Les palettes d'une textilienne 1- les tissus

Palettes d'étoffes - Introduction

Dans son introduction au catalogue  l’exposition de la bibliothèque de  Forney de l'hôtel de Sens à Paris  en 1992 , Pierre-Louis Mathieu, alors chargé de mission des musées nationaux   notait -après avoir souligné honnêtement sa « réticence » à accueillir des patchworks ( !) que pour les mélanges le peintre serait par rapport au textilien « insurpassable » au vu de l’infini des nuances qu’on peut créer sur une palette. Le textilien, lui aurait l'avantage  côté texture , matelassage  et « velouté » -sic- des étoffes.

A mon avis il n'y a pas lieu de toujours comparer, il ne s'agit pas de dire- quel art serait "supérieur" à l'autre et sur quel point sauf dans une optique où les quilteuses'"créatrices"  se mettraient exclusivement (et c'est un peu ce qu'elles ont fait!) à imiter les peintres. Nous étions encore en 1992 dans un art des tissus existants assemblés, même si la tendance que je décris dans mon article Le Bonheur en lisière  était en place.

Le tissu est un medium différent, sous beaucoup d'aspects et pourtant maintes analyses font comme si seules les formes et les couleurs, comme dans les autres arts comptaient. Les textiliennes ont depuis très longtemps manipulé en composition de fragments. Un des premiers quilts anglais dit the Coverlet et qui revient à la mode  -parce qu'il est question de l'imiter et de le reproduire-  date du début du XVIII siècle.- Je me permets de rappeler une fois encore que l'abstraction en assemblage d'étoffes a précédé de beaucoup celle en peinture, et que précisément au départ ça n'y ressemblait pas vraiment  en raison de l'usage d'étoffes imprimées notamment . C'est pour ma part ce  que j'ai aimé d'entrée dans cet art du patchwork : c'est qu'il avait ses spécificités bien à lui, qu'on pouvait les utiliser diversement et que contrairement  ce qu'on lit un peu partout il n'est ni "limité"; ni "réducteur"et encore moine exclusivement "décoratif". Encore le serait-il : ce n'est pas forcément un défaut ! .

Tout au contraire, je ne pourrai certes pas montrer ici toutes les possibilités qu'une palette textile peut proposer en cet art d'assemblage.

Je prierai de pardonner une fois encore le fait de prendre mes  "oeuvrages" pour exemple, mais je ne suis pas autorisée à analyser ceux  des autres à cet égard. Et je n'empêche personne d'en faire autant, tout au contraire cela m'intéresserait beaucoup !  Mon blog présente  d'autre part nombre d'artistes dans leur rapport aux étoffes en  composition . Je renvoie notamment aux articles sur Ruth Mc Dowell et Edrika Huwes, par exemple. 

Je parle donc  ici des assemblages de tissus déjà existants, pas des tissus teints ou peints par les artistes eux-mêmes qui alors rejoignent pour le mixage des couleurs les lois que je dirai purement pigmentaires. Ce n'est pas ma valence  principale et c'est expliqué abondamment par des spécialistes ailleurs. Je ne n'évoquerai pas non plus l'usage du tissu assemblé dans le  vêtement , ni même la décoration intérieure, domaines nullement méprisables ou négligeables mais obéissant tous deux à des contraintes de modes et "d'assortissage" qui ne suivent pas les mêmes règles que celles d'une surface créée pour une expression personnelle. La visée n'est pas la même et surtout au niveau des couleurs. Dans cette optique, on peut utiliser des nuances pour dire aussi - bien que ce ne soit guère admis- la colère, la révolte , la peur, l'abandon voire la mort ou autres sentiments ou réalités  jugés "négatifs". Il  n'y a pas d'assignation au "qui met en joie", même si j'aime bien que mes surfaces mettent en joie !

