Du matelassage et de quelques autres diktats ...

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Matelassge main au fil métallique sur Jour de fête

 

Comme je l'ai dit dans mon article récent   "le bonheur en lisière",  j'aimerais revenir  sur une  sur des choses qui m'a le plus surprise, voire gênée, à mes débuts.

 J'étais partie pour assembler des étoffes, ce que le mot patchwork implique. Et c'est toujours ce qui me semble, à moi ,l'essentiel de mon art : un art d'assemblage de l'hétéroclite, parfois, proche aussi du collage où la surface prend son aspect et sens par le rapprochement d'étoffes pas faites forcément pour aller ensemble.

Voilà que m'instruisant  sur l'art textile, je découvrais l'obligation du "quilt" à l'américaine, tradition héritée des pays froids de notre Europe (ou de certains pays  d'Asie antérieurement ) Du moins et surtout quand on élisait, comme source graphique, les géométries en carrés appelées "blocs" ...etant donné leur classement "traditionnel" sans  discussion possible, evidemment la tradition imposerait etc...

Or pour  moi un patchwork n'est ni forcrment un quilt ,ni même forcément en tissus (j'ai commencé avec du papier pour décorer des boîtes!) , c'est un art proche de la mosaïque et de la marqueterie. Le quilting ou matelassage qui prend toute sa beauté sur de grandes surfaces unies  en est un autre. Croiser ou ne pas croiser les deux me semblait  devoir être un choix incombant  à la personne qui conçoit la surface textile en vue d'une expression personnelle.

Eh bien non!  parce que très peu de quilteuses agissent en créatrices... mais en couturières appliquées ..et obéissantes     à ce qu'on leur inculque.

 Certes, quand on raisonne couverture  ou objet décoratif à poser sur un lit , on comprend que la tenue soit nécessaire et l'ajout d'un molleton et de pîqûres est un moyen de la donner. Mettons aussi que si on aime ça, que c'est un processus d'appropriation, de prolongement du plaisir en quelque sorte, là je comprends !   Mais quand on n'aime pas et qu'on s'y force, parce qu'on vous a dit  que sans cela , votre ouvrage,  perdait toute "valeur", était imprésentable à quelque expo-concours que ce soit là .ou encore "pas fini, incomplet .."ou encore qu'une mosaïque régulière d'étoffes DOiT IMPERATIVEMENT être matelassée .. .je m'interroge, et je vous invite à en faire autant (un art où on ne questionne plus rien est mort.)

Certes,  les dessins du matelassage ont en eux-mêmes une valeur esthétique et parfois symbolique. Une "autre lecture" lit-on souvent .Seulement l'ajout de quelque chose à la surface devrait être du ressort du créateur, non de l'obédience à une tradition . Et si on ne ressent pas l'envie de rajouter cette "lecture-là" , on aimerait bien ne pas y être plus ou moins forcé(e). Un peu comme pour une photographie, où on est libre  de choisir un aspect brillant ou mat pour les tirages, selon ce qu'on veut créer comme effet . Là , non , matelassage sur trois épaisseurs obligatoire matelassées . sans discussion .., au point que j'ai pu lire dans un livre  écrit aux USA , que pour certains concours, en contemporain,  on "trichait" avec la règle en incluant du tissu entre deux épaisseurs de tulle, l'essentiel étant de respecter le diktat ! De fait, ce contournement est en l’occurrence inventif, mais  ce n'est pas toujours le cas.

On devrait toujours avoir le choix , et ne pas être jugée selon des a priori.

 On se demande aussi parfois-est-ce avoir mauvais esprit ou être simplement réaliste? et voir plus loin que le bout de son aiguille --  quel est l'intérêt des marchands surtout de molleton et des pays producteurs de coton ,  dans  cette affaire...

                                   

 Ainsi ai-je i décidé il ya déjà longtemps déjà,  une fois l'assemblage fini de me poser ces questions :

- Est-ce que moi en tant que conceptrice de ma surface je la veux matelassée ?

-Si oui, main  ou machine  sachant que pour moi aiguille ou machine sont deux outils  dont les résultats différent dans l'aspect et que l'un ne serait pas "artisanal-traditionnel" et l’autre "industriel"?

  - Par moi ou par une professionnelle qui pourra plus aisément que moi qui ne suis pas équipée réaliser les dessins souhaités ? Et ce sans le dissimuler pour faire croire que tout est de moi parce  que ce serait une honte de "déléguer" .

