Le bonheur en lisière 10

 En guise de conclusion : en décousu .

Donc il a existé cet assemblage d'étoffes, au si vilain nom  , dont on dit à tort qu'il n'a pas existé en France , mais à la différence de  la broderie, il n'a jamais pu  trouver une existence autonome en tant qu'art , même pas décoratif, pour différentes raisons.

Il faut dire on fait quand même tout ce qu'il faut dans la pratique , parfois, pour le maintenir dans le panier à ouvrages. C'est un droit, je n'en discute même pas.
Mais j'ai le droit moi, de dire ici, une fois encore, ce que j'aurais souhaité, voulu, aimé ,et qui n'a pas eu lieu. On ne fait pas avancer les choses à coup d'autosatisfaction  vaniteuse , et de "c'est comme ça et ça restera toujours tel" ou "ça a  toujours été ainsi" Quand on voit la variété des oeuvres textiles d'assemblage au cours des siècles et dans tous les pays,  le" comme ça" a des chatoiements qui changent selon l'optique.

Voici donc la mienne.

On dit que la France n'a pas de culture "patchwork" et c'est vrai mais elle a eu un passé à cet égard, ce n'est pas parce qu'on laisse se détruire les ouvrages par manque de considération  qu'ils n'ont pas existé. Et l'assemblage est déjà noté dans un lai de Marie de France entre autres (ce sont souvent les livres anglo-saxons qui nous l'apprennent !).

Les associations chargées de  promouvoir le patchwork, puis l'art textile -comme si déjà le patchwork n'en était pas un - on le colle à part systématiquement -  ont certes fait des efforts, mais je crois très sincèrement que ça ne dépasse pas beaucoup notre "petit monde" et pour cause : expositions entre soi, reconnaissances que je dirai "consanguines" entre personnes qui ont la même conception des choses, étant issues du même sérail, de travaux où se mélangent des oeuvres crées et des copies de modèles , j'y reviens toujours mais le point est crucial, on ne saurait être considéré, vraiment , en dehors de nos cercles,  en confondant les deux, systématiquement .Et même si on ne confond pas à estimer que la reproduction parfaite d'un modèle diffcile est l'équvalent (voire supérieure!) à une création venue d'une conception personnelle ; Il ya là tout un flou, nullement artistque, qu'il ne fait pas bon de lever.

L'homme de la rue voit toujours le patchwork comme un loisir et un ouvrage de dame et la corporation peine à le reconnaître comme un véritable "art textile" , sinon pourquoi cette scission des termes ? Il  est  donc toujours exclu de l'art textile sauf lors des retours de conservatisme ringard, ce dont je ne saurais me satisfaire, ne l'ayant jamais exercé ainsi . IL s'agit de retour "dans la :mode" et non de  promotion en tant qu'art. On en parle davantage, pendant quelque temps, toujours de manière stéreotypée (voir les émissions de télé à  ce sujet  sur un créneau horaire consacré aux "inactifs"  )mais c'est toujours un strapontin, voire un siège éjectable, pas une vraie reconnaissance .De l'art pas que de mon oeuvre!


On me dit souvent que "j'exige trop" et je  ne trouve pas . Comment croire en ce qu'on fait, y mettre tant de soi et accepter que ce soit traité comme un sous-genre dans un art qui peine déjà tant à se faire reconnaître qu'il se croit obligé de singer les autres, les grands, les muséables ?
Je travaille autant que mes amis peintres et graveurs, mais à leur différence, je dois d'abord persuader mes interlocuteurs que je ne fais pas "mumuse" avec mes chiffons ....

Un art et des artistes qui l'exercent  sont reconnus quand on leur permet d'exister dans le monde de l'art, à l'égal des autres, quand on a un accès  égal aux lieux d'exposition, à l'histoire de l'art, le vrai, pas seulement  côté folklore-patrimoine à conserver entre deux tessons de bouteille mérovingiens-  Quand on fait quelque chose pour la conservation des oeuvres d'artistes en tant qu'individus créant autour d'une démarche tout aussi respectable qu'une autre ,  non pas  globalement comme témoin d'une mode textile d'une époque donnée . Or tout cela, on ne l'a pas et il y a fort à parier qu'on ne l'aura jamais.

On peut se grouper certes pour partager l'activité mais en quoi ce serait une obligation ? c'est une tradfition anglo-saxonne. Est-on obligé de la suivre si on sait qu'il a existé au VIII siècle des quilts géométriques chinois ?  On peut suivre cette tradition dans ses sources graphiques sans se sentir inféodé à son fonctionnement et si on veut l'imiter il faudrait le faire alors dans l'honnêteté au niveau copyright et dans l'effort de conservation du patrimoine textile : ce qui en France n'est pas fait s'agissant des "créations" actuelles Il  ne m'est pas égal qu'elles finissent à  la poubelle  ou dans un panier pour chien. Et je ne serais qu'à moitié satisfaite  d'une conservation purement "historique" sans  référence à la valeur artistique éventuelle  des oeuvres, aux parcours et démarches de celles qui les créent  et qui à la différence d'autrefois, ne sont plus anonymes.

 Or , pour cela, il faut bien un peu dépasser les clubs, ateliers et occupations associatives, qui certes ont un intérêt dans le moment pour celles qui organisent et participent, pour un public restreint qui ne sait pas toujours vraiment ce qu'il regarde , parce qu'on se garde trop souvent de le lui signaler.

Et si on le dit (on est bien obligée de répéter puisqu'on ne veut pas entendre!) on passe au mieux pour une empêcheuse de quilter en rond , au pire pour une vieille radoteuse un peu aigrie et parano . J'en ai toujours pris le risque et il n'était pas nul : toutes mes relations patchwork se sont évaporées depuis qu'ayant assez de faire semblant, je dis nettement ce que je crois et pense mais non sans l'étayer sur ce que je lis et connais (donc mon avis peut changer au fil des découvertes!) .  Des personnes qui ne supportent pas une manière de faire et de penser différente de leurs certitudes m'intéressent assez peu : je n'ai rien à leur apporter et réciproquement .