Pour moi, en composition avec d'autres, les tissus peuvent  davantage échapper à leurs "codes" premiers " et même si on ne les gomme jamais tout à fait, au moins être l'objet d'une re-composition qui n'en tient pas essentiellement compte. Je m'explique : une petite cotonnade fleurie, un lainage sobre,  ou une soie somptueuse ont été créés pour des emplois vestimentaires,différents, et souvent inclus dans un milieu donné et une époque définie, ils arrivent aussi avec leurs symboles (et la couleur en participe mais pas que la couleur). On peut  certes utiliser l'étoffe dans ce champ de son usage géographique, historique, social, voire "genré", ou attaché à un âge (les couleurs layette ...), on reste toutefois  dans une perception  extérieure à ce que le medium  est "sensiblement", surtout dans une optique d'assemblage. L'important alors, reste la manière dont il va interagir  en relation avec les autres et non pas  seul utilisé dans un objet. Et le signifiant (symbolique,sociétal etc) et   le sensoriel  (vue, toucher ) tout ensemble, ce n'est pas impossible non plus ... En  matière d'étoffes le sens - voire l'essence de l'oeuvre -  passe toujours par les sens : vue et toucher ensemble, liés indissolublement .

Il faudrait dire un mot de la manière dont on peut créer sa palette textile. J'accueille déjà toutes les étoffes qu'on me donne ou que le hasard parfois met à ma portée pour un prix modique,  et j'essaie de leur trouver place dans un ou plusieurs ouvrages. Je ne  recherche non pas non plus uniquement des tissus pour un ouvrage, mais  aussi une surface où ma collection peut se dire et le même fragment de tissu placé là ou là ne sera pas perçu de la même manière,  c'est pour moi ce que je nomme travailler en  "artiste des tissus assemblés". Pour moi il n'y a strictement  aucun plaisir, aucune envie d'utiliser une gamme pré-assortie par un créateur en étoffes et quand j'en achète c'est en général pour les éparpiller dans différentes surfaces. J'aime les tissus qui ont du caractère et qui ne se laissent pas si facilement "intégrer" à un ensemble, et j'aime jouer avec tout ce que le tissu me donne  : sa texture, sa matière, son épaisseur, sa brillance, ses motifs, sa souplesse ou sa rigidité   mais il va de soi que mon choix ne sera pas le même pour un ouvrage destiné à être utilisé et lavé et pour une surface qui sera conservée  comme oeuvre d'expression personnelle. Je comprends que les personnes pour qui un quilt est avant tout une surface décorative -utilitaire  aient un autre point de vue. Mais je maintiens qu'on peut faire d'une couverture de berceau une œuvre d'art, toute personnelle. Il suffit d'oublier  -ou de faire oublier- qu'elle peut être aussi une couverture de berceau, pratique et lavable !

Enfin   il ne s'agit pas d'expliquer mais de montrer   non comme exemple de ce qu'il faut faire, mais de ce qu'on peut faire avec les couleurs sur les étoffes et non pas les couleurs de la roue des couleurs qui ne sont ni texturées ni tissées,  ni imprimées  ... et ce n'est nullement exhaustif. Chaque surface qu'il s'agisse des miennes ou de celles des autres,  montre d'autres combinaisons .

Je ne dirai pas non plus quelles couleurs vont ou ne vont pas ensemble, d'abord parce  que c'est affaire de sensibilité, de goût  et aussi de visée chez chacune, et que pour moi l'usage des couleurs repose sur l'observation  et l'instinct deux choses qui sont propres à chacun de nous . Je dirai aussi l'amour des couleurs, la capacité qu'on a à s'imprégner des "harmonies" autour de soi  mais  rendues par le moyen des tissus et les fils en ce que  ces matériaux ont pour moi de spécifique.

 

 

Les unis

Sauf à user exclusivement  de calicots réservés à cet usage , une même nuance peut-être représentée par une multitude de textures diverses. Et ce, même en assemblage dit "classique" .

En règle générale une zone unie offre des contrastes nets et souligne les formes, leur usage rend le dessin de la forme  immédiatement lisible.Il offre au regard une certaine densité, voire opacité (sauf à jouer avec des étoffes translucides) .

