Des fleurs et des jardins
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 10/01/2019
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J'ai coutume de dire avec un brin de provocation qu'il y a -au moins- deux choses qui m'ont empêchée d'être une artiste textile "contemporaine", du moins telles qu'on les définit et les apprécie actuellement : mon amour des géométries en blocs (carrés ) que je me refuse à appeler "traditionnelles" et des fleurs. Je pourrais y ajouter mon amour des couleurs ...et des surfaces en bas-relief.
De la géométrie j'ai déjà parlé. Du relief aussi.
Donc allons voir sous les roses ...puisque régulièrement si on prétend à autre chose qu'à l'exercice d'un aimable loisir, ou d'une activité juste "pour se faire plaisir"-pour moi c'est tout autre chose !- , on vous y envoie !
L'obsolète série overose
L'histoire de l'art nous apprend qu'à certaines époques c'était en bas de l'échelle de l'art- en peinture, le portrait tenant le haut du pavé ... mais elle nous apprend aussi que les jardiniers du roi plantaient des fleurs comme motifs pour les peintres en velins et les brodeurs, arts associés. A l'époque le décoratif était aussi lié à ceux qui avaient les moyens de se l'offrir donc nullement dévalorisé. Corollaire de la science par la botanique et des découvertes par l'importation d'espèces exotiques à "acclimater". Un palais oui, un château à la rigueur - ça magnifie ce qui y est inclus, mais certes pas une maison.
Rien de féminin pourtant dans l'habillement : Il suffit de regarder un pourpoint du XVIII° siècle pour s'en rendre compte . C'est l'apogée d'une broderie d'or de soies et pierres précieuses .Et on ne me fera jamais croire que les aristocrates qui les arboraient étaient tous effeminés.
On peut par exemple voir ici ce qu'il en est
En broderie donc la fleur est de loin le motif de prédilection et ce depuis qu'on a des motifs conservés largement devant tout le reste. Partout et à toutes les époques -avec parfois une concurrence ou une association avec les motifs stylisés- il existe peu de livres qui recensent les motifs de fleurs brodées au cours des âges , mais je pourrais citer ceux de Claude Fauque, ceux de Gail Marsh et ceux de Thomasina Beck. Ils nous apprennent énormément aussi sur la vie des hommes leur histoire, et par derrière eux tous les codes, les symboles que les fleurs recélaient.
"Les fleurs c'est joli ... les fleurs c'est banal ..." Et en art textile plus encore qu'ailleurs, même si l'histoire de l'art nous apprend que les peintres de fleurs n'ont pas toujours été prisés.
" Les fleurs c'est juste décoratif, les fleurs c'est le féminin donc ça manque de force" (ceux qui affirment cela n'ont pas lu le beau texte de Colette sur la glycine dans les Vrilles de la vigne). C'est ce qu'on me dit. Naturellement pas si c'est Gauguin ou Van Gogh qui peignent des tournesols ....Ou si c'est un grand brodeur qui brode sur des robes Haute- Couture pour un grand couturier. Mais cela alors, qu'en dire ? :
Motif floral sur écharpe de soie créé pour la revue Broderie d'art.
Donc si on est femme et qu'on veut créer des oeuvres fortes, éviter les fleurs. Même les ronces. L'arbre à la rigueur si on tient faire dans le végétal. Un arbre ça se dresse , ça s'érige. Une fleur ça s'étale, c'est mou , c'est joli, c'est tendre , c'est délicat donc c'est cucul la praline. Naïve donc insignifiante. Malgré tous les symbolismes qu'elle a toujours contenus ! Qui veut réduire amenuise, déprécie, classe en sous-genres. Délicatesse et grâce sont-elles manque de force ? Au sens de puissance d'évocation, pas sûr ! Juste que prêts à penser, snobismes, militantismes mal conduits, adhésion aux modes du siècle brouillent une lecture claire de ces symboles floraux où on ne voit trop souvent que niaiserie, esprit simplet etc .
Même si une fleur ça exhibe son sexe souvent double , sans vergogne, à tous vents et aux ardeurs de ce qui nous reste de pollinisteurs, il n'est pas de bon ton de le souligner. Et que les fêtes des Floralia à Rome étaient très loin d'être soft !
Mais étrange, des fleurs on ne se lasse pas. Dans les vrais jardins surtout :-) où les jardiniers et les paysagistes, chance pour nous, ont encore le droit de les utiliser sans qu'on les taxe (trop) de banalité. Si un jardin a pouvoir de nous faire rêver une oeuvre textile florale tout autant .
