Des tissus et de l'art textile : géométrie et variété : les quilts à gabarit unique
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 11/05/2024
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I- Géométrie et variété : au-delà des "scraps quilts " et "charms quilts" : les surfaces à gabarit unique
NB : un "scrap quilt est selon la tradition américaine un quilt comportant beaucoup de tissus différents ( littéralement : un quilt de chutes); L'artiste Roberta Horton indique un mininum de 75 tissus différents . Mes quilts en comportent entre 200 et plus de 1000 , parfois. Un scrap quilt peut être composé de formes uniques, ou de carrés appelés "blocs" . Les blocs feront l'objet d'un autre article.
Un charm quilt lui comporte des tissus tous différents souvent d'une même forme , au nombre de 999 , ou plus ... ou moins !
Quand je réfléchis au rôle des tissus dans ma vie et un de mes arts, je perçois, dès l'abord , une différence entre la manière dont j'envisage mes "surfaces" et celles de beaucoup d'autres, pratiquantes et artistes. Même et surtout si on ne voit que les ressemblances. pour classer, souvent en minorant ... déclasser, donc.
Cet attrait pour le tissu que j'ai ne vient pas d'un goût pour la couture utilitaire (justement, c'est un moyen d'y échapper) donc même si j'ai commencé en faisant des couvertures pour mes enfants, je créais d'abord et avant tout une surface en assemblage de tissus disparates. Ce besoin d'harmoniser une sorte de chaos est toujours en moi 40 ans après mes débuts. Et la géométrie n'est pas pour moi un moyen de respecter la tradition , mais justement de donner cohérence à un ensemble.Une structure.
Ma joie n'était pas d'aller dans un magasin et de demander à la vendeuse (comme je l'ai vu faire tant de fois! ) d'assortir pour moi .Ou de faire chauffer ma carte bancaire à un salon dédié aux "arts d'aiguille". D'où cette "collection" de toutes sortes de textiles venus d'un peu partout temps et lieux et personnes différentes .Et des tissus dits "commerciaux" aussi. . Pas de snobisme de la recup pour faire écolo ou "arte povera" . Du spécial pour patchwork et du pas du tout fait pour cet usage, les deux, toujours sans exclure rien de ce qui me semblait nécessaire pour une surface donnée dire quelque chose de personnel avec eux. Aussi les fils et les boutons, le dentelles, les perles, voire les plumes (ce qui est commun à beaucoup de pratiquantes textiles qu'elles en usent en loisir ou en art véritable) , mais avant tout LES TISSUS et non LE TISSU comme symbole de ci ou ça. Les tissus d'abord . Et surtout les tissus imprimés. Ou structurés par un tissage particulier. Or aimer les tissus, dans leur infinie diversité, ainsi c'est se condamner à n'être pas "contemporaine" ni d'ailleurs vraiment traditionnelle selon les préjugés autour de cette étiquette car là on me tacle sur mon trop de couleurs, mes équerrages imparfaits et le fait que non je vois pas d'obligation à matelasser toutes mes surfaces ..Je fais des quilts(matelassés c'est ce que le mot veut dire) et des patchworks (pas forcément matelassés) et c'est moi moi qui décide...pas le droit coutumier qui veut que ces géométries soient obligatoirement matelassées alors qu'aux USA et plus encore en Asie on trouve dès les débuts de surfaces assemblées non matelassées.Et que les justications réelles de cette "obligation" universellement imposée par le lobby des loisirs créatifs sont donc impératif commercial, aussi . On ne peut pas le dire.. Moi , je le dis! Et je le fais. Librement. Je ne vends rien. Et je suis pas sponsorisée , non plus. Je ne postule à aucune grande "messe d'art textile" , non plus. Je ne risque pas de méconter telle ou telle décideuse ès "ce qui vaut en art textile" : c'est déjà fait et il y a un bail !
Vu de loin mes quilts géométriques ressemblent à ce que les américaines nomment "scraps quilts" ou "charm quilts" . Et certes ces voies m'ont inspirée ; c'est même mon premier charm quilt en 1991qui m'a amenée à cette "collection", conçue, je l'ai dit comme un vocabulaire textile.
Dans ce charm quilt il n'y a pratiquement pas de tissus achetés ni même de tissus dit américains, je n'ai éliminé ni la toile à matelas(visible sur la photo de détail) , ni les jerseys ... juste renforcés d'une toile à beurre et j'ai brodé sur les triangles écrus du pourtour (qui viennent de la robe d'une collègue de travail !) le nom de tous les donateurs. L'agencement des couleurs et valeurs est de moi . Je n'ai pas suivi de"modèle" . Les matières sont multiples : coton , synthétique, viscose...
