni texturées ni tissées, ni imprimées ... et ce n'est nullement exhaustif. Chaque surface qu'il s'agisse des miennes ou de celles des autres, montre d'autres combinaisons .
Je ne dirai pas non plus quelles couleurs vont ou ne vont pas ensemble, d'abord parce que c'est affaire de sensibilité, de goût et aussi de visée chez chacune, et que pour moi l'usage des couleurs repose sur l'observation et l'instinct deux choses qui sont propres à chacun de nous . Je dirai aussi l'amour des couleurs, la capacité qu'on a à s'imprégner des "harmonies" autour de soi mais rendues par le moyen des tissus et les fils en ce que ces matériaux ont pour moi de spécifique.