Apprentissages première partie
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 03/09/2023
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Rappeler comment on a appris-et comment on apprend encore. En insistant sur le fait qu'aucune manière ne devrait être déconsidérée si elle amène à une création authentique... et personnelle , singulière. Marquée du sceau d'une personnalité. Ce que j'espère sinon avoir atteint, au moins avoir tenté!
Comment a-t-on appris ces gestes des arts du fil,lesquels, pourquoi de cette façon, et dans quelle visée ? Quelles furent nos écoles et nos maîtres, car nul n'apprend de rien-ni de personne et le terme "autodidacte" serait à reconsidérer.Un livre dont on use est écrit par un auteur, un tuto est fait par quelqu'un!
La première chose à poser, me concernant c'est qu'un apprentissage n'est pour moi en quelque domaine que ce soit jamais terminé+outre ce que j'oublie -et que je dois réapprendre car la mémoire quand on vieillit joue des tours! - ce qu'on découvre (il existe tant de techniques!et même à l'intérieur d'un "genre" -je songe à la broderie blanche ou à la tapisserie à l'aiguille notamment- ) ce qu'on redécouvre aussi ... pour moi je ne suis jamais arrivée à un niveau qui me semblerait "suffisant" , et j'ai soif de tout le reste ! Non pas dans un désir de "tout" savoir, c'est impossible mais de diversifier mes approches . Sans doute parce qu'en moi reste fixé ce parallèle avec les mots , les textes, l'écriture. Et que je vis l'acte de créer comme un chemin d'errance.
Dans la France de l'après-guerre, où j'ai grandi, les femmes pour la plupart avaient appris à coudre à l'école ou en famille. c'était quasi une nécessité, surtout pour celles d'un milieu social qu'on dira défavorisé. Ce qui me veut pas dire que toutes aimaient cela, ni que toutes étaient douées pour ce faire. Il existait déjà et j'ai deux cahiers qui en témoignent des enseignements professionnels très pointus pour celles qui désiraient en faire leur gagne-pain Pour les autres on apprenait souvent à l'âge dit de raison à enfiler et tenir une aiguille et à tricoter voire crocheter et même des rudiments de tissage -en ce qui me concerne sur un métier jouet marque Tssanova-, broder venait souvent en même temps pour les points basiques; point de croix en tête . A l'école on faisait des alphabets sur du canevas, mais c'est au lycée pour moi que les choses sérieuses ont commencé sous l'égide d'un professeur si sévère qu'elle nous terrrorisait - en ce cas même si j'apprends , je me sens trop contrainte pour aimer ce que je fais, je me borne au strict nécessaire mon imagination est repliée ! . En fait j'ai eu quelques bases de cette manière, mais c'est en expérimentant par moi-même et avec les conseils maternels,et surtout les "leçons" des magazines féminins que j'ai appris.
Passé l'âge des torchons et mouchoirs à ourler (main puis machine) j'ai confectionné mes premières robes. La toute première à 14 ans,c'est celle du poème "Citron vert" dans le recueil Le Cahier débrouillé avec un tissu dont je raconterai l'histoire. On travaillait avec les patrons des magazines j'aimais beaucoup ceux de Femmes d'Aujourd'hui( que j'ai gardés) " . Apprendre à couper en respectant le sens du fil, ce qui n'était pas toujours évident dans un tissu issu d'un autre vêtement, couper, bâtir, essayer (ouille les épingles!) retoucher, monter ... Je me débrouillais honorablement, mais sans les qualités de finisseuse des vraies professionnelle.s Ma mère nous disait "fouturières".
La machine était une Singer achetée par ma mère en Afrique, électrique, mais nous avions choisi de la tourner à la manivelle à la main, ce qui permettait d'adapter la vitesse, même si nous n'avions plus qu'une main pour guider. J'ai toujours une timidité envers les machines à coudre, même si celle-là je savais la réparer ....Familière, comme le chat de la maison.
J'y ai cousu des dizaines de robes pour moi et parfois pour ma soeur quand elle travaillait et même un manteau avec poches et boutonnières passepoilées! . Et parfois je créais même entièrement le vêtement , patron compris, tel cet ensemble pour la plage en 1970, avec lequel je pose, en frimant un peu , pour rire!
