Faire , interpréter, créer...

Polémique ?

Notre petit monde de quilteuses et brodeuses est souvent agité de débats-une passion qu’on dit bien « française », mais qui ne ne me semble pas l’être exclusivement à lire certains blogs anglo-saxons. 
J’aimerais ici exprimer mes opinions sur quelques points, 
plus librement qu’on ne peut le faire sur un Forum -où on risque toujours de blesser involontairement un interlocuteur qui prend pour lui une généralité qui ne le vise pas en particulier. 
Pas pour prêcher dans mon désert et être sûre d’avoir raison. Tout au contraire, je sollicite vivement vos opinions et réactions, surtout si vous n’êtes pas d’accord. 
Et je ne trouverais pas cela « polémique » …mais enrichissant.  
J’ai la conviction intime que des points de vue apparemment divergents se complètent souvent, et montrent mieux les facettes de la réalité qu’une opinion toute faite et intangible, imposée comme vérité unique dont on ne démord pas. 
Le monde, comme le patchwork est fait de variété, de mouvances, de vibrations et l’harmonie jaillit tout aussi bien de la polychromie que de la monochromie, de l’accord parfait et de la discordance voulue. Tout ce que je crée tend vers cette évidence.  
 
Ce que je vous livre donc c’est plutôt questionnements dus à mes propres contradictions que certitudes assénées comme on en trouve souvent. 
Juste des idées, que j’assume, mais qui restent sujettes à révision de ma part. 
 
I-Création- exécution –interprétation-composition 
 
Faire du patchwork (ou de la broderie), il me semble que cette expression recouvre des pratiques bien différentes et qui ne sont pas suffisamment différenciées, surtout dans l’esprit du public. Il y a « public » dès que l’on montre en dehors de la sphère privée. Et en particulier, dans les expositions, les revues ou internet. 
Une femme achète un magazine, un kit ou un patron et confectionne un quilt d’après un modèle en le respectant à la lettre. Elle fait du patchwork. 
Une autre-et c’est peut-être la même- va s’éloigner du modèle et placer ses propres tissus, ses propres couleurs. Elle fait du patchwork. 
Une autre encore (et c’est peut-être encore la même) va composer elle-même : décider des motifs, de leurs placements, de leurs proportions, des couleurs, des valeurs, choisir les étoffes elle-même. Elle fait du patchwork. 
Pour celui qui regarde de l’extérieur, sans savoir, c’est le même travail. Pourtant la première exécute, la seconde interprète, et la troisième crée. Ce qui n’est pas du tout la même chose.  
Sur les blogs et les sites bien souvent les quilteuses présentent leurs ouvrages comme si la composition était d’elles, et ce n’est préjudiciable qu’à celles qui créent, puisqu’on croit qu’elles n’ont fait qu’exécuter ou interpréter.Toute la part d’élaboration, de composition personnelle de leur ouvrage est le plus souvent niée. 
J’ai même vu sur un site des copyrights réclamés sur des modèles exécutés d’après des patrons ou des livres achetés aux USA. 
D’accord le travail est magnifique, il y a sans doute une part d’interprétation personnelle, mais l’exécution ou l’interprétation ne sont pas de la création personnelle, qui n’est pas invention –j’en parlerai après- mais composition. 
Créer c’est avant tout choisir et composer. Pas à partir de rien, mais pas non plus en imitation ou démarque fidèle de la composition d’un autre et ce, sans reconnaissance de source. Donc de dette. Et qu’on crée à partir d’un bloc traditionnel, d’une photo de paysage ou d’abstractions empruntées à la peinture n’y change rien. 
Avoir un point de départ n’est pas copier. 
La loi autorise le mot « création » pour tout ce qui comporte un « caractère de nouveauté », c’est à dire quelque chose qui n’existait pas avant sous cette forme, pas quelque chose qui ne ressemblerait à rien d’autre créé sous le soleil depuis que le monde existe. Ce serait, du reste, invérifiable. 
La loi reconnaît aussi la liberté de l’inspiration. Elle précise quand même que changer quelques détails n’est pas donner à l’oeuvre ou l’ouvrage un « caractère de nouveauté », donc la « légende » qui veut qu’on puisse s’approprier n’importe quoi en changeant une couleur est une fable ainsi que celle des « trois choses » qu’on aurait changées…et qu’on enseigne encore dans certains clubs de patchwork. Ce n’est pas légal. 
Créer c’est composer et composer n’est pas « changer »une base existante : mettre un tissu bleu à la place d’un autre tissu bleu, un fleuri de même style à la place d’un autre, inverser l’ordre des blocs, changer la bordure, c’est démarquer, peu ou prou de la contrefaçon (le terme de plagiat est réservé à la littérature). 
Si c’est pour le divan de son salon, on peut tant qu’on veut, le problème surgit quand on montre à un public virtuel ou réel en ne citant pas la source, l’oeuvre première. Le fait qu’elle soit elle-même inspirée de quelque chose qui existe déjà n’est ni aux yeux de la morale, ni aux yeux de la loi une excuse valable pour laisser croire qu’on a créé quand on a, surtout, suivi. 
On en est au point qu’on ne sait plus ce qu’on regarde, et beaucoup vous diront : peu importe si c’est beau et que ça nous plaît. 
J’ai fait des quilts à partir de plan de quilts d’autres quilteuses ; il est certain qu’en changeant les couleurs et les valeurs j’ai accompli un gros travail d’interprétation personnelle, mais cela ne suffit pas aux yeux de la loi à donner à mon quilt un caractère de nouveauté tel que je puisse me dispenser, en cas de publication de demander autorisation à l’auteur de l’oeuvre première et de le citer.  
En revanche si j’utilise un recueil de blocs traditionnels mais que je compose moi-même, je suis considérée comme la créatrice, puisque je ne pars pas d’une œuvre accomplie, le bloc en noir et blanc , tombé dans le domaine public, est une source, comme le paysage ou le modèle du peintre.  
Dans les années 1980 est paru un livre de Denyse Saint-Arroman intitulé « Créez votre patchwork vous-même », il s’agissait bien de composer à partir de blocs traditionnels donnés en noir et blanc. 
Un logiciel comme Block base, que j’utilise, en propose des milliers et les combinaisons sont infinies, elles vont bien plus loin que la simple juxtaposition doublée d’un « coloriage ». Et même une simple juxtaposition si elle est soutenue par des couleurs, valeurs et tissus placés avec sa personnalité peut présenter ce fameux « caractère de nouveauté » dont parle la loi. 
Il se peut bien sûr surtout si on utilise toujours les mêmes blocs (je songe au log cabin) qu’on retombe sur quelque chose de proche d’un modèle existant. 
Et c’est là, évidemment que le bât blesse et donne de l’eau au moulin des contemporaines et artistes textiles qui se posent en « vraies créatrices ». 
Tout dépend du point de vue : si on juge que l’essentiel du travail est sur le dessin, elles ont raison, mais si on considère qu’il est essentiellement sur les étoffes, leur choix et leur association, alors, c’est plus discutable. 
La composition, les couleurs, les valeurs, la taille, les proportions le choix des étoffes surtout sont considérées comme propriété intellectuelle personnelle. Comme en point compté le travail de composition réutilise bien souvent des motifs ou séquences de points existants, mais il est une composition personnelle qui inclut le placement, le choix des fils et des couleurs. 
Si le dessin est récent et original , il va de soi qu’il ne peut être utilisé comme source sans l’aval de son créateur, même si on change des détails. 
Bien souvent on confond copier et utiliser une source ancienne légalement utilisable pour composer. Cela ne me dispense pas de citer le nom de ce bloc.  
Cela dit je ne connais pas l’auteur du premier carré tracé par le premier « artiste ». Et bien des motifs géométriques utilisés dans le patch américain remontent à la nuit des temps. 
C’est pourquoi je préfère dire « inspiration à base géométrique » que « traditionnelle »(la tradition du quilt, ce n’est pas que la géométrie en bloc) ou « américaine ». 
 
Ce serait beaucoup plus clair si on disait nettement : « fait d’après un modèle de… » et même s’il s'agit d’une photographie, d’un peintre, et même si les sources sont multiples, ça peut être intéressant de les connaître, de même que si c’est la technique qui donne son aspect particulier à l’œuvre (je songe à certains pliages, ou assemblages en bandes) pourquoi ne pas le dire ? 
Ce serait plus honnête et plus instructif. 
Encore faut-il qu’on n’ait pas à payer des droits exorbitants pour avoir par exemple adapté une photo en patchwork ou broderie ou à être taxé de manque d’originalité parce qu’on a une source reconnaissable. 
 
D’autre part, une exécution parfaite d’un ouvrage difficile c’est une forme d’art, au sens de la maîtrise technique et de la virtuosité. On s’est toutes un jour exclamées « c’est du grand art » devant ce type de réalisation, qu’il faudrait éviter de mépriser côté créatrices. 
Surtout si créer consiste à bidouiller un magma confus de fils et de morceaux en vouant l’esthétique au hasard et en adornant le résultat d’un titre abstrait pour faire conceptuel. 
Je déteste viscéralement la supercherie et la prétention de certaines démarches surtout quand elle se double de condescendance à l’égard de nos géométries travaillées avec cœur, passion et parfois modestie. 
Je n’ai pas vocation à respecter qui méprise. 
Il faut beaucoup d’humilité- ou de passion !- pour rester sa vie durant fidèle à un art dont on sait qu’il sera toujours mésestimé. 
 
II -Et si on parlait de l’imagination ? 
Je pense notamment aux critiques sur le soi-disant « manque d’imagination », qui visent d’ailleurs aussi bien celles qui exécutent ou interprètent un modèle traditionnel qu’elles n’ont pas créé, que celles qui en créent .Il suffit de songer à l’élégante expression « resucée de traditionnel » pour stigmatiser celles qui comme moi créent avec la géométrie. Quand j’écris « mépris », je sais de quoi je parle. 
D’abord, on peut exécuter un modèle et avoir de l’imagination. On le reproduit parce qu’on a envie de le posséder à l’identique, on le trouve beau ainsi. Et on peut très bien savoir aussi à côté inventer ses propres modèles. Cela peut même être une façon d’apprendre et de se détacher de ses apprentissages, justement par le biais de l’interprétation personnelle. Mais ça peut être aussi une démarche délibérée, qui vise à reproduire pour obtenir quelque chose de ressemblant. Que ça puisse être sans intérêt pour celles qui n’aiment pas est une chose, dénigrer systématiquement celles qui suivent des modèles comme des personnes sans initiative en est une autre.  
Ce n’est pas parce qu’on a assorti trois tissus toute seule et qu’on les a cousus en grands morceaux irréguliers qu’on vaut plus que celle qui reproduit un magnifique quilt ancien d’exécution difficile. Ni moins, d’ailleurs : c’est deux façons de travailler différentes. 
Et le comprendre c’est déjà un peu mieux s’entendre et se respecter. 
 
Et quand on crée à partir du traditionnel, on ne voit pas en quoi ce serait une démarche inférieure au plan de l’imagination.  
Il faut bien une sorte de vision intérieure de ce qu’on veut obtenir ou plus modestement, des idées.  
J’ai noté qu’on a l’habitude de considérer que le régulier et le symétrique sont du côté du « non original sans imagination », tandis que tout ce qui est irrégulier et asymétrique, ce serait l’inverse. Alors que souvent quand on regarde une oeuvre textile où on a mixé fils, tissus et autres ingrédients selon la recette trouvée dans le magazine X à la page Z, on a compté sur le hasard autant que sur son imagination… c’est invérifiable alors évidemment, de là à crier au génie devant chaque agglomérat de fils peints teints et texturés selon les techniques qui viennent de sortir… il n’y a qu’un pas et de là à s’imaginer qu’on est supérieure en tant qu’artiste ou plus créative parce qu’on a cessé d’assembler des étoffes pour les coller et les brûler.. il y en a un autre . Très vite franchi. Je peux en attester. 
C’est un peu facile. 
Qu’on ne me fasse pas dire ce je n’ai pas dit.  
Bien sûr certaines d’entre nous- et j’en connais qui se reconnaîtront !- savent travailler merveilleusement avec des matériaux nouveaux et des formes libres, les rebroder, les retravailler, en faire un mode d’expression vraiment personnel.  
Original, c’est autre chose et innovateur aussi.  
Petit exercice à pratiquer : 
Prendre des livres sur ces techniques dites originales, innovantes et papier, et un crayon : et noter toutes les ressemblances de composition de couleurs de matières et de formes (comptez par exemple les spirales,les carrés plus ou moins réguliers, les labyrinthes ; les dominantes de teintes : rouille, le bleu et or..).  
Ne me dites pas qu’il n’y en a pas. J’ai fait ce travail. On peut effectuer la même recherche sur les quilts contemporains ou art quilts des années à 1980 à 2000.  
Combien de carrés irréguliers superposés, de bandes de motifs dits déstructurés ? 
Je n’affirme pas cela dans le but de dévaluer ces œuvres qui sont magnifiques et que j’admire souvent.  
Mais dans celui de démystifier, de bousculer les idées reçues style « ça c’est plus novateur », « ça c’est plus contemporain » « c’est plus créatif » et le maître mot « c’est plus artistique ».  
Ah oui ?Mais que quoi ? 
Mais que notre cher bon vieux patchwork, même si on le pratique comme une création authentique. 
La première qui crée la recette de la technique innove, les autres utilisent cette recette comme on utilise un modèle, l’imitation n’est pas dans le dessin puisque celui-ci doit parfois au hasard, comme je l’ai dit, mais dans la texture obtenue en mixant les éléments. Le problème est que cette texture est présentée comme le fin du fin en matière d’art textile, vouant la simple surface d’étoffes assemblées au rang d’ouvrage de dame utilitaire ou de passe-temps « reposant » après ces efforts de création et d’innovation intenses. 
On peut tout aussi bien innover par un simple assemblage de tissus , une composition peu rebattue sinon « originale ». Et on peut créer quelque chose à « caractère de nouveauté » selon la loi sans révolutionner l’art textile à chaque point d’aiguille. 
On copie quand on reproduit une œuvre aussi ressemblante que possible à l’original, on crée par composition et inspiration plus ou moins multiple et variée dès qu’on emplit une surface blanche. Entre les deux on interprète. Je pense que l’excellence ou la médiocrité existe dans ces différentes pratiques.  
On remplit un vide, on ne part pas du vide. Un artiste qui prétend tout inventer tout seul n’est pas un artiste, c’est un prétentieux doublé d’un imbécile. Je vous conseille de lui rétorquer : « et ça se voit ! » 
III Vous avez dit « évolution » ? 
Et créer, ce n’est pas seulement faire du jamais vu, ou du tout nouveau tout beau. J’ai observé à cet égard, bien des orgueils –souvent niés- bien des mépris à l’égard de tout ce qui s’inspire encore soit de la géométrie, soit de la tradition. Je trouve cette attitude qui se veut d’ailleurs « ouverte » complètement fermée, qui ne voit l’évolution que dans un sens, celle d’un changement rapide, fonctionnant parfois par tocades : on teste une nouvelle recette, on en épuise ( ?) vite les ressources et puis on saute sur un nouveau produit tellement plus « génial » qui vient de sortir, et ainsi de suite ;et on croit être un (e) artiste qui évolue dans ses pratiques, alors qu’on confond son évolution personnelle avec celle des modes successives que l’on trouve dans les revues et livres branchés. 
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Mais pourquoi considérer la géométrie régulière comme un stade à dépasser ? Et regarder celles qui l’emploient encore comme des personnes qui feraient « toujours la même chose » par une sorte de « routine », de confort? 
Cela fait plus de 20 ans que je crée certaines de mes surfaces avec pour point de départ un dessin ou plusieurs issus de la tradition ; je trouve toujours à m’exprimer ainsi, et de façon renouvelée et non « stagnante » comme il m’a été dit. Évidemment si la novation ne peut venir que du matériau et non de l’expression elle-même un peintre innove en faisant de la sculpture (ou du vélo ?), et une quilteuse ne saurait évoluer qu’en fuyant vers d’autres matériaux (plastique, métal etc.) et d’autres manières d’assembler (collage) ou de traiter le tissu (le peindre, le brûler). 
C’est une voie de transformation radicale, ce n’est pas une évolution du patchwork, qui continue d’exister fort heureusement en tant que tel c'est-à-dire d’assemblage d’étoffes . 
Je ne vois pas comment un mode d’expression aussi infini pourrait être épuisé. Surtout quand il s’ajoute à l’infini des tissus… 
Il faudrait réfléchir au fait que si le patchwork évolue, il n’a pas à être autre chose que ce qu’il est : un assemblage de tissus, au départ disparates. C’est l’assemblage, l’harmonie des couleurs et des valeurs au sein d’une composition en tissus qui est l’essentiel de cet art ;un art éminemment visuel et tactile. Textile donc et qui se suffit à lui-même ,peut encore donner des réalisations nouvelles et n’a pas besoin de servir d’apprentissage pour un art textile où peu à peu le textile est considéré autrement et souvent de manière pour le moins curieuse . 
Ainsi j’ai pu noter en plus de 20 ans de pratique les préjugés venus de tendances imposées par une sorte d’intelligentsia invisible. Il doit y avoir quelque part des personnes qui décident que tout ce qu’on faisait ou utilisait jusqu’à présent, ça n’a plus de valeur et qu’il faut absolument faire autre chose autrement, et surtout avec d'autres matières, comme si, précédemment on faisait vraiment toujours la même surface. 
IV –Pauvres tissus tout faits … 
Ainsi assiste-t-on à la dévalorisation progressive du tissu acheté (même récupéré ) imprimé au profit du tissu peint ou teint (fuite vers l’art supérieur et reconnu qu’est la peinture) alors qu’une artiste comme Ruth Macdowell , par exemple utilise merveilleusement des tissus à carreaux ou à imprimés fleuris pour construire des paysages qui n’ont rien de naïf au mauvais sens du terme. Et moins connue, l’anglaise Edrica Huws, qui abandonna ses pinceaux pour composer avec des étoffes, de modestes chutes issues de vêtements à carreaux, fleurs , rayures et sans trop se soucier des normes de couture, des tableaux d’une beauté à couper le souffle. 
Ainsi la création d’un art textile, à côté du patchwork, qui en vient à fuir le tissu…ou à juger que seul il n’est pas une matière assez noble pour l’expression artistique. Qu’on m’entende bien ; ça ne me dérange pas qu’on préfère les mixed media pour s’exprimer, ce qui me dérange, c’est d’une part qu’on nomme « textile » ce qui ne l’est pas, d’autre part qu’on sous-entende que cet art-là serait seul créatif ou nécessiterait plus « d’imagination. » 
Sans jeu de mots, c’est quelque peu tirer la couverture à soi. 
Je rêve d’un respect de la création en textile qui passerait par la reconnaissance aussi des créatrices à inspiration dite traditionnelle, et une compréhension de ce qu’est le patchwork, dans ses particularités. On en est très loin. On présente quasiment toujours le patchwork traditionnel un stade bon pour les débutantes. Combien de fois ai-je lu : « j’ai commencé par le traditionnel et puis j’ai fait du contemporain ou de l’art textile ». Distinction fondée sur une évolution qui nie ce qui a précédé comme ne pouvant plus se développer ou évoluer autrement qu’en devenant autre chose totalement. 
V-Normes et perfection 
Autre écueil pour celle qui aime assembler et considère que c’est l’assemblage harmonieux qui est l’essentiel pour s’exprimer. Il lui faudra cette fois affronter les pointilleuses du petit point, voire les querelles main-machine… 
J’admire bien sincèrement celles qui sauraient concilier perfection technique et expression personnelle libre, mais je crois que ce n’est pas toujours compatible . La perfection telle qu’on la conçoit dans la couture requiert une régularité notamment des points qui ne saurait convenir à tout ce qu’on veut exprimer. 
Il ne s’agit pas, comme pour la langue, d’une syntaxe dont le respect permet seul la compréhension, mais d’une norme imposée. 
Avant de crier à la maladresse ou au travail salopé, il conviendrait de regarder vraiment et de concevoir que la norme qu’on s’impose n’est pas forcément celle de toutes. Et n’a pas à l’être. Accepter que l’autre ait une façon de coudre précisément comme chaque peintre a sa façon de peindre, et que ce qu’on estime imparfait n’est au fond « qu’irrégulier ». La perfection du vivant est rarement régulière : regardez des feuilles d’arbres, toutes ressemblantes, toute différentes.  
… Et si vous préférez une rigueur mathématique, vous pouvez vous l’imposer à vous-même tant que vous voulez. N’en faites pas une règle qui devrait régir les productions des autres. 
 
Ah : l’œil acerbe de celles qui visitent les expos ou regardent à la loupe pour voir si les points sont apparents, si par hasard il n’y a pas un décalage visible même au microscope électronique, un carré qui ne serait pas si carré que ça…et la jouissance qu’elles semblent tirer de la constatation d’une erreur me paraît navrante. Pour elles s’entend. 
J’ai coutume de dire qu’avec un compas dans l’œil et une pointe d’équerre dans le cœur on ne voit rien et on ne sent pas davantage. 
Va-t-on au musée regarder si d’aventure le peintre n’a pas laissé des blancs dans sa toile ?Aurait-il dû peindre comme on repeint le mur de sa cuisine ou de sa salle de bain, surface impeccable, poncée ?  
On voit bien que le point de vue n’est pas le même ; selon qu’on destine sa surface à un usage ou un autre. 
J’ai toujours sacrifié l’extrême précision à l’expression de ce que je voulais rendre. Et pour moi la seule exactitude que je veuille obtenir est celle de la vision intérieure que j’ai et du résultat que j’obtiens ; cette vision n’est pas normée , elle bouge, elle fluctue ; en un mot : elle vit. 
Je n’ai jamais éliminé une étoffe alors que je savais pertinemment qu’elle allait me poser un problème technique et que je risquais une imperfection ; la seule erreur grave pour moi aurait été de sacrifier quelque chose d’essentiel à quelque chose d’accessoire. J’admets très bien qu’on puisse tenir le raisonnement inverse et que pour certaines la perfection technique fasse partie de la création elle-même. Mais je demande tolérance à l’égard de mon point de vue et surtout assez d’ouverture d’esprit pour le comprendre. 
 
 
On pourrait réfléchir à nos habitudes, nos certitudes et les bousculer, surtout quand on regarde la production des autres. La critique n’est pas un art si facile qu’on ne dit, sauf à l’appliquer à soi-même. 
VI- Du bon usage de la critique 
Bien sûr il y a les compliments. On est toujours content d’en recevoir. Là, il y aura toujours une « bonne » copine pour vous rappeler que c’est flatterie, et pour « faire plaisir ». A quoi je répondrai que vouloir me faire plaisir alors qu’on ne me connaît pas et qu’on n’a aucun intérêt à le faire est appréciable. 
Et puis il y a celles et ceux qui déconstruisent : on aurait dû mettre d’autres couleurs, on aurait dû mettre une autre bordure. Bref ils/elles refont le quilt ou la broderie à leur mode. 
Si, sur un texte qui peut toujours être modifié, c’est souvent utile, voire pertinent, ici quand un quilt est fini on ne peut plus y remédier ;bien sûr la remarque peut s’avérer précieuse pour un autre ouvrage. Je suppose que c’est fait dans un espoir d’amélioration. 
 
Il faudrait aussi relire la fable du Meunier son fils et l’âne. Autant de jugements vous solliciterez, autant de propositions de changements ou d’améliorations (pour l’autre le mieux c’est comment lui il aurait fait) différentes et contradictoires. Testez : vous verrez ! 
Alors bon qu’on aime c’est bien, qu’on n’aime pas c’est égal, je reconnais à quiconque le droit de me le dire, sans que je lui en veuille le moins du monde ; mais ce qui est intéressant pour moi ce n'est pas qu’on me dise comment j’aurais dû faire mais ce qu’on voit dans ce que j’ai fait, ce qu’on a ressenti ; évidemment si on aime, je préfère, je suis humaine j’ai un ego comme tout le monde. Il fonctionne à l’encouragement plutôt qu’à la dépréciation. 
On peut même aller jusqu’à dire que je travaille pour ceux et celles qui retrouvent un bout de leur âme dans mes couleurs, et mes constructions textiles. Qu’ils soient nombreux ou non importe peu. Je préfèrerai toujours avoir fait quelque chose avec quoi je sois seule en accord, qu’une œuvre plébiscitée qui ne soit pas vraiment en adéquation avec ce que je voulais faire.  Orgueil : sans  aucun doute mais je préfère cet orgueil-là à certaines vanités suffisantes ou condescendantes.
J’ai été trop longue… et j’ai dû me répéter quelque peu, comme toujours lorsque les sujets me tiennent à cœur.  
Alors si vous êtes venu(e) jusque-là, merci de m’avoir lue. 
A vous la parole : 

écrivez-moi sur  chiffondart@aol.com
 NB article "repiqué" de mon précédent site.