Prenons les fleurs brodées sur les napperons. Très à la mode dans les années 50-60 on pouvait les réaliser en simples exécutrices : on achetait le dessin pré-imprimé les fils et les points les couleurs étaient choisies par la créatrice (avec parfois un échantillon réalisé ). On ne pouvait être louée alors que pour une exécution parfaite .Et, de nos jours je sais nombre de brodeuses qui aiment à reproduire des kits ou des modèles en vogue (la peinture à l'aiguille et la broderie d'or sont des moyens de montrer à cet égard son expertise -)
Les magazines féminins donnaient aussi des dessins en noir et blanc et c'est avec eux que j'aime encore travailler (je peux dessiner des fleurs par moi-même je l'ai fait , mais quand je veux créer juste par le travail du brodeur ce sont ces motifs que j'utilise et tout comme les géométries empruntées du patchwork l'art ne se situe pas dans ces dessins souvent conventionnels mais dans l'utilisation qu'on peut en faire .
Ainsi dans le livre textile Lucette et Jacqueline (s) où ma visée était d'honorer la mémoire de deux couturières brodeuses -mes aînées- et où les motifs naïfs ont été choisis en fonction de la tonalité et du thème de la page. Je n'ai emprunté que les traits, le travail de création en broderiee : choix des points, de couleurs placement dans une composition est de moi et c'est réellement une recherche personnelle . Si je tiens à le souligner , c'est que cet art-là est gommé ! Même si ici je suis restée volontairement dans la convention du bouquet tricolore bleuet-coquelicot-marguerite. Je signalerai au passage qu'un sujet banal choisi avec une visée spéciale, c'est une démarche pas une banalité involontaire parce qu'on ne sait pas imaginer autre chose ! Je sais imaginer autre chose (cf la botanique alternative sur ce site)
Livre Lucette et Jacqueline(s) La page des pattes.
En patchwork , le problème est ressemblant et différent. Les petits motifs fleuris sont fréquents dans les quilts anciens , et on peut même dater d'après leur graphisme, l'historienne et quilteuse Barbara Brackmann a publié à cet égard des livres très intéressants.
Les motifs sur tissus évoquent aussi les Indiennes, ces tissus d'importation dont l'histoire est un vrai roman très bien conté dans les livres de Claude Fauque entre autres. Motifs copiés en impression comme en broderie ad libitum mais sans que jamais leur beauté ne rassassie. J'en possède un morceau très ancien (vraisemablement du XVIII° siècle que je garde jalousement ) , beaucoup ont servi de base aussi aux motifs de la broderie dite "crewel" . Les fleurs sur les tissus c'est le domaine où les inspirations se mêlent, géographiquemet parlant et l'histoire des hommes et de leurs "découvertes" y sont inscrits.
De la fin des années 90 jusqu'en 2002 j'ai collectionné les tissus spécifiques aux quilts et notamment les motifs floraux,de tous styles, mais recueilli aussi les restes de vêtements de toutes époques. C'est en mélangeant ces graphismes floraux que j'ai élaboré mes quilts jardins . Le premier s'appelle Florilège-cf index lettre f- et tous mes jardins comportent aussi un jeu sur la géométrie et les échelles et les styles différents de motifs, en cela ils ne sont pas de simples watercolors où on achète des bandes pré-assorties pour les recouper en carrés -qu'on m'excuse de parler sans ambages- mais ce genre de pré-digéré à mon sens est contraire à ma visée et vision d'un création . Mon art consiste à assortir ce qui ne va pas ensemble alors que si on l'exerce comme loisir on cherche surtout à avoir du déjà assorti- par quelqu'un qui sait- pour posséder un bel objet sans risque d'erreur alors que dans mes quilts jardins je risque la cacophonie à chaque instant !
Au delà c'est un langage des fleurs et des signes et une reconstruction d'un espace style paradis perdu . Et je demande qu'on le regarde aussi ainsi et pas comme un joli petit quilt à fleufleurs ce qu'absolument, ce n'est pas. Mon livre Jeux d'étoffes détaille ces approches.
détail du quilt cascade
on peut voir d'autres jardins dans l'index textile notamment à la lettre J .
Ne voyez pas d'amertume dans ce que je dis, ni plainte mais une analyse lucide. Je ne cherche pas reconnaissance pour moi, je le répète : j'en ai plus que je ne pouvais espérer pour une artiste "amateur" volontaire ... cf ma page d'accueil .
Il ne s'agit pas que du plaisir de créer (créer pour moi est certes un plaisir mais pas un loisir : une nécessité de "langage" par les étoffes -comme par les mots - et les fleuries y tiennent leur part pas seulement parce que ce serait "joli" ) .
Je m'interroge sur les regards "excluants"et injustes -mais si répandus qu'on les trouve normaux- sur des zones entières de l'art textile (et non mes ouvrages oeuvres et oeuvrages seuls ). J'ai assisté dans les années 90 à ce rejet progressif des tissus particuliers au patchwork où les fleurs tiennent une bonne part.
On peut voir aussi l'article : les palettes d 'une textilienne .
histoire textile Réflexion-débat-questionnement présentation ouvrages
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