Si vous comparez à ce qui se fait aujourd'hui-et à ce qui se faisait à l'époque- dans la fameuse "tradition" américaine ce sont des quilts créés à partir d'assortiments souvent pré assortis, -les tissus vont déjà ensemble, ils ont une unité et sont tous de la même époque et mode - non que ce soit laid, ni non artistique, mais ce que je voudrais (desespéremment !) faire saisir c'est que si le travail de couture est le même,la structure ressemblante, la visée est totalement autre. Là, à la suite de ma "cueillette" je me suis retrouvée avec 999 tissus qui n'avaient rien à voir entre eux. Ma joie si profonde est de les faire "chanter ensemble" alors que ce n'était pas prévu pour cet usage . Et croyez-moi ce n'est si "facile" et croyez-moi encore c'est pour moi désespérant absolument que ce travail-là ne soit pas vu et qu'on me dise à chaque fois ça ressemble à .. justement ces quilts où le choix des étoffes, la manière de les assortir n'est absolument pas la même.
Quand je regarde le quilt de quelqu'un d'autre je regarde cela : comment la personne a choisi et agencé les tissus dans leurs différences , comment elle les a choisis, pour dire quoi. Pas que le dessin, la composition ou le jeu des valeurs-couleurs qui sont des critères certes importants, mais qui effacent celui qui fonde un art d'ssemblage du disparate. .Et c'est cela que j'aime à lire sur les blogs de patchwork-quilt, pas des conseils de couture qu'on peut trouver partout. Ni le quilt de la revue Machin chose refait en vert au lieu de bleu. L'art est dans ce rapport singulier que chacune peut avoir avec cette matière, si ces choix échappent au conditionnement des modes et tendances , et ce même si on part d'une source dite traditionnelle. On ne voit que la ressemblance de structure. C'est comme dire qu'un paysage d'un peintre c'est ressemblant à celui d'un autre même si l'un est hyperrréaliste et l'autre impressionniste et un autre frôlant l'abstraction parce que ce sont deux paysages. Je ne crois pas non plus qu'on dise aux peintres qu'ils font du traditionnel quand ils font du figuratif par exemple. Du moins pas si systématiquement ...
Autre manière d'aborder la variété de étoffes le monochrome, toujours avec une forme de base "unique" . Ce quilt Blues est aussi un charm quilt pas deux tissus semblables. Le dessin porte le nom d'Inner city block , et si vous cherchez sous ce nom vous trouverez maints tutoriels où les trois valeurs sont opposées (clair moyen foncé ) , souvent le bleu, comme dans ce quilt mais on met toujours les mêmes tissus ou des tissus rrès ressemblants; là encore j'ai recueilli tous les tissus bleus que je pouvais et pas des "tout bleus" mais à dominante bleue, ce qui est dfférent . Tissus américains, hollandais récupération de vêtements, et matières diverses toujours mêlées . La vue de détail vous permet de voir en quoi ce quilt est différent des autres qui lui ressemblent , ce qui est ma touche personnelle , j'ai assorti deux à deux des tissus ressemblants et ce fut une joie de créer ces unités de "faux jumeaux" plus ou moins hétérozygotes ; Et pour ceux qui comportaient d'autres couleurs que du bleu de placer ces notes "dissidentes" de manière à faire pour le regard des rappels et de échos ( cela chez moi se fait d' instinct, pas de calcul, c'est après coup que je peux expliquer la composition ) .
il m'est arrivé même n'user que de blanc. ,L'alpha et l'omega. Un jour de détresse intense , le motif du cercueil (coffin) cet hexagone allongé dont on faisait aux Usa les quilts de deuil '(Mourning quilts) s'est imposé et la couleur blanche ; j'assmilais dans mon esprit les morts d'espoirs avortés,de portes entrouvertes qu'on vous claque au nez, d'amitiés trahies ou d'abandons précoces parce qu'on lasse soudain, à des morts d'enfants (des choses mortes en leur enfance, avant qu'on ait pu en jouir complètement) . L'hexagone noir est unique et d'un symbolisme facile à élucider .
Le quilt Le Conservatoire qui est présenté ici est encore une autre "aventure" d'assortisseuse; Il s'inspire des ouvrages de l'artiste Deirdre Amsden à laquelle j'ai emprunté le procédé de dégradé de valeurs. Il s'agissait de présenter ma collection sans exclure grand chose. Les étoffes que j'avais différaient fondamentalement de de celles de Deirdre, je devais donc trouver mes pistes moi même , ce fut d'ailleurs un si grand plaisir et défi à la fois ...
Dans le quilt Jaillissements je suis partie de cette image numérique reprise en impression pour la doublure) : et là j'ai usé volontairement de tissus unis ou faux unis :
L'image initiale
On peut voir aussi dans l'index le quilt Pure Mosaïque qui lui aussi part d'une image numérique pixellisé et traitée en tissus marbrés et faux unis appelant la céramique.
Là il faudrait faire une pause .
Bien sûr je pourrais dire qu'entre le charm quilt de mes débuts et celui intitulé Jaillissement il ya eu une évolution vers le "plus contemporain" selon les critères actuels. Pourtant les deux surfaces obéissent exactement au même rapport aux tissus : le désir de varier à l'intérieur d'une zone mes étoffes le plus possible pour donner une sorte de vibration et de nuançage différenttout à fait de celui de la peinture et qui est propre à mon medium (cf photo de détail j'aurais pu mettre le même tissu gris .. ) ; j'ajouterai au niveau de "l'assortissage" expressif les deux premiers quilts ont été plus difficiles à créer . Car assembler des unis ou assimilés c' est toujours moins casse-gueule que de se "battre" avec x imprimés et motifs coupés qui partent dans tous les sens font "incohérents" de nature et comportent des couleurs additionnelles. Seulement l'uni ça ressemble forcément plus à un tableau de peintre abstrait, qui eux ont leur lettres de noblesse. L'imprimé, je le crains fait prolétaire au mauvais sens du terme et aussi " trop patchwork" le mot restant irrémédiablement entaché d'une sorte d'aura de médiocrité. . J'ai tout entendu dire au tournant de l'an 2000 par des amies "branchées" qui ne juraient plus que par l'uni et le teint arisanal voire la peinture sur tissu (annexons donc tous les peintres qui peignent sur toile à l'art textile : c'est la même démarche puisque le tissu là devient un support ) Moi je veux faire des choses qui ne se peignent pas ...ou très difficilement. Dans Jaillissement, le travail principal artistique est venu de l'image (que j'ai créée ) tandis que dans les deux pemiers quilts il vient des tissus et de leur agencement. Même si le nuançage des zones rétablit ce travail essentiel pour moi . sinon autant grder l'image telle quelle ; il est vrai la faire imprimer sur tissu suffit pour la caution textile de l'oeuvre- J'entends mon art des tissus tout autrementn et on m'accoera qu'avec plus de 4000 images numériques imprimables, j'aurais de quoi faire une oeuvre jugée contemporaine ... juste que : ce n'est pas ce que je veux faire, je n'y aurais aucun plaisir, mais qu'on comprenne que j'en ai les moyens côté "imagination" graphique et que je ne fais pas du patchwork pour me cdélasser à côté de cette "vraie" c réation... tellement plus noble etc.
My tailor is rich est fondé lui sur la forme dite "dé à coudre", et là encore c'était le désir d'user de petits morceaux de soie et de tissus en précieux lamés que j'avais récupérés ( petites chutes de la collection Abraham) , j'ai imaginé un "mouvement" avec les tons chauds alliés aux dorés et les froids aux argentés, il est évident que matelasset de telles étoffes me semblait une hérésie j'ai donc brodé à la main les lignes horizontales , comme des étagères où serait posée cette collection de dés.
Comme c'est souvent en faisant une surface que l'envie et l'idée me viennent d'une autre toujours en explorant les "gabarits uniques" je me suis attaquée à une forme avec courbes , ainsi est né cet Avenir radieux comme je voulais la réaliser cette fois avec des soies et des velours , j'ai utilisé la méthode d'assemblage dite "anglaise" où on bâtit les pièces sur des papiers et on les assemble ensuite par surjet ; l'ensemble et fixé sur sur une flanelle et chaque pourtour est rebrodé au point de chaînette torse .. Les motifs qui constituent des sortes d'étoiles courbes (spinning star en anglais) Au centre pour cacher l'assemblage qui, avec ces tissus, ces formes et cette technique ne pouvait être impeccable, j'ai appliqué de petites étoiles (le motif en réduction) brodées main. La bordure est aussi ornée d'étoiles appliquées et brodées un peu plus grande Tout cela reste "imparfait" au plan du nickel chrome si prisé dans ma discipline, mais ce fut un tel plaisir de création et de toucher !
Et comme je n'ai pas renoncé au plaisir de ces surfaces à gabarit unique, (ne me voulant pas "contemporaine" ni "traditionnelle" mais intemporelle au meilleur cas -sourire) mais à tissus très variés, venus de partout et harmonisés à ma manière, il y aura probablement dans cette catégorie, des ajouts. Il y existe aussi d'autres comme Dentelles décalées à voir dans l'index .
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