Un voyage d'hiver

Un voyage d'hiver

 

Un voyage d hiver jacqueline fischer art textile

 

 

Ce panneau -qui n'est pas un quilt au sens propre du terme a été créé d'abord pour valoriser une collection d'échantillons de lainages des années 1960. Face à ce type de catalogue, je suis toujours partagée entre un désir de conservation "historique" et une envie d'utiliser ces matières dans des compositions personnelles . Ici j'ai cédé à cette tentation !

 

Les échantillons étaient de formes, couleurs et épaisseurs très variées , de sorte qu'un assemblage en couture classique n'était guère possible . Dans ce cas la solution crazy  sur tissu solide de fondation est celle qui s'impose. Je ne souscris pas à cet  amour du lisse et du lifté qui semble s'imposer comme norme, et travaillant des étoffes qui s'effilochaient beaucoup , j'ai choisi de garder à la matière son aspect un peu indiscipliné et sauvage , d'autant que la musique de Schubert et aussi les textes des lieder écrits par Wilhem Müller m'ont accompagnée. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une illustration de la musique,  car ce tableau n'a pas la tonalité sombre de celle de l’œuvre  : l'art n'est pas le même,  ni la visée beaucoup plus modeste en ce qui me concerne et c'est pour quoi j'ai appelé mon ouvrage "un voyage d'hiver". Cependant  ce cycle de lieder est lié à ma vie, à bien des égards. La tonalité assez sombre de l'oeuvre me semblait s'assortir au désordre apparent des morceaux du crazy quilt et à cette texture  au relief un peu tourmenté que je travaillais.

Le bas du panneau évoque ces matières sombres  et aussi l'énergie désespérée que la musique me fait ressentir , et puis le rouge du feu (celui du feu follet aussi d'un des lieder)  celui rassurant de l'âtre et celui plus inquiétant de la folie et de la mort qui guette le héros. J'y ai ajouté le blanc des flocons de neige, qu'on peut lire aussi comme les notes d'une musique blanche où tout se fige même les larmes.

 

Le vopyage d hiver detail 1

Le cycle de lieder comporte cependant  plusieurs textes évoquant l'amour qui aurait pu être heureux , la paix de la campagne et notamment celui intitulé le Tilleul, dont on retrouve la  nuance dans les échantillons de petits tailleurs printaniers , que j'ai choisi de disposer comme une zone compacte de mémoire des temps heureux, un lieu dans un espace en mouvement qu'est ce voyage à la fois réel et intérieur... .On y voit aussi le ciel bleu des    jours froids et des fragments d'aurores qui à la saison froide sont souvent somptueuses ..et ici c'est bien plus ma vision de la mauvaise saison qui m'a guidée que la musique et les paroles évoquées, à moins que ce ne soit la chair de la truite saumonée échappée malicieusement d'un autre lied .Tout hiver  porte en lui son rêve de printemps .

 

Un voyage d hiver detail 4

Le haut du tableau où j'ai réservé des nuances neutres et plus claires évoquent pour moi le gris du ciel, et tout ce qui dans l'hiver reste noir, blanc désincarné, en attente , stylisé comme le sont d'ailleurs les dessins de certaines étoffes .

 

Un voyage d hiver jacqueline fischer detail 3

 

 

Ce voyage dans les tissus, la musique et les textes est aussi pour moi un voyage dans le temps qui correspond à ma propre vie . Les étoffes sont soit contemporaines de mon enfance (années 60) mais quelques ajouts sont issus d'un autre catalogue datant des années 70 -celles de mes vingt ans,où je cousais beaucoup et notamment avec des jerseys de lainages comme ceux glissées ici, très en vogue alors- On trouve même, dans lazone claire,  un vénérable morceau de mousseline de laine datant de 1929 -année du mariage de mes parents-

Pour moi si l’œuvre est réussie, ce que je souhaite, il n'y a pas sacrilège à avoir "pillé" ces catalogues (j'en garde d'autres pour la documentation ), c'est une manière de  redonner  vie aux étoffes , moins par nostalgie que par désir de dire que notre passé nous a construits tels que nous sommes, et que de ce fait, il participe aussi de notre présent , qu'on peut ici toucher du doigt.

On peut voir dessous quelques pages photographiées avant usage.
Mon amie Marie-Claude de La Chambre des Couleurs a été également inspirée par ce thème, et on peut en admirer le résultat ici.

Et sur la musique de Schubert j'ai eu plaisir à lire cette analyse.