Jeux d'étoffes : luxe et volupté
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 09/04/2022
- 0 commentaire
Mes premiers désirs de collectionneuse d’étoffe m’ont portée au départ, vers les petits morceaux coloriés et variés de cotonnades faciles à assembler.
Si mes toutes premières compositions textiles attestent que j’utilisais à peu près toutes les sortes d’étoffes que je possédais, ce n’était pas alors par choix, mais par ignorance des « règles » selon lesquelles on coud un « vrai » quilt, et aussi parce que se procurer des étoffes spéciales pour cet usage n’était pas si aisé qu’aujourd’hui.
La géométrie s’accommode mieux de tissus d’épaisseur moyenne et qui se laissent travailler sans s’étirer ou pocher. De plus comme mes premiers ouvrages étaient des couvertures pour mes enfants, il existait aussi un impératif de facilité d’entretien.
Je stockais cependant sans idée définie, tout le reste : jerseys, tissus en viscose, dentelles, velours, soies. Avec pour ces dernières étoffes des fantasmes rentrés de bals, de valses viennoises et de crinolines froufroutantes.
J’en glissais quelques morceaux ça et là, quand leurs coloris ou motifs me paraissaient intégrables à l’ouvrage ou aux ouvrages en cours. Je les doublais d’une fine toile à patron pour les stabiliser et tant pis si l’exactitude de l’assemblage souffrait un peu de cette entorse aux « normes en vigueur ».
L’envie d’ouvrages plus somptueux m’est venue par l’achat de tissus américains des créateurs Hoffman et Kaufman qui tous les ans éditent des collections à tirage limité d’étoffes en coton mais ornés de motifs dorés ou argentés.. L’idée était de faire un quilt pour Noël chaque année ; plus luxueux que les autres, sorte de cadeau à l’ensemble des miens.
Restaient les autres tissus, non prévus pour ce type d’ouvrage.
Je me posais comme souvent et maintenant encore la question de base : « qu’en faire ? » celle qui au fond résume toutes les autres démarches, le désir premier étant vraiment de bâtir quelque chose avec ce que je possède, avant même de vouloir que le résultat soit utile, expressif, esthétique, artistique ou tout autre dessein.
Une réponse m’est venue par le biais des crazys quilts, dans leurs techniques et versions anciennes.
Leur surface où les morceaux sont assemblés selon les hasards des chutes –le but était de ne pas gaspiller ces étoffes luxueuses- m’ont attirée car lorsqu’on les regarde on perd tout à fait les repères habituels du goût. On échappe aux rigueurs de la géométrie, mais pas tout à fait puisque les surfaces sont construites, le plus souvent, dans les ouvrages anciens, à partir de carrés qu’on remplit de chutes colorées et rebrodées. J’aime trop la géométrie pour l’abandonner tout à fait aussi ai-je testé en ces surfaces l’emploi d’autres formes.
On ne sait pas si c’est très beau ou très laid ou les deux à la fois, et surtout, un tel ouvrage permet une grande liberté d’utilisation des étoffes, si on travaille sur un tissu de fondation assez costaud pour supporter les variations d’épaisseurs sans tiraillements ou déformation. Même si deux ou trois livres feuilletés m’ont appris que là encore il existait des habitudes et des « on doit absolument faire ainsi », ou autres « ne pas mélanger ça et ça, » conseils au-dessus desquels je saute allègrement à pieds joints. Et je recommande à quiconque veut s’exprimer authentiquement d’en faire autant…Le maître mot serait : oser. Ce genre de « risque » n’est tout de même pas mortel.
Me séduisait surtout l’importance de la broderie dans ce type d’ouvrage, utilisée à trois fins : consolider, orner, et signifier.
Je suis donc partie pour l’aventure d’un grand crazy , que je nommais l’Arlequin fou (photo) et dont chaque morceau carré me rappelle soit la personne qui me l’a donné, soit un moment de ma vie. Il n’y a pas un seul tissu acheté dans cet ouvrage, et il allie sur sa surface les dentelles main les plus précieuses et de la toile à matelas ou à transatlantique, les soies délicates et l’humble jersey nylon. Mon seul guide était la couleur et les textures. La broderie unifie tout, et si ce fut un très gros travail, étalé sur dix ans, ce fut surtout une très grande joie. De l’élaborer, de le broder et tout à la fin de le contempler et même de dormir dessous. Je n’ai renoncé à ce « privilège » qu’en raison de la fragilité de certains tissus anciens de l’ouvrage. Je suis malheureusement assez souvent partagée entre le désir d’utiliser, de partager et la nécessité de préserver.
Ce premier ouvrage me donna l’envie de créer d’autres surfaces usant de la même technique.
.
Plus tard j’ai agrandi ma collection de quelques soies lyonnaises et j’ai eu la chance de trouver fin 2006, un antiquaire qui se débarrassait des collections d’échantillons de la maison Abraham, soyeux lyonnais qui ont travaillé pour
La beauté et la singularité de ces étoffes m’ont inspiré notamment une série d’ouvrages, dédiée à des entités féminines mythiques ou mythologiques qui est encore « ouverte ». Voie parallèle à l’illustration de la poésie, que je débutais en 2003, qui fera l’objet d’un chapitre spécifique et à laquelle j’ai été amenée par la pratique du crazy .
Cet ensemble d’ouvrages plus ou moins précieux et raffinés constitue un de mes cheminement non exclusif du reste, celui sans doute qui f
ait le plus appel au sens du toucher.
Ajouter un commentaire