Femmes de l'ombre
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 16/05/2019
- Dans opinions
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Intimité et créativité dans les arts textiles de la fin du XIX° au milieu du XX °siècle
Auteur : Danièle Véron-Denise
Silvana Editoriale -cité internationale de la tapisserie d'Aubusson.
2018
en français
Livre en trois parties après diverses présentations, une partie éclaire avec beaucoup de photos les notions techniques de tapisserie à l'aiguille (ce qui n'est nullement inutile pour qui ne la pratique pas ou de manière dilettante !) et même les brodeuses confirmées apprendront par exemple l'existence du "point de Nantes",Il est à noter que les applications sur étoffes sont rangées-là ... alors que c 'est tout autant sinon davantage du patchwork (j'y reviendrai car ce point me titille!) .Il est vrai: patchwork et appliqué sont rattachés tantôt à la broderie, tantôt à la tapisserie . Et le mot "patchwork" continuant de susciter des ricanements absurdes, il est évident qu'il vaut mieux, pour l'aura de l'activité "appliqué" la rattacher à la noble "tapisserie" .
La seconde présente donc les artistes et leurs partenaires d'exécution textile et la genèse des oeuvres est developpée aussi -c'est sans doute à mes yeux, celle qui nous apprend le plus tant elle est fouillée et précise , parfaitement documentée - comme l'ensemble du livre du reste.
La dernière est le catalogue des oeuvres textiles exposées .
Les oeuvres présentées dans ce catalogue d'exposition sont donc souvent "duelles"...Il s'agit de rendre hommage aussi aux compagnes de grands artistes textiles (brodeurs et tapissiers surtout) et de montrer leur importance dans ce travail de l'ombre, si on peut dire, car elles n'ont évidemment pas souvent laissé trace dans l'histoire de l'art autre que fugitive et "au service" de leur mari, fils, d'amant ou de compagnon...ou en tout cas elles sont beaucoup moins connues -à part des spécialistes! Et, je souligne, ledit compagnon n'est pas non plus toujours très connu, non plus.
Chaque parcous est détaill , de manière extrêmement précise , avec détails sur les techniques utilisées , et aussi la mention d'oeuvres disparues.
Je ne peux résumer le parcours de tous ces artistes et de leurs "interprètes" et j'invite à lire le livre qui est passionnant sur le sujet . Je focalise(arbitrairement!) sur ceux qui ont retenu mon attention par une opinion ou une réflexion sur l'art textile en duo qui me porte à méditer et sur cet art , et sur le rôle et la place et...la reconnaissance surtout des femmes dans un art moins prestigieux que la peinture ou la sculpture notamment .
Emile Bernard selon les auteurs broda un peu lui-même réalisa un tableau intitulé les Bretonneries (en patchwork) IL fit broder ses oeuvres -à grands points drpits le plus souvent- par ses diverses compagnes : Maria dont le nom de famille est resté inconnu, Haneanah Saati et Andrée Fort soeur du poète Paul Fort . Oeuvre dont on nous dit qu'elle reste mal connue . L'article conclut "aucune pièce ne figure dans un musée français" ..Et à voir les oeuvres en question , c'est bien dommage !
Aristide Maillol (qui fut tapissier et céramiste avant d'être sculpteur ) écrivit : "J 'ai inventé un point très simple (le point lancé! ) de telle façon que je puis faire exécuter mes tapisseries par les femmes les moins intelligentes "-sic - ! mais il appréciait quand même que ses ouvrières aient été " très jolies". Il abandonna la tapisserie en raison de problèmes de vue et devint le sculpteur que l'on sait ; sa compagne Clotilde Narcis lui servit de brodeuse et de modèle et devint sa femme.
On connaît bien Jean Lurçat pour ses tapisseries tissées, on sait moins qu'il s'intéressa aussi la tapisserie à l'aiguille en créant des cartons pour "canevas" , sa mère fut l'exécutante de sa première broderie . Il est noté que la tapisserie à l'aiguille a des exigences propres et justement celle qui l'interprète n'est pas dans la simple exécution (il faut penser la surface en matières et en points sans parler des couleurs qui ne jouent pas de la même façon sur les points que sur de la peinture) Il semble notamment que Marthe Hennebert qui broda beaucoup des tapisseries à l'aiguille du maître et qui fut amie du poète Rilke, puis l'épouse de Lurçat ait été bien plus qu'une simple exécutante .Il s'agit bien de donner vie et une vie textile à un carton qui est un dessin essentiel certes mais il existe une part indéniable de création par points et fils dans le passage d'un art à un autre.
La compagne de Roger Bissière dite Mousse -les tapisseries de Roger Bissière sont des patchworks d'appliqués -mais on dit tapisseries puisque le mot patchwork reste, hélas dépréciatif- elle, créait carrément ... en composant avec des étoffes choisies par son partenaire. j'avoue avoir un coup de coeur pour ces tableaux-là. Et ce sont même les rares patchworks que les musées accueillent , -(il suffit de ne pas dire que ça en est et surtout qu'il y ait un grand art exercé comme caution artistique du travail d'étoffes. Le travail d'étoffes seul lui, surtout si c'est du patchwork, s'avouant tel, n'est pas considéré de la même façon , surtout s'il est hors courant et intelligentsias.
Pourtant Bissière lui-même écrivit :" Le tableau qu'il soit à l'huile, à l'eau ou qu'il soit fait d'étoffes, de ciment ou de la boue des chemins n'a qu'une signification la qualité de celui qui l'a créé".
J'ajouterai : ou de celles et que les celles en question ont été à travers les siècles étellement plus nombreuses à créer avec fils et étoffes pas seulement à reproduire ou interpréter des modèles ... qu'on aille y voir , bon sang qu'on aille y voir !
Dans cette partie Jeanne Kosnick Kloss Freundlich est la seule a être présentée comme créatrice "à part entière" encouragée toutefois par son mari l'artiste Otto Freunlich qui périt en camp de concentration . On la connaît surtout comme peintre , mais elle a créé dans d'autres disciplines avec bonheur et réussite y compris celui du chant lyrique. Son Apthéose des couleurs est une tapisserie brodée magniqfique.
il faudrait citer aussi :
Paul Eliee Ranson et France Rousseau, Laure Lacombe.
Fernand Maillot et Fernande Sévry
Paul Deltombe et Yvonne Berthault
Georges Braque et Octavie Eugénie dite Marcelle Lapré
Henry de Waroqiuier et Marie Joséphine Louise "Suzanne" Plassard
Bernard Pomey et Madelene Biardot dite Manon et un dernier chapitre intitulé : et quelques autres (prmmi lesquels Blanche Ory Robin (qui créait seule
et Sophie Tauer-Arp dont il est dit qu'elle créait tellementet en symbiose avec Jean Arp qu'il est impossible de savoir qui a créée quoi (et sans doute inutile !)
Et j'en ai sûrement oublié !
Et on conclut par un chapitre sur le rôle de ces femmes insistant sur leur qualité d'interprètes et la part active prise à l'exécution de l'oeuvre.
Ce livre est magnifique et il nous apprend énormément sur une partie peu connue de l'art textile..Les photographies sont également de grande qualité.
Je suis pour ma part dans une position plus militante ... on le sait.
J'aimerais qu'un travail soit fait sur les artistes femmes qui créent seules leurs surfaces textiles, en commençant par une étude des oeuvres qui ne soit plus uniquement histirique ou de technique, mais s'interroge et interroge sur l'expression artistique qui s'en dégage. Il est vrai : très peu de personnes en France semblent juger que c'est nécessaire et même simplement pertinent ("c'est comme ça depuis des siècles et donc si c'était vraiment un art,ça se saurait"et autres arguments aussi peu fondés .) Et dans ses parties les plus ignorées (comme le patchwork, la tapisserie à l'aiguille ou la broderie de création- création en broderie pas forcément en dessin ! )on en est très loin.
On est toujours dans l'optique pour être artiste en art textile il faut à côté avoir exercé un grand art ( ou l'execer en imitant les grands arts), ou encore être la compagne de quelqu'un qui exerce un grand art . Seule dans son coin notre "anonymous woman" reste niée et dans sa création et dans son expression personnelle, on lui concèdera toujours un bel ouvrage et :"ah quel travail !" qu'on sert aussi à celle qui ne crée pas . Au pire on lui préferera la parfaite exécutrice virtuose d'un kit difficile.
Ce livre fait la part belle au travail des interprètes (et dans ce type de passage d'un art à un autre il y a effectivement ue grande part de création pas uniquement technique L'auteur fait une comparaison avec l'artiste interprète en musique .Et sur ce point la comparaison est juste : il s'agit de donner une vie textile au carton d'origine.. Il ya création donc dans le passage d'un art à un autre et création à part entière, surtout quand l'interprète y introduit des modifications qui viennent d'elle, de ses décisions propres.
Je soulignerai toutefois que si une composition musicale a besoin d'interpètes pour être entendue, un carton a besoin d'interprètes textiles pour exister en tant que pièce unique, on donne vie à quelque chose qui n'existait pas , une oeuvre en kit ou en modèle style "pas à pas" à suivre, non : on refait ce qui existe déjà . C'est rappelé aussi dans ce livre et c'est bien.
Le livre souligne aussi que, pour beaucoup d'oeuvres, on ne sait pas on où elles se trouvent et en quel état .Alors pour des complètemet anonymes vous pensez !
Les oeuvres textiles, il est vrai, exigent une manutention coûteuse et dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres on ne fait d'efforts que pour ce qui est ancien ( ou au contraire dans la dernière mouvance au goût du jour ) . On conserve mieux les échantillons d'étoffes du patrimoine industriel -et on a raison- que les oeuvres créées avec des tissus et des fils. Il faudrait un travail d'indexation et un travail honnête , reconnaissant sources, emprunts. Et des analyses côté art à visée expressive et esthétique pas seulement technique ou historique. Seul moyen que ça glisse un jour côté culture générale et non oeuvres qui n'auraient d'intérêt que pour les spécialistes .. Comment savoir si on refuse d'aller vraiment y voir ?
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