-   Sinon:

- est-ce que je veux plutôt rebroder, fixer avec des perles ou tout autre chose

- et même ne pas fixer du tout, juste doubler si les tissus utilisés ne me semblent pas nécessiter autre chose, comme dans ce  "Cocktail" fait de voiles de soies naturelles:Cocktail8 3

 

 

Ce qui semble surréaliste à la plupart des dames à qui j'en parle .On me dit  "mais alors comment ça tient ?

D'abord sur un petit format la bordure suffit à fixer , ensuite on peut "baguer" comme  on le fait pour les crazys quilts  c'est à dire retenir à petits points invisibles ça et là , ou bien sur deux épaisseurs , cousues comme un coussin sans rembourrage , puis repiquées ensuite sur l'endroit à un centimètre du bord ça ne bouge pas ou très peu .

Sauf à faire un très grand ouvrage . mais si on ne pense  pas  "couvre-lit " pourquoi s'obliger aussi à des grandes dimensions ? A-t-on besoin de 150 couvre-lits ?

Et si on concevait dès le départ sa surface comme une oeuvre textile et pas comme quelque chose qui doit ressembler à ci ou ça parce que c'est comme ça qu'on a toujours fait ? On a un patchwork et pas un quilt et alors, la belle affaire ? Des patchworks non quiltés les livres de "traditions" autres qu'anglo-saxonne ou du nord  de l’Europe en sont pleins et au nom de quoi serait-il interdit d'emprunter la géométrie aux uns et l'absence de molleton et  matelassage aux autres ?

Eh bien je suis certaine que si je présentais un tel ouvrage à quelque sélection que ce soit un quilt géométrique juste doublé, on le refuserait comme non conforme au vu que les normes couturières l'emportent ...

Mais conforme à quoi ? Les personnes qui édictent les règlements sont-elles allées voir un peu plus loin que les poncifs véhiculés par les revues depuis plus de trente ans ? Lesquelles revues vivent aussi de l'argent de leurs annonceurs qui vendent tout ce qui est toujours présenté comme indispensable , ou obligatoire pour faire du "vrai" patchwork . eT je rappelle que les USA producteuys de coton ont intérêtà ce que le molleton soit "obligatoire" même s'ils vendent aussi du synthétique . Ne soyons pas naÏves, non plus ! Revendiquons donc cette liberté de laisser, si on le désire nos tissus libres ...si on le  sent ainsi, et si l'intérêt de la surface vient de la manière dont les tissus sont agencés,  on prendra l'habitude d'un autre aspect, où les tissus bougent  .. et oui parfois plissent et gondolent  et de regarder autrement, surtout. plutôt que de penser "défaut" "mal cousu" ce qui ne plaide vraiment pas en fonction de l'intelligence du copeur et de l'esprit   Le rêve impossible ! du moins quand on veut s'insérer dans ladite "corporation" ...
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Un avenir radieux -quilt non matelassé , avec tissus qui bougent -et c'est voulu    -ainsi le reflet des soies et velours se voit sous différents angles - serait refusé pour vice de forme, très probablement ,selon les critères actuellement en vigueur .

 

 A propos d'autres diktats celui de la perfection" technique des points invisibles notamment. Je voudrais vous raconter que le premier tableau que j'ai vendu en galerie d'art portait sur les bords des points d'ourlet bien visibles. Je sais fort bien faire des points invisibles, mais là il s'agissait d'une illustration de mes poèmes et donc je ne le sentais pas ainsi. J'ai montré l'objet à une amie qui a souligné du  doigt  les points  d'ourlet regrettant qu'ils soient si apparents et de biais, la norme étant des petits points droits. J'ai essayé d'expliquer mais une vision normative n'admet pas d'autre point de vue que celui de la norme. Rentrée chez moi , j'ai failli défaire et refaire et puis quelque  chose en moi m'en a empêchée.

Le jour de l'exposition des acheteurs  ont pris l'objet dans leur main . Ce qui leur plaisait à eux c'était cet aspect-là ces points qui visibles signifiaient quelque chose et n'étaient absolument pas perçus comme un défaut;Tout au contraire. Pas plus que des mots écrits nerveusement sur du papier  ne sont une "erreur" par rapport à une calligraphie , mais deux aspects différents de l'acte d'écrire que je pose en parallèle à l'acte de coudre.A méditer par les maniaques de la perfection qui n'a de sens que si on se borne à l'exécution aussi  accomplie que possible, d'un modèle créé par quelqu'un d'autre ou par rapport à un objet qu'on veut réaliser. il va de soi que lorsque je fais un vêtement ou un sac,  je n'ai pas la même optique du tout .