C'est paradoxalemet la découverte du patchwork qui m'a éloignée de la couture des vêtements. Mais c'est la couture utilitaire qui m'a donné le goût des étoffes et les restes de vêtements de ma jeunesse (voire de celle de ma mère) constituent toujours une partie de ma collection de ce que je nomme mon vocabulaire textile.
Broder fut une autre aventure. Vers mes sept ans j'ai appris outre le point de croix le point de tige , j'ai raconté dans l'article les palettes d'une textilienne les fils ma passion de collectionneuse déjà pour eux (qui incluait les fils à tricoter) . C'était l'époque des napperons et les mêmes magazines fournissaient des motifs en noir et blanc. Puis au lycée des tabliers à carreaux rose et blanc sur lesquels il fallait broder nom et prénom en entier et pour moi c'était long !
Pour nous bodeuses dites domestiques" apprendre à broder c'était donc apprendre des points. A l'école je n'ai pas souvenir d'en avoir appris beaucoup sauf le point devant (ou avant), le point arrière, le point lancé basique .. outre les explications des magazines, mon maître fut le Savoir Broder des femmes d'aujourd'hui. je l'ai toujours et je m'en sers toujours. Quand je fus créatrice de modèles je trouvais pratique d'avoir des carnets d'entraînement ou d'échantillons:
Chaque brodeuse a ses points de prédilection et ceux qu'elle redoute voire déteste faire ( au début j'évitais le passé empiétant ...) C'est dans ce manuel que j'ai découvert un de mes grands favoris : le point de Palestrina , celui qui a bordé bien plus tard les blocs de mon crazy L'arlequin fou.
en lisière de dentelle ledit point de Palestrina
Aujourd'hui encore il reste un me mes favoris. j'ai découvert d'autres points "noués" liés , ce qui permet justement d'obtenir des textures analogues et nuancées. Le point de chausson aussi et le point d'épine ... et le feston .. Vers mes 17 ans je maîtrisais suffisamment passé plat plumetis et point de bourdon pour faire quelques initiales en broderie blanche . J'ai perdu la main et surtout l'acuité visuelle. Je brodais avec deux fils de mouliné DMC quand on en préconisait trois, ce qui rendait mon travail plus fin. Je brodais, à l'ancienne mon trousseau (je n'ai jamais hésité à paraître démodée!) galons sur serviettes de toilettes, bouquets sur draps, nappes )
Nappe années 70
Les outils étaient réduits au strict minimum pas de tambour (et qu'on ne hurle pas si on sait que beaucoup de broderies perlées de Bretagne notamment ont été faites ainsi (cf le livre de Odile Le Goïc Le Guyader Manuel de broderien°1 : le perlage ) en tendant le tissu entre ses deux mains ce que fait aussi parfois la brodeuse Christen Brown. Depuis j'en use pour certains points et d'autres non résolument . J'ai noté que si je l'avoue on pointe aussi sec son nez ur une éventuelle imperfection. Mes soeurs brodeuses, débarrassez-vous donc de vos préjugés . Cette libellule a été faite sans tambour. Est-elle salopée ?
En revanche j'ai utilisé un tambour pour le passé plat de ce coussin :
C'est selon et pour la même broderie il m'arrive de faire certains points avec tambour et d'autres sans comme ce tableau Elégance :
Avec et sans tambour...
Apprendre c'est aussi se dégager des diktats tracer ses voies personnelles y compris ans les gestes techniques.. Je n'aurais pas créé toutes ces broderies si je m'étais obligée à user d'outils qui ne me convenaient pas, j'ai adapté mes gestes en gardant le plaisir de faire qui chez moi vient d'un sorte de "corps à corps" avec les matières. Brodeuses mes soeurs prenez vos distances avec les conseils péremptoires. Voyez ce qui vous permet de réussir sans prendre l'activité en dégoût. Il n'est qu'une mauvaise méthode : celle qui empêche d'avancer, d'expérimenter, qui inhibe. Non ce n'est pas vrai que l'entraînement 'normé" vient à bout de tout (et quel profit à perdre des heures selon une méthode, quand une autre fonctionnerait mieux pour vous ? ) . Les anciens livres d'apprentissage signés cousine Claire dont je possède un exemplaire conseillent de remplacer le tambour par un morceau de moleskine et pourtant Cousine Claire était vraiment une virtuose! Certaines dentelles à l'aiguille sont faites sur cartons... Au lycée nous brodions aussi sans tambour (il ya aussi sans doute quelque pression commerciale des fabricants d'accessoires, sait-on ?) . Quant au métier , il faut de la place pour l'installer .. Certes ça vous pose en spécialiste .. mais aucun outil ne donne ni la maîtrise, ni l'imagination créatrice et même certains contribuent chez certaines à décourager et donc à abandonner, alors qu'on peut tester d'autres moyens. . L'idée que seule la contrainte dépassée permettrait "l'excellence" est sans doute défendable, mais ce n'est pas la mienne et ça ne m'a nullement empêchée de créer des modèles pour des revues. J'espère que les broderies ci-dessus et ci -dessous et le fait que j'ai travaillé pour des magazines vous persuaderont que d'autres méthodes sont possibles et permettant un résultat convenable . Testez et oubliez les "c'est obligatoire" . Je ne connais que deux cas où un tambour ou métier sont obligatoires : le punch needle et le point de Beauvais (ou le Lunéville) là impossible de faire autrement.