Souvent les femmes qui cousent n'aiment pas qu'on "réfléchisse",  elles appellent cela se "prendre la tête" ou se prendre trop au sérieux . Il  est triste de se dire ; plus je réflechis sur l'art que je pratique, plus  j'approfondis mes connaissances , moins j'ai de relations dans le monde du patchwork . Triste, non pas pour moi,  mais pour qui veut rester alors médiocre ? C'est une provocation : détrompez-moi !

 Ce n'est pas avec cette attitude qu'on fera de notre art autre chose que de l'occupe doigts dévalué. C'est en osant dire comment on compose, comment on s'est mis en route,  pourquoi cette surface-là qu'on montre, publie ou expose existe,  avec cet aspect-là .  Revenir aux tissus, tous les tissus comme medium . D'où vient le dessin, comment a-t-on composé avec ? Qu'est ce qui a présidé aux choix des tissus ? Quelle est l'importance accordée aux motifs, ou à leur absence, aux couleurs, aux valeurs ? Aux tissages ? Aux techniques , si elles sont signifiantes ? Quelle vision, quelle émotion; quelle envie vous a mis(e )en route ?
Si on le fait avec son coeur, son âme,son ventre : cela se verra!

Et aussi si c'est juste "je suis partie de la revue Bidule où j'ai pris le plan, j'y ai mis les blocs de Madame Truc, la bordure de cet autre ouvrage ,  et les couleurs de la gamme Machin pour faire joli". ce qu'on lit ('ou décode!) sur maints blogs .

 On a le droit , certes, de faire ainsi mais on peut aussi faire tout autre chose et c'est tellement plus passionnant .

Quand on est écrivain on ne passe pas sa vie à recopier les pages des autres,  avec une belle écriture .Ni même à faire un texte en recomposant avec  des phrases prises à d'autres. On peut le faire ça s'appelle un "centon' mais aucun écrivain digne de ce nom ne passerait sa vie à tels exercices .

On aurait pu  notamment :

- Profiter du Revival pour faire enfin  entrer  l'assemblage d'étoffes dans les livres d'art , les histoires de l'art , essayer de convaincre les critiques , chroniqueurs, directeurs de revues et mêmes  galeristes d'art (ces trois expériences, je les ai faites , souvent involontairement , et je n'ai même pas cherché toujours à convaincre ... ) et si seule je l'ai pu , alors pourquoi en groupe et associations, on se contente de ses petites gloires pour soi et entre soi, au lieu d'avoir des ambitions non pour soi- même intra corporation en quelque sorte  mais pour l'art qu'on exerce ? Si j'ai pu ,moi qui ne suis rien ? Toutes celles qui ont la force du groupe, ne pouvaient-elles, un peu la faire servir à cela ?

- Rédiger des biographies d'artistes en insistant sur la manière dont ils  créent et composent plutôt que sur la façon dont c'est cousu ou ça tient ensemble (demande-t-on  essentiellement à un peintre comment il met sa peinture sur la toile ?)

 - Obtenir des endroits où  les oeuvres puissent être exposées et conservées, et sans exclure aucune sorte de  création  textile, mais en distinguant la création authentique  de ses copies et interprétations ; c'est vital et cela repose -malheureusement- sur la seule bonne foi de celles qui "font" du patchwork .

- Faire des index permettant de recenser  tout  ce qui est créé en art textile   avec la même exigence d'honnêteté .

- Organiser de temps à autre des rétrospectives et sans oublier celles qui ne créent pas forcément en suivant les modes ...et surtout à l'écart des objectifs commerciaux. Et si c'est trop cher en vrai ,sans l'aide des sponsors, le faire en virtuel ...

Il  n'y a pas d'indépendance si on s'inféode aux marques ! Il n 'y en a pas non plus si suit la mode .
On aurait pu aussi  :

 - Aider même surtout  les artistes  en patchwork, actuelles, sinon contemporaines,  or on ne le fait que  quand il s'agit de quilts anciens (ou de leurs reproductions) : une bonne mosaïste d'étoffes est une mosaÏste morte !

On aurait pu  surtout éviter cette éternelle querelle des Anciens et des Modernes en  ne bornant pas le caractère contemporain des créations aux seuls ukases de quelques-unes qui sont parfois expertes auto-déclarées ... On peut d'ailleurs être artiste valable et mauvais juge des autres .et sans conaissance de la partie de l'art textile qu'on a choisit d'ignorer ou d'abandonner .

 On aurait pu se mettre en route avec son amour des étoffes ses émotions - tout le monde en a - et sans  clivage, sans étiquettage, sans concours de ci ou de ça, sans thèmes "tartes à la  crème"  imposés . Sans copier ou calquer par manque de confiance ou pour se parer des plumes du paon  sans le dire .On aurait pu ...la liste serait encore longue , je m'en tiens là ...

 Je m'étonne pourtant d'être si seule à penser tout cela    ouvertement du moins , et quand on m'écrit qu'on pense comme moi souvent les pratiques démentent les paroles : cela me laisse  songeuse . Pas mal de personnes m'ont tout de même emprunté mes articles ...mon site est lu (je ne parle pas des visites)  par une bonne cinquantaine de personnes par mois ,  et qui y reviennent , souvent . Certaines y passent plus d'une demi-heure . Si j'en crois ces chiffres, je parle dans le silence, mais pas tout à fait dans le désert.

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 Mirage - textile :  broderie sur feutrage, dans le Textilionnaire

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