 

Jacqueline fischer art textile text iles exposition 2004 galerie racine 4

On ne voit pas les points d'ourlet incriminés .... mais c'est le seul cliché de détail qui me reste .

 

 

 Point de vue ouvert,  qu'on n'arrivera jamais  à faire admettre à aucun jury de la corporation dans le monde (-et surtout pas aux USA qui donnent le ton et vendent mille gadgets pour être "accurate" c'est à dire  "précise" et où on voit dans certains livres des motifs coupés de façon totalement inesthétique pour respecter l'équerrage ! )

 

 Autre expérience ,avec cette œuvre, intitulée Pôle Position , où j'avais expliqué - puisqu'on demandait un document d'accompagnement - pourquoi la surface n'était pas "lisse". Pour moi la glace des pôles , dans la nature, sûrement cassée par endroits, voire en éboulis,  n'est pas forcément une patinoire...de compétition. . Refusé pour vice de forme       et "gondolis" ...

 

P le position d tail jfischer

 Vice de forme !

 

.C'est à dire qu'on juge  l'esthétique non par rapport au sens et à l'essence  du tableau, mais en couturières. Et cela fait la différence essentielle entre ce que je veux moi  créer et ce qu'il faut, normativement et impérativement obtenir.. Et pas moyen de faire bouger d'un pouce les certitudes sur ce point. On regarde toujours cela comme si c'était du prêt à porter ! On parle toujours d'améliorer sa technique", '"son niveau" comme si c'était justement du sport de compétition, mais si c'est pour la virtuosité, quel intérêt ? Ainsi dans un poème aussi , il m'est arrivé de laisser des répétitions parce qu'user d'un synonyme aurait changé à la fois le sens et la musique : et une répétition est jugée "erreur ou négligence  de style" par les puristes ...

Les castrateurs se portent bien partout, ça leur donne pouvoir sur, sans doute ..

 

Pour moi la précision n'a de sens que par rapport à la signifiance. Ou comme j'y reviens toujours :  les coups de pinceaux du peintre, qui chez les plus grands sont très loin d'être posés en  vue de couvrir "parfaitement" la surface. A regarder de près on voit si  l'artiste est calme  ou habité de sa passion, il arrive qu'il reste des  blancs ... Et qu'on ne me dise pas "parce qu'ils sont grands et célèbres" ils ont tous les droits! Pas de privilège  régalien ! Nous sommes égaux en droits , sinon en talent .

Il faudrait arriver à une couture libre mais libre pas seulement dans ce que je nomme l'art textile "branché". Dans une surface quelle qu'elle soit la liberté serait de matelasser ou non, de lifter ou non, de rajouter ou non, de montrer les points ou non .. . de les faire droits ou en biais, grands ou petits, réguliers ou irréguliers , car sans cela on reste dans le pur formel du décoratif au mauvais sens du terme;  et de ne pas toujours penser à une "incompétence technique" ou à une "faute" , devant une liberté ..ce qui est un comportement castrateur sous couvert "d'exigence" . Ces exigences sont à appliquer à soi-même, si on y tient. Il n'y a "mal fait" que si forme et vision intérieure de ce qu'on voulait obtenir ne coïncident pas et là encore l'erreur peut-être plus inventive que la conception première . L'admettre nécessite de réfléchir un peu sur sa pratique au lieu de suivre en mouton discipliné les directives sempiternelles des "maîtresses en couture" qui sévissent surtout dans le domaine de la géométrie en blocs ...

Autre réflexion que je me suis faite; en maintenant ces normes de perfection style 'fini-fini" chiadé, on maintient aussi volontairement l'art dans son côté artisanal. On entend dire :  "je n'ai pas d'imagination , mais au moins ce que  je couds est bien cousu" . Cela est-il vraiment louable ? Faut-il applaudir ? Et si on commençait à essayer de coudre en accordant ses points leur orientation, leur dimension, leur régularité- à son humeur, son élan, ses envies du moment ...

 Tout est là : entre un regard de couturière et un regard  d'intelligence sensible. Je préfère de beaucoup le second et je dois dire  ce n'est pas souvent dans les milieux patchwork art textile que je l'ai rencontré. Pour ne pas dire : quasi jamais !  Dommage (moins pour moi que pour l'évolution de cet art hors du panier   à ouvrages !).