De même jamais de dé. (mais parfois un sparadrap) , j'ai de très petits doigts. En revanche des aiguilles appropriées ...De bons ciseaux . Des épingles. du fil à bâtir. Aucun gadget pour "faire gagner du temps", j'aime prendre le mien...et ce, même quand je devais respecter des délais, à titre professionnel.Cela posé, je continue à apprendre... de diverses manières. Je ne trouve pas inutile de découvrir de nouveaux points , de nouveaux genres de "broderie" aussi et si ma vue ne me permet plus de tout essayer-sinon réussir ! je puis au moins admirer... Mes maîtres ce sont donc le auteurs des livres, passé et présent mêlés . Je les collectionne et même si on y rerouve les mêmes points,le explications varient chaque brodeuse ou brodeur a sa manière d'expliquer, de classer voire son style . Outre les livres il ya les sites celui de Mary Corbet si souvent cité, celui de Sharon Boggon . Je passe sur les innombrables tutoriels ..en videos. J'aime cette variété d'abords et de parcours. Sur les livres de broderie avec lesquels j'ai appris on peut lire sur ce lien quels sont mes favoris.
Je n'ai pas baucoup en revanche, pratiqué la broderie machine sauf pour un usage des points décoratifs, j'en parlerai dans l'article suivant consacré au patchwork.
Un souhait pour finir -voeu pieux s'il en est- : que le fait de ne pas savoir coudre ni broder ne soit pas considéré comme une forme supériorité en art textile. on vous expliquera soit qu'il faut savoir surtout dessiner graver et peindre pour exceller en textile , ou bien encore qu'il faut désapprendre ci ou ça . Pour moi - j'estime qu'aucune ignorance n'est utile et que toute technique sert à mon expression et étant une artiste textile dans le sens où fils et tissus sont mes matériaux de base, absolument fondamentaux, et nécessaires autant que suffisants , je ne vois pas en quoi la maîtrise de de ce qui permet de créer avec ces matières serait une moins value, d'autant qu'elle est mutltiple, variée et qu'au bout de 40 ans rien que dans ce domaine-là il me reste encore et toujours à apprendre. ..Or si on considère ce qui est primé, exposé, les discours autour de cet art, ce qui a le vent en poupe, est coté on s'aperoit que si ce n'est pas une moins value avouée, c'en est une insidieuse(evidemment savoir coudre , ça ne fait pas contemporain !Sauf à e acompagner cettt humble geste de beaux discours conceptuels ! J'ajoute que j'admire les savoirs autres qui permettent de magnifiques mixed media. om suvent dessin ou photographie dient l'essentiel, meme si on y cherche parfois ce que justement le textile y dit . Pour beaucoup je les ressens certes comme de l'art, mais pas textile suffisamment à mes yeux et je m'insurge toujours cntre le fait que ce soit présenté comme étant supérieur ou même encore cela marquerait la imite entre art et artisanat etc. . Et j'ai toujours senti à l'égard de mon "tout fils tout tissu" comme une sorte de condescendante réticence.qui par miracle s'atténue quand je montre ma polyvalence, (je ne prêche donc pas pro domo !) . Je parle appuyée sur une longue expérience de la manière dont les créations sont regardées, reçues, valorisées par tel ou tel "milieu". de la possibilté qu'elles ont ou pas d'être montrées à un public , recensées ou exclues de l'art officiel .. Etudier tout cela fait aussi partie de mes apprentissages. Et de mes luttes !
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