La robe de mes 9 ans

Je me souviens bien  de ce tissu car je n'avais pas souvent de vêtement neuf , en général je portais ceux de ma soeur aînée .  Heureusement pour moi, les soldes existaient déjà, et chez nous elles arrivaient sous la forme de grandes feuilles issues de la VPC des grands magasins parisiens ou du Nord :  Galeries Lafayette, Bon Marché, d'abord  La Redoute et les Trois Suisses un peu plus tard.

 Ma mère s'absorbait dans  ces feuillets de longues heures; nous n'étions jamais sûres  que ce ne serait pas "épuisé" le mot qui contenait toutes les déceptions et l'habitude du renoncement . Aussi commandait-elle plus, quitte à renvoyer le surplus s'il excédait notre budget. En général elle n'avait pas à le faire et il y avait toute une période où on attendait sans savoir si on aurait. Alors, évidemment le vêtement, je le rêvais , je le fantasmais un peu avant de le recevoir, ou pas;  inutile de vous préciser que ce n'était pas moi qui choisissais! Souvent quand il arrivait, il fallait attendre que ma mère ouvre le colis et répartisse son contenu.

Cette petite robe était taillée  dans une popeline d'un grain serré et quasiment inusable , la preuve , le tissu a tout de même plus de cinquante ans et n'a  perdu ni de ses couleurs ni de sa texture. Je crois que j'ai tout de suite aimé ses rayures, ce rose vif mais pas trop intense , et son association avec du brun, un tissu qui ne faisait pas enfant au sens mièvre du mot. Une étoffe qui a du caractère en gardant de la discrétion. De plus la robe était parfaitement coupée avec une vaste jupe froncée et un corsage à petits boutons. Elle a enchanté au moins deux de mes étés  (quand on grandissait trop vite, on rallongeait avec de l'extrafort), elle a vu mes jambes griffées,  elle est montée avec moi sur la balançoire ...

 

Et quand je suis devenue quilteuse bien longtemps après, elle a fait partie des premiers tissus que j'ai recueillis, plus que récupérés. Elle a trouvé asile dans de nombreuses compostions quand il me fallait des rayures ou du rose. J'espère que les photos montrent combien un tissu change d'aspect selon son voisinage exactement comme un mot dans un contexte. : il y a ce qu'il murmure  aux  fleurs et ce qu'il affirme près des carreaux...quand il se fond dans la surface ou quand il contraste... s'y intégre ou la divise....

Voyez-vous pour moi c'est là essentiellement que réside notre art et mon plaisir. Un rite d'intégration, de sertissage que ne peuvent guère comprendre celles pour qui acheter seulement  des tissus spéciaux pour patchwork  est prétendûment indispensable. La preuve que non et si on vous le dit n'y croyez-pas : vous en aurez la preuve ici, page après page, tissu après tissu. Même si des tissus achetés, oui, il y en a aussi dont je parlerai !

Ci-dessous de gauche à droite des détails de Stacked Bricks, Carrés noirs  qui sont des interprétations datant de mes débuts.

De Canicule et Toile ancienne qui sont des créations. Pour toile ancienne le matelassage est de Simone Struss sur long arm.

PS - Je rajoute ceci quelques mois après ... comme on sait, je suis une collectionneuse d'étoffes et j'ai un faible pour les collections d'échantillons ... et dans une acquise récemment de la maison Paris-échos des années 58 à 1962  le tissu ... de ma petite robe préférée pile poil le même, alors que la collection comporte des manques et que parmi les centaintes voire les milliers de tissus édités ... j'avais peu de chances que ça arrive. Voir la dernière photo pour l'anecdote !