On observera sur la photo ci-dessous que ces rouges clairs, très proches au niveau du ton, ne captent pas la lumière du tout de la même façon , et présentent évidemment des reliefs différents . Ainsi si je choisis de les utiliser en tant que "rouges clairs" je peux alors oublier volontairement ces différences , mais je ne peux pas faire sans elles qui vont forcément apporter à la surface textile d'autres caractéristiques que celles de la couleur e elle-même. C'est ce qui permet au sein d'un monochrome "strict" de varier et de nuancer : jeux sur le relief, jeux sur la manière dont les tissages captent la lumière. C'est pourquoi il est infiniment dommage que les ouvrages ne soient vus que sur photographie . Un quilt ou une surface textile n'a  pas un aspect "figé'  elle est souple , le tissu bouge , la lumière agit  sur elle- c'est pourquoi  vouloir la faire ressembler en tous points  à de la peinture me semble quelque part un contresens  complet  car l'art textile n'est pas que de formes (le dessin) et de couleurs (les palettes) : il est de textile !! Sinon il n'a pas vraiment alors de raison d'être  et autant prendre une toile et dessiner et peindre dessus et tout sera dit 

.

 

Rouge textures red

 

Et la même étoffe selon sa couleur , même si le tissage est analogue ne captera pas non plus la lumière de la même façon, même sur des soies sauvages réputées brillantes les coloris sombres absorbent et les clairs réfléchissent  cf ci dessous) - et là la loi ne s'applique pas qu'aux étoffes, mais le tissage et la matière peuvent  atténuer ou renforcer cet aspect  : la même gamme en coton mat ne montrera pas tant de différences de "brillance"  et il faudra l'art du matelassage -qui est relief et motif- pour obtenir à nouveau des variantes à cet égard, si toutefois on le sent nécessaire.

 Soie sauvage h2jpg

 En composition il y a donc des  possibilités de jouer avec ces différentes textures, reliefs et brillances dans une zone donnée d'une couleur donnée. Pour moi qui aime les différences et la variété, ce n'est pas du tout la même chose de composer une zone de couleur dans une étoffe unie d'un seul tenant ou de la fragmenter en  tesselles où je jouerai alors avec toutes les variantes signalées ci-dessus . Ainsi dans le quilt Jaillissements qui est composé de zones de couleur unies , on peut observer comment les étoffes de couleur analogue mais de tissage et brillance différentes rendent une zone verte  . Pour moi c'est du patchwork  art du tissu assemblé : pas de la peinture donc c'est fragmenté, et recomposé , et matelassé parce qu'ici j'ai choisi que ça le soit . J'aurais pu pour un autre aspect et susciter une autre impression, en  décider autrement. j'ajouterai que l'assemblage main qui est souvent plus apparent surtout dans des étoffes de textures différentes souligne précisément comme une armature interne  qui pour moi a son importance .  La couture main donne une sorte de flexibilité et de relief supplémentaire .

 

 Meme gamme effet texture gradient matieres

 

 

 Dans d'autres ouvrages , j’utiliserai la couleur "pure" des unis de manière symbolique , et ce sera montré dans mon livre en cours de rédaction  au sujet des étoffes de soie, celles que je possède étant souvent unies.

L'uni intervient parfois en reprise de couleurs sur les imprimés comme dans le quilt Tata Yoyo par exemple , où le centre du motif isole la palette de l'étoffe utilisée sur les bords du  bloc  -encore est-elle interprétée , j'entends par là qu'une autre quilteuse aurait sélectionné d'autres nuances parmi   celles que l'imprimé suggère .

 

PICT0012.JPG

 Aux unis "purs" viennent s'ajouter les faux unis . On appelle ainsi les tissus qui de loin ont une dominante bien nette mais comportent des dessins peu contrastés  qui nuancent la couleur (imprimés ton sur ton , marbrures etc) ils offrent souvent une transition moins dure à l'oeil , un contrepoint aux zones "chargées"  . comme dans le quilt Pétales

 

Petales4

Dans le quilt Pure Mosaïque je les ai utilisés seuls pour rendre l'aspect d'un pavement marbré

Pure mosaique detail 3

 Et sur la page suivante vous trouverez quelques exemples supplémentaires d'emploi des couleurs sur les tissus unis ou faux unis .

J'ajoute que j'admire les surfaces sobres composées de grands morceaux de tissus unis surtout quand le matelassage y est magnifique comme dans les quilts gallois, certains  quilts en bandes  britanniques, les célébrissimes Amish et les tout récents Modern quilts, mais ils ne correspondent pas à mon tempérament, à mes rapports aux tissus et à mes envies : je n'en fais donc pas,  ayant assez à dire avec ce qui m'attire.

unis, quelques autres emplois

Laiise les murs detail art textile jacqueline fischerLaisse les murs dans ta prison

Là les blocs de soie unies ont une signification : ils  symbolisent une forme d'enfermement mais..dans une prison textile, qui elle-même devient évasion ...

espoir-detail-1.jpg

Dans Espoir qui est un tableau textile et non un quilt, le fragment isolé de velours vert dit ce que pour moi l'espoir représente, en réalité le velours offre bien plus de nuances de verts par ses chatoiements.

passage.jpg

Dans Passages (voir Le textilionnaire) j'ai précisément joué sur des gammes en camïeux, mais aussi sur les textures (du plus lisse au plus texturé) du plus clair au plus foncé ...

Les imprimés

J'ai toujours pensé que ce qui différenciait le plus justement une oeuvre textile en patchwork d'une peinture (même s'il y a d’admirables peintres  reproduisant les tissus et qu'on peint actuellement souvent sur  toile!) , plus encore que le tissage et l'armure, c'était   les impressions  coupées et  recomposées . Les livres traitant de l'usage des tissus en parlent souvent en termes historiques, géographiques, les lient à des rituels, des modes et n'en étudient presque jamais justement les possibilités de "mise en contact" artistique et expressif de ce magma si disparate, et pour cause : jamais le patchwork n'a été considéré comme un art à part entière, il est zappé dans les histoires de l'art , assimilé souvent à une valence de la broderie (par le biais de l'appliqué) ou de la coutuire , important si ancien ou si pratiquépar un art respêctable (la Haute-couture), ou bien encore s'efforçant de ressembler à un art majeur (peinture ).

L’aspect que prennent  les fragments d’étoffes imprimées  en tant qu'éléments possibles d'une composition originale et artistique n'est que très rarement mis en lumière sauf dans quelques livres pratiques. 

L'impression se trouve aussi sur le papier mais qui a travaillé dans les deux matières (et c'est mon cas, via les images numériques) vous dira que ça n'a rien à voir au niveau du contact, de la manipulation. Le tissu  est en général souple,  et n'absorbe pas la lumière -ni les encres!- de la même façon que le papier. Même si la mode est de considérer le papier comme un tissu ,puisque constitué de fibres...je. Je rappelle que je parle ici d'un art des tissus assemblés, pas de mixed media intitulé "art textile". Je sais le pratiquer , aussi, mais il n'a pas besoin ou beaucoup moins qu'on l'illustre et qu'on le défende . Il ya une armée de plasticiens chevronnés et de spécialistes de  l'art pour cela muséables, exposables en galeries et objers de critiques  d'art (et non d'appréciation artisanale ou patrimoniale)  . L'humble art du patchwork de création, que je distingue de celui d'imitation et d'occupe-doigts, n'a pas grand monde pour l'analyser (et déjà le regarder à l'égal d'une gravure, d'une peinture) au niveau même de ce qui le constitue : les tissus, vus comme medium à part entière .

Mon livre Jeux d'étoffes, impressions, expressions est consacré en partie à cette recherche et je  ne vais pas ici recommencer ses quelque deux cents pages .

Au début  j'ai beaucoup travaillé avec des petits morceaux d'étoffes imprimés , les plus variés possibles , d'où ma passion pour les échantillons. Au début donc et encore maintenant parce  que, pour moi, évoluer  c'est aussi  creuser mes sillons ausi loin que je peux dans tout  ce qui me met en route. Pas changer selon la tendance puisque j'aimerais détacher les oeuvres en tissus de la mode , mais en revanche ces tendances m'intéressent comme une sorte d'évolution parallèle. Je ne les condamne pas pour les autres -elles peuvent produire des chefs d'oeuvre - mais ce n'est pas ma façon, tout simplement de vivre mes tissus .

Uu quilt d'usage - est constitué de tissus spécifiques (même si je leur ai toujours adjoint des étoffes de récupération)  au grain serré, solides et si possible supportant les lavages multiples sans trop s'abîmer. C'est un business aux USA -mais aussi actuellement dans toute l'Europe- et les stylistes sortent des collections à tour de bras et jusqu'au début des années 2000 -date à laquelle j'ai arrêté de travailler j'ai acheté des petits bouts  de tout ce qui m'attirait.J'ai parlé de cette variété comme d'une richesse de vocabulaire.  Même si j'en'ignore pas que Racine a écrit de superbes tragédies avec un vocabulaire des plus restreint,  l'inverse , la verve rabelaisienne et sa prodigieuse inventivité verbale ont aussi permis des chefs d’œuvre . Je veux bien souscrire au "less is more" si on m'accorde que "more is more "est vrai parfois ,  également !

Car au début et je n'en ai pas honte le faisais des plaids et des couvertures. Mais on le sait je plaide pour que les plaids (!) puissent être aussi en  même temps  -s'ils sont uniques- et issus d'une création authentique - être perçus comme des oeuvres d'art.

Dans cet usage les étoffes présentent peu de différences au niveau des textures et c'est donc les motifs et les couleurs qui ont requis mon attention.

Des motifs il y en a des milliers et des milliers et même dans un domaine particulier (floral, carreaux , rayures) on peut trouver mille et une variantes et même des styles carrément différents . Les tissus à pois de la Haute-couture par exemple n'ont pas grand chose à voir avec les petits cotons imprimés de ces "ponctuations" , sentis, eux comme fantaisie et sans façon  alors que les premiers sont censés être le symbole d'un certain "chic" citadin.  Je ne cite que cet exemple, il y en a des milliers d'autres .

Une artiste textile assembleuse  et  collectionneuse va se retrouver assez vite devant une palette où rien , d'emblée, ne va ensemble : couleurs diverses , tissus à deux trois ou dix couleurs, motifs chargés ou dépouillés, stylisés ou réalistes , directionnels ou non (les rayures par exemple sont des tissus directionnels ) , avec des échelles différentes petits motifs plus grands motifs -certaines répugnent à les couper moi j'aime bien les montrer autrement qu'ils n'ont été conçus "pour la couture" ou la décoration. . Tout cela à mettre dans une surface qui devra être cohérente même dans le dispersé et la profusion volontaire .... pour moi c'est un éternel challenge , mais surtout un sujet de recherches, de découvertes sans cesse renouvelées .Une vie et un livre en mille pages ne suffiraient pas à en rendre compte .

Dans cette diversité des motifs,  le choix de couleur est un guide . Par exemple, je range mes cotonnades en rouleaux   la couleur  dominante et ce je pourrais appeler "le ressenti" plus que le style (ils ont sur moi un appel analogue, même si très différents au niveau des motifs voire des nuances ). Ainsi la "gamme"  ci dessous dans les tons de bleu et de mauve .Aucun n'a été acheté ou récupéré au même endroit et je revendique déjà comme étant de moi ce premier "assortissage" . Devant le même stock d'étoffes une autre quilteuse classera autrement , et c'est crucial :pour moi c'est là que l'acte de création  en assemblage commence.  Sans cette étape, il me maquerait l’essentiel du plaisir.

 

Coton imprimes meme gamme

En bout de chaîne et toutes matières confondues, je les range dans des tiroirs où cela donne cet aspect . D'aucuns m'ont dit que plutôt que de m'embêter à les coudre et à bâtir quelque chose avec eux,  je pourrais les présenter ainsi, en  "installations ,"rouleaux d'un côté "magma" de l'autre ; il me manquerait alors toute l'alchimie et la métamorphose ...

 

Magma 1


Les motifs sur les étoffes offrent une possibilité de glissement d'un fragment à  un autre ou d'échos dans des morceaux séparés.  L'oeil y devient vite exercé et pour ma part je pratique ces "redites" inconsciemment , c'est après coup que je peux les redécouvrir dans le moment c'est la vision d’ensemble que j'ai en tête et le détail des étoffes s'y plie.   Les tissus imprimés effacent les lignes strictes de la géométrie et de ce qu'on nomme le "bloc" le carré de base , de plus ils ajoutent toute une forêt de signes et de formes supplémentaires, avec laquelle il faut bien se débrouiller et qui même complexe, doit rester lisible . Lisible : mais pas univoque . La richesse de ce que je nomme  "mon art" c'est un peu comme de jouer avec un orgue ou un instrument permettant d'accumuler les registres, les niveaux de lecture . La couleur en participe mais jamais seule, rarement "pure" . En fait c'est à chaque surface pour moi une autre expérience, un autre "voyage"

Les motifs sur un tissu peuvent  donc servir à beaucoup de choses, bien plus qu'un simple effet de texture comme le soulignent les artistes en "art quilt" qui ne les tolèrent souvent que ressemblant à de vraies matières ou à de la peinture, pas à des vrais tissus ! J'ai toujours voulu moi faire des quilts où les tissus n'aient pas honte de se montrer pour ce qu'ils sont , et pour moi , quand c'est impossible à peindre, c'est plus intéressant (ce que la peinture peut rendre ne m'intéresse pas ...sauf si je décide de peindre, pas  d'assembler )

Par exemple dans des zones de couleurs strictement délimitées, comme ici les rayures du quilt Obliques, ils apportent la variété  mais aussi une atténuation de l'aspect strict du motif qui en , uni, sans cela, ressemblerait à un banal tissu rayé.  Ce aspect-là, pour moi est extrêmement important , il n'existe pas pour moi de "jolis petits tissus fleuris à rayures ou à pois" mais un dessin suppplémentaire  dû à leur association dans une surface donnée et  qui obéit à des codes (presque secrets ! ). C'est pourquoi je déteste ces jugements réducteurs arguant que "ça fait trop patchwork" -comme si c'était une tare  ou quand on souligne le côté soi-disant "naïf" ou "bon enfant" de la chose. Dans les deux cas, c'est réduire à ce qu'on veut y voir. Et  il ya tellement plus !

 

Oblique3 jacqueline fischerjplus dessinpg

Sur l'usage des imprimés,  il y aurait donc mille choses de plus à observer , je me borne à quelques-unes dans les exemples de la page suivante. Je demande qu'on imagine vraiment la même surface sans la présence de l'imprimé , c'est ainsi qu'on peut saisir leur importance .

 Donc ces zooms pour se faire une idée sur pièces ! Avec l'espoir qu'on  regarde ces assemblages d'étoffes enfin pour ce qu'ils sont. Je ne ne demande pas qu'on aime ou approuve le résultat , je voudrais qu'on ne le rejette pas sans aller y voir d'un peu plus près et si possible en laissant tout préjugé et  a priori à la porte.Qu'on essaie enfin de s'instruire aussi sur  l'histoire de cet art que je défends ,  quand on l'exerce du moins, comme tel, et qui comporte tant de chef d'oeuvres anonymes et ignorés du grand public puisqu'absents des circuits de l'histoire de l'art officiel.

Numeriser0007 Détail du Jardin d'Arlequin  .
On  pourrait voir, si on le désire, comment, en dehors des contrastes (jaune(bleu-rouge  notamment,  qui sont des couleurs primaires) les motifs composent  en quelque sorte une symphonie de rappels : la rose du premier plan reprise un peu plus haut, ou les touches de bleu à la fois clair et cru, et si on sait voir mille autres choses que je vous laisse libre de découvrir (ceci étant appliqué  la totalité de la surface , aussi) .

dscf0152red.jpgDans un quilt comme Le conservatoire glisser d'une couleur à une autre d'un imprimé à un autre ( non sans les conseils de Deirdre Amsden dans ses livres et ouvrages)  m'a permis en quelque sorte d'apprivoiser ma collection d'alors. Ce sont les motifs sur les étoffes qui assurent la transition et croyez-moi ce n'est pas si "facile" ...

PICT1060.jpg Dans cet ouvrage de "commande"  en broderie perse, les imprimés découpés ont, c'est vrai, une  vocation purement esthétique et décorative pour   ce pur plaisir de recomposer avec des motifs issus de plusieurs étoffes. Et de broder !

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L'imprimé pour l'atmosphère

Dans le quilt Jadis, les imprimés fleuris de style ancien sont là pour donner une tonalité  volontairement obsolète à l'ouvrage ; effet renforcé par les tons sourds . Mais imaginez le même ouvrage sans les motifs dans leur variété   vous verrez qu'il perd de sa signification,  de son impact  visuel ...peindrait-il aussi bien cette nostalgie des choses passées  ?

Art

L'imprimé narratif

Dans le crazy quilt La grue blanche les tissus ont été choisis en rapport avec les épisodes de la légende japonaise, les tons sombres symbolisant la forêt , mais aussi les tâches humbles évoquées dans le récit, tandis que les soies claires et somptueuses célèbrent le mariage de l'héroïne et l'amour pour son époux , mais aussi la richesse du tissu qu'elle fabrique en secret avec ses plumes. 

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L'imprimé symbolique

Dans le tableau textile Stigmates 2 le tissu à rayures est employé symboliquement pour évoquer les barreaux d'une prison dont on vient de s'évader , mais aussi pour leur contraste fort et leur verticalité , le choix de l'imprimé se comprend aussi par rapport à la série entière. Dans d'autres ouvrages, j'utiliserai les rayures tout simplement pour leur côté rustique ou pour leur  graphisme dépouillé et  directionnel...

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L'imprimé redondant

Dans le tableau textile Le manteau de Flore, les imprimés des lamés Haute-Couture chargés en couleurs et dorures sont équilibrés par les soies unies, j'ai aimé l'idée d'une fleur en fleurs le fond  lui est composé d'étoffes humbles à dominante vert clair  et le petit imprimé floral naïf reprend comme un clin d'oeil les couleurs de la grande fleur majestueuse du centre.

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L'imprimé livre d'images

Dans le tableau textile L'obsolète (série over-rose) les imprimés sont uitlisés un peu comme dans un "collage de papier,pour leur valeur d'image  : bords irréguliers juste fixés et jeu avec les formes et les tissus un peu "chromos" évoquant les roses.

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L'imprimé pour le luxe et la fête

L'ouvrage Cocktail est une" célébration" des voiles de soie dans leur aspect pétillant et coloré, là les imprimés dorés ou argentés assurent la continuité somptueuse  des motifs tandis que les couleurs de fond, elles, allient contraste et dégradés.

Conclusion

Tout essai d'analyse quand il s'agit de création, surtout avec un medium aussi "chargé" de connotations diverses que le tissu fabriqué , est evidemment caricatural. Ce qui précède ne peut evidemment rendre compte du tout, mais j'aimerais que les personnes qui d'aventure auraient eu le courage de lire sans zapper quelque chose qui dépasse de très loin la longueur conseillée par tous les webmestres du monde pour une page sur écran, que ces personnes, donc  essaient de voir les surfaces en  tissus autrement . Que les quilteuses ne se précipitent pas sur les traités  de couleurs,ou pire sur le pré-assorti,  sans se demander si le tissu ce n'est que cela. Il y a dans la bibliographie que j'ai mise en ligne  des livres qui parlent aussi des tissus et de leurs caractéristiques  dans une perspective d'assemblage d'étoffes multiples et variées. Et comme je l'ai souligné au début, mon blog en  présente .

  Les tissus  ne cesseront pas pour autant d'être évocateurs  par ce qu'ils sont : le souvenir d'une robe, ou d'une personne, d'un moment qu'il soit des vies individuelles ou de la grande Histoire. J'ai coutume de dire que par les impressions et les broderies ,on trouve tout absolument tout sur les étoffes et ce qui n'y est pas on peut l'y mettre  par l'impression personnelle par exemple . Bien sûr je voudrais terminer par exemple en évoquant les mourning quilts -quilts de deuil- faits avec les vêtements d'un défunt , en ce cas l'oeuvre même ancienne rejoint les usages beaucoup plus contemporains des vêtements dans les installations commémoratives , simplement on a voulu aussi en faire quelque chose d'esthétique , voire d'utile; l'émotion qui s'en dégage rend-elle toutes ces valences des tissus incompatibles ? J'en laisse juge. Ce qui est sûr c'est que les installations évoquées sont à juste titre dans les musées , les mourning quilts ou tous ceux qui évoquent les humbles vies d'humbles humains  eux plus rarement (ou cöté follklore comme maintes fois signalé) .On a cru dégager cet art du quilt en en faisant, au fond ,de la peinture ... sans doute, on le peut, mais j'aimerais qu'on réfléchisse à ce qu'il aurait pu être en demeurant  un art qui parle par les tissus et non seulement  par les pigments déposés sur les tissus.. et là, le patchwork tel que je pratique et conçoit pouvait avoir toute sa place . Si on essayait ?