Analogie ou la théorie des tas
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 27/02/2016
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Souvent quand on me demande comment je fais, comment je crée, je reste dépourvue.
Comment je fais avec les mots, comment je fais avec les morceaux d'étoffe, comment s'élaborent mes images numériques.On attend des recettes, des procédés et je ne peux pas en fournir.
Pour moi c'est invinciblement, irrémédiablement entre ces trois valences le même ressenti, même si pour quasiment tout le monde, non. Je ne peux pas empêcher les gens de cloisonner de dire : la poésie c'est "intellectuel" le patchwork " c'est "manuel". Et les images numériques ce serait "artistique" . Je veux bien.
Donc ce que je fais, c'est des sortes de tas. Des amalgames, des rencontres, des télescopages.
Se confronter à une matière, une sorte de magma qui résiste, sans cette force d'inertie contre laquelle il faut lutter, commencer ne serait même pas envisageable.Des amas de mots que je dépose quand et comme ils me viennent et à ce stade surtout s'empêcher de contrôler quoi que ce soit. Des tas d'étoffes et là aussi j'en mets autant qu'il m'en vient à la main, je mets vraiment tout ce que je veux y mettre. Rien de plus, rien de moins. Deux étoffes ou mille.
Tout sans frein aucun.
Pour les tissus cela veut dire : les soies et les étoffes simplettes, pour les mots oui même ceux qu'on peut juger vulgaires. Faire du beau avec des jolis mots que tout le monde va trouver poétiques oui, mais avec les autres aussi. Un mot ne me vient pas parce qu'il est poétique : il vient de ce magma. User de tissus "nobles" oui -la serpillière pour faire art brut , on sait ce que j'en pense!- mais aussi oui la toile de jute ou le jersey de coton. Pas obligatoirement l'un ou l'autre, pas obligatoirement l'un et l'autre : ce qui me vient par rapport à ce qu'à ce moment-là je ressens. Une nécessité, jamais un effet de mode ou le résultat d'un apprentissage, à ce stade, du moins.
Et puis j'attends. Pour les textes quelques jours, pour les étoffes il peut s'agir de mois ou d'années car un textile - on l'oublie - c'est lent à élaborer , quand vraiment on élabore. Je ne parle pas du vite fait bien fait et que je te prends trois tissus assortis et que je couds et que je recoupe et que je mixe, je parle vraiment d'une élaboration qui repose sur tout ce travail qui est d'âme, d'esprit et de corps. Qui implique tout l'être, même si en ce qui concerne les surfaces textiles on n'y voit souvent que de "jolies" choses, décoratives.
Ensuite il y a ce moment capital où on écoute le rythme et où on regarde les visions. Ce qui parle parce qu'on a écouté, en soi et hors de soi, ce qu'on voit parce qu'on a regardé en soi et hors de soi , aussi. Peu importe d'où c'est venu : c'est là et ça appelle, ça demande qu'on agisse pour exister.C'est le plus magique de tous les moments car là, tout s'organise, presque sans qu'on intervienne, du moins juste assez, mais pas trop. C'est ce que j'appelle être "exacte" ou "créer "juste". Bien entendu je ne prétends pas y parvenir.
Savoir être en attente, en éveil, en accueil.
A ce stade c'est vrai j'élimine beaucoup, mais je ne m'interdis pas de rajouter non plus. C'est moi qui sens parce que c'est moi qui signe le travail, le texte, l'ouvrage. Et qu'on ne me dise pas que c'est un manque d'humilité. Pour moi le manque d'humilité, ce serait de vouloir me faire chef d'une école, chercher des imitateurs pour cautionner mes choix. Comme si l'art était une religion ou parti politique, qu'il y ait une ligne unique à suivre!
Pour moi c'est résolument entre soi et soies à ce stade. Ensuite c'est à offrir à la vue de tous ceux qui le veulent bien. Car c'est toujours tendu vers... cherchant le regard de ... et quand je le trouve c'est un moment de bonheur parfait parce qu'il est un instant au moins partagé . N'aurais-je eu "que" cela, c'est pour moi plus immense qu'une reconnaissance artificielle, mondaine et convenue, de personnes qui aiment parce qu'on leur a dit que ça vaut!
Et parfois j'aime le dépouillement et parfois j'aime la profusion et j'aimerai qu'un diktat esthétique en vigueur ne réduise pas son inverse à quelque chose de forcément "mauvais" ou de moindre valeur.
Quand j'ai envie de blanc, de dépouillé de presque rien qui dirait tout, je le fais, mais quand j'ai envie de m'enfouir dans une profusion de couleurs , de feuilles, de fleurs, de formes, où le regard se perd et trouve mille chemins, je le fais. J'aime les deux, mais différemment et je ne vois vraiment pas pourquoi une partie de moi serait sans cesse obligée de renier l'autre. Et pour les mots il en est ainsi :il n'y en a pas trop ni pas assez : il y a eux qui viennent chanter sur le rythme pour traduire ce qui est à exprimer.
La poésie pour moi n'est non plus écrite pour enjoliver la vie mais pour faire surgir de ce magma du langage tout ce qui se refuse à se dire. Et sachant une fois pour toute que dans un cas comme dans l'autre on n'y parviendra jamais ; Il ne s'agit pas de "réussir" , de fournir un texte bien léché, mais d'arriver à un état que je considère toujours comme un "essai". Rien qui soit à mes yeux , accompli. C'est pourquoi je ne cherche aucunement la perfection. La mort seule peut achever totalement, parfaitement quelque chose. Un essai qui laisse comme une attente, un espoir qui relance vers une autre envie un autre désir ce qui donnera un autre texte, un autre textile .
Comprendre que c'est ma chair, ma vie, mon souffle pas un divertissement pour personne âgée qui s'ennuie. Ma passion surtout pas ma patience. qu'on me pardonne mon impatience à l'égard des mots "joli travail" ou "quelle patience"devant mes ralisations rtextiles. On ne dit jamais cela à un peintre ou à un graveur , on ne ne me le dit pas non plus pour mes poésies, ni pour mes récits, même si leuor élaboration est parfois lente !. C'est voir surtout l'échafaudage quand j'aimerais tant qu'on sente jusqu'aux fondations. Je pense écrivant à cette phrase de Brigitte Fontaine : "je veux qu'on m'aime pour mes os"
Il faut que je dise ici un mot du minimalisme qui semble règle en vigueur aussi bien en textile -par le biais des Modern quilts- qu 'en poésie avec la vogue des formes courtes qu'on veut denses. Le fameux "less is more" .
Pour moi "more is more", tout autant , seulement il faut changer ses oeillères quand on regarde, se déformater. Sinon on s'aveugle volontairement sur tout un pan de la création. Une esthétique n'a pas à phagocyter une autre, ou à la piétiner pour se rehausser, tout peut se poser en harmonie et le contraste même violent est aussi source d'harmonie et surtout de relief. En musique on peut aimer Mozart, le jazz et le métal etc.
Je voudrais dire aussi que pour moi le minimalisme c'est quand on regarde ou lit et qu'on sent un plein dans le dépouillement même. Une plénitude même. pas un vide bourré de clichés pour faire simple. On n'a pas à vouloir faire simple : simplicité ou complexité doivent d'abord s'imposer d'elles-mêmes.Partir de l'oeuvre telle qu'en soi elle existe déjà.
Bien sûr ceci n'est pas un art poétique- artistique, c'est un parcours, une réflexion.Une expérience pour le partage. Pour qui en veut .
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