pourquoi je reste amateur
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 30/01/2016
- Dans opinions
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J'aimerais expliquer ici que je considère pas le moins du monde mes activités de création comme un loisir ou un moyen d'occuper le temps de ma retraite - choses que je m'entends souvent dire- je suis quasiment forcée de rester amateur, avec cette connotation d'amateurisme, si péjorative.
D'abord en France on fonctionne au diplôme, et même si je me voulais artisan d'art, je n'aurais pas le droit de décider que je le suis, même si je suis capable de créer des oeuvres ainsi,
pour une revue de Broderie d'art , notamment. Il me faudrait une formation certfiée, diplôme etc . Il n'est pas question, sachant tenir une aiguille et broder depuis que j'ai sept ans, que j'aille repasser des examens ... De plus je brode comme je couds non en vue d'une perfection technique normée et évaluable, mais comme un peintre peint pour m'exprimer avec des matières. Et cela, à mon avis ne s'évalue pas; professeur, je refusais de noter les poèmes de mes élèves. L'art et la poésie sont des langages non rationnels, qui ne se jugent pas sur de tels critères., même si tout ne se vaut pas ! Du reste, il n'existe pas de diplôme de poète ou d'écrivain. Et pour moi, broder, assembler et écrire sont expressions multilples d'une même inspiration. Que les lois , moeurs et coutumes des hommes les rangent sous telle ou telle étiquette : je me sens profondément en marge de tout cela, c'est une des conditions de ma liberté de créatrice.
Je passe aussi sur le coût d'une formation reconnue en école privée comprenant celui d'un hébergement éventuel loin de chez moi, ou de stages "prestigieux" avec artistes reconnus. Je n'en ai ni le temps, ni le goût, ni les moyens et surtout j'apprends mieux seule un livre ouvert ou plusieurs et expérimentant, mêlant, me trompant et découvrant plus dans certaines de mes erreurs, qui ne sont qu'expérimentations et errances, essais, que dans une soi-disant discipline imposée de l'extérieur par quelqu'un qui a sa propre vision des choses.ne coïncidant pas forcément avec les miennes propres. et sauf à me prouver que les miennes vaudraient moins , elles sont essentielles pour moi. Si souvent j'ai eu l'impression qu'on me demandait pour me "former" d'être autre que ce que je suis et de me conformer à !
Quant à mes compétences côté assemblage de tissus et patchwork, j'ai appris en autodidacte, mais à partir d'une formation de couture que les femmes de ma génération ont toutes suivie à l'école, renforcée par le fait qu'étant issue de ce qu'on nommerait aujourd'hui un milieu défavorisé, je cousais moi-même ma garde-robe et souvent, dans des tissus de récupération! . C'était peut-être sexiste d'apprendre aux filles à coudre, mais plutôt que de ne plus le leur apprendre, au nom de ce féminisme mal compris que ne cautionnerai jamais, on aurait mieux fait d'étendre cet apprentissage aussi aux garçons.Tant qu'on considérera que les domaines où les femmes excellaient (déjà en prétendues amateurs!) ne valent que pipeau ou pipette, on n'avancera pas d'un iota dans une véritable égalité. Là encore un CAP de couture ne me servirait à rien : pour moi, le patchwork, tel que je le pratique, n'est pas essentiellement de la couture mais de l'assemblage : je revendique depuis les débuts le droit de le faire échapper aux diktats des dames qui justement y viennent parce qu'elles aiment coudre et ne savent pas à quoi employer leur temps libre. Leur manière de procéder n'est pas la mienne, je la respecte , mais j'aimerais bien qu'on comprenne que je ne ferai jamais comme cela.J'ai su faire des robes , et je l'ai déjà dit, je n'applique la norme de finition qu'aux ouvrages utilitaires. Quand on me demande un gilet il est réversible et doublé dans les règles de l'art -ce qui est loin d'être facile! , mais je n'ai pas envie de passer ma vie à cela.
Je n'ai pas fait les Beaux-arts, mes arts à moi n'étant pas nobles et du reste peu enseignés en dehors d'une optique pratique ou d'arts dits appliqués -ce que je discute comme on le sait- (même celle prestigieuse de broder ou d'assembler pour la Haute-Couture je me suis formée par le regard, et le coeur en observant les oeuvres des autres, et partout formes, couleurs et matières , ce que j'admire : c'est là mon école. Ce n'est guère suffisant même si depuis des années j'observe,je réfléchis, je collectionne, j'annote, je compose. Mes carnets en attestent.
.Je travaille sur mes arts -et j'y compte la littérature , entre cinq et huit heures par jour, quand je le puis. Mais je ne suis qu'amateur!
Le grand problème on l'aura compris c'est aussi l'argent : tout ce qui ne saurait en rapporter est jugé nul et non avenu. Triste façon de considérer une oeuvre ! Oui triste pour ceux dont le regard est obscurci par ce préjugé !
Ensuite si d'aventure on voulait bien m'accepter, côté administratif, comme "amateur ayant le droit de vendre occasionnnellement" , je devrais au minimum tenir -me dit-on un registre comptable avec mes fournitures dépenses et recettes - comment fais-je pour un quilt qui comporte parfois pas moins de 600 à 2000 tissus différents ? Je compte comment ? PourR certains achetés certes, mais pour beaucoup échangés ou récupérés chez des brocanteurs qui ne fournissent pas de facture pour quelques vieux chiffons dont il se débarrassent -mais qui ne sont pas gratuits pour moi, cependant. Si on admettait des frais estimés , côté impôts, ce serait possible, mais las nous sommes en France pays tâtillon s'il en est, à cet égard. les factures font seule foi .. Je veux bien que ce soit pour contrôler an cas d'abus.. Et je comprends aussi que mon cas est trop particulier pour être pris en compte , un peu comme si j'avais une maladie d'artiste orpheline ! Il faut faire nombre ,pour faire bloc , et je suis seule. Je ne m'en plains pas : je veux l'être, c'est aussi une condition de ma liberté.
Quant aux images numériques, nous sommes là dans quelque chose qui paraît encore nouveau -ne l'étant pas tout à fait- . je passe