Professionnelle ou amateur ?

 

Où je dois faire face à mon manque de profil ...

 

Il  est souvent arrivé qu'avant une publication en art textile, ou en art tout court  je doive remplir un questionnaire dans lequel  on me demandait si j'étais professionnelle ou amateur.

Question piège par excellence,  déjà, le mot amateur étant connoté négativement. Je ne l'ignore pas.

Je sais de quoi a l'air  un  vrai CV de vrai professionnel (le) en art et je sais assez que le mien ne peut pas ressembler à ces parcours .Cela donne école d'art , prix dans les concours expositions en galeries de préférence des vraies et des grandes ... ceci pour l'art tout court . Pour l'art textile , quand on n'a ni formation côté arts plastiques, ni cursus en école d'arts appliqués , qu'on sait juste tenir une aiguille et dire avec tout ce qu'on a à exprimer, ça ne fait pas sérieux .Reste le côté que je nomme "corporation" c'est à dire faire  partie d'une association censée promouvoir les artistes textiles, voire d'un club,  je  reviendrai  ailleurs  sur mon expérience en la matière pour ne pas alourdir cet article.

Je voudrais juste souligner le droit à être indépendante et autodidacte , comme n'étant pas forcément une moins-value de ce qu'on crée .Qu'on regarde les résultats sans préjugés ... si on le peut .

Il ya déjà et avant tout  le problème principal et crucial  de la nature de l'art qu'on exerce, et déjà moi j'en exerce trois, que j'aime à relier entre eux, ou à laisser indépendants au moins dans les résultats concrets que j'expose aux regards -virtuellement s'entend et par force-  .  On m'a souvent dit déjà qu'en art textile, j'avais le derrière entre deux chaises, ce qui signifie bien que j'aurais dû choisir mon camp , on sait pourquoi cela m'est impossible et combien je trouve cela absurde . Pour moi les cloisonnements sont faits pour les esprits qui ne gèrent pas la complexité du vivant , et aussi et surtout pour exclure , se donner le pouvoir de juger et jauger, aussi .

Car le problème est déjà là . Pour devenir "professionnelle" il faut savoir où on se situe et entrer dans une catégorie . Il suffit de lire les conditions pour postuler à la Maison des artistes .Le voudrais-je que je  ne saurais déjà pas sous quelle "enseigne" m'inscrire !

 En art textile  par exemple,   on le sait, être  "professionnelle" signifie souvent  si on veut en vivre : donner des cours , ou faire commerce de tissus .. faire les salons , si on a les moyens de louer un emplacement. Les galeries d'art , on le sait aussi,  ne nous sont guère ouvertes, et  fermées aux mosaïstes en tissus considérées -au mieux- comme des artisanes en "art apppliqué" même si elles ne le sont pas . Donc il faut des "à côtés" pour  vivre.

D'autre part, il y faut  aussi un réseau, de l'entregent comme on dit et on arrive mieux si on accepte de faire partie d'un groupe, d'un club ou d'une association  ou de travailler avec une revue qui a "opinion" sur rue.  Avec comme corollaire souvent de penser dans le droit fil et parfois de jouer les cire-bottes. Mais si on suit ses chemins sans  trop s'occuper de ces tendances, on passe à la trappe puisque les expertes qui élisent  sont souvent juges et parties ....

Nous sommes aussi  à une époque où tout est "cotable", tout fonctionne comme les cours de la Bourse. Ne parle-t-on pas d'artistes "émergents" comme de "pays émergents" en termes d'économie? Et qu'en est-il des artistes des fonds profonds ? Les plus nombreux comme les poissons des profondeurs et aussi inconnus qu'eux ! Est-ce parce qu'ils sont nombreux que selon le principe "ce qui est rare est cher" , ils n'auraient alors aucune valeur au plan esthétique ou artistique ? Ne peut-on envisager dans une conception moins élitiste qu'ils puissent être nombreux et  valoir ? On aime tellement les hierarchies, les aristocraties les podiums ... les top ten  qui donnent le pouvoir de sacre !

 On peut certes  tout à fait être artiste et se conduire comme dans les autres métiers: se promouvoir, essayer d'être visible, audible, et aussi un peu évidemment  être en compétition . Se promouvoir, c'est à dire se placer en avant. Au passage s'il faut un peu piétiner les autres , ça ne doit pas gêner trop dans une société style "loi de la jungle" et malheur aux losers.

On peut être de l'avis de Warhol qui estimait que faire des affaires est aussi un art . Mais si on n'a ni le don, ni l'envie, cela veut-il dire   que les oeuvres, elles,  ne valent rien ? Quel serait le rapport entre ces deux valeurs la commerciale et l'artistique ?  Et quelle serait surtout la compatibilité de cette compétence marchande avec la liberté de créer ? On passe du qualitatif au quantitatif par un tour de passe passe via la célébrité, l'argent , le nombre de clics ou de followers etc ...

Au nom de quoi tout à coup, ce qu'une oeuvre hors circuit, par force ou par choix,  pourrait avoir de profond et d'intéressant à communiquer s'évaporerait ?

 Pour moi l'art n'est ni un métier de commerçant, ni un sport, encore moins une compétition mais un art de vivre que je pratique avec bonheur et souffrance ce qui n'est incompatible que pour ceux qui se distraient . Je comprends que les autres prennent leur plaisir dans ce qu'ils nomment leur réussite . Pour moi réussir ne se situe pas dans ce jeu social accepté des renvois d'ascenseur, des petites ou grandes  hypocrisies acceptées, des vanités satisfaites. Et il ne le sera jamais. Et s'il l'était, ce que  je crée ne ressemblerait ni à ce que je fais, ni à ce que je suis au fond de moi . Je  ne veux pas payer ce prix .

 C'est pourquoi je suis pas à ce sens "professionnelle".

Je ne le suis pas non plus parce que  je veux ABSOLUMENT  être dégagée de la nécessité de vendre et ce, pour plusieurs raisons dont le temps que je passe sur certaines de mes oeuvres et qui me conduirait soit à les dévaluer, soit à en exiger, même au tarif SMIC , un prix exorbitant qu'on ne consent qu'aux arts majeurs et  aux personnes très célèbres et réellement cotées . Alors, sauf exception ,  plutôt que de vendre en dévaluant, je préfère donner ou garder pour montrer ici chez moi ou dans mes livres .

Est-on moins bon si on ne peut ou ne veut vendre ses oeuvres ? Et pourquoi dans ce cas n'a-t-on alors plus le droit du tout de les montrer dans le monde de l'art  ? Pourquoi alors n'auraient-elles droit qu'à l'oubli ? Hors des lois de l'argent et du marché point de salut ? On ne sera jamais qu'un écrivain-artiste du dimanche, un dilettante sans importance ... voué à la "petitesse" et la médiocrité déjà par le choix d'un de ses arts ou du moins sa manière de l'exercer  . -les grands sont célèbres et les célèbres sont grands- et les "si vous aviez du talent, ça se saurait, forcément " ; il faut vivre avec, sans se décourager jamais.  Vivre avec les ricanements, les airs entendus, les diverses condescendances , les incompréhensions , les "alors tu fais toujours de la couture" ....les "ça t'occupe" " .etc.

Mais comme c'est lourd parfois !

Mais si on entend par professionnelle,  les exigences de mes arts, alors là oui. Le  temps que j'y passe et qui n'est pas seulement le temps de réalisation  mais aussi  ce temps intérieur des gestations .La passion et non seulement la sempiternelle "patience" .

Je sais concevoir un projet par moi-même et le mener de bout en bout selon mon dessein, que ce soit un livre , une oeuvre textile ou des images numériques .J'ai en moi cette force, qui est ma force vitale même. Mais je ne suis qu'amateur  donc vaguement méprisable , selon les lois qui régissent ma condition .

Ainsi y- a- t-il chez moi des livres que la plupart du temps je fabrique ou fait imprimer moi-même -  ça ne donne pas envie de les lire, n 'est ce pas ? -    des quilts (dont la seule "gloire" sera de servir de modèles à des ouvrages  dits de dames ) ,  des oeuvres textiles en tout genre et des centaines d'images numériques que je n'ai ni envie  ni moyen de matérialiser toutes . Tout cela disparaîtra avec moi . Je ne l'ignore pas . Est ce mérité, ce n'est pas à moi de le dire.  Je parle pour les oeuvres , non pour moi-même, cela me serait égal de rester anonyme, j'ai toujours rêvé d'oeuvres appréciées  pour ce qu'elles sont , et non selon le degré de célébrité de qui les crée qui donnerait  valeur (artistique ou marchande?°) à absolument tout ensuite .

Et si j'étais la seule en ce cas, je me donnerai pas la peine de l'écrire ici .

 Bref j'ai fait ce  que je voulais : une oeuvre polyvalente chatoyante  et multiple, une oeuvre qui est ma vie profonde et que j'arrive à partager au moins un peu via le net et les réseaux sociaux,  avec les vrais amis que je remercie au passage;  sans eux, j'aurais manqué  si souvent de courage.  De temps à autre quelqu'un vient la visiter et c 'est un bonheur de partage . C'est tout mon droit, et tout mon lot .

Pas une carrière de professionnelle entre deux expositions ou deux publications puisqu'on ne m'en juge pas digne. Pas une carrière d'amateur au sens de personne qui se distrait . Une existence entre deux ... avec des oeuvres qui seraient comme des enfants nés, mais qu'on n'aurait pas le droit d'inscrire sur aucun état -civil , n'ayant donc aucune existence légale. De tels enfants seraient-ils moins  intéressants , moins vivants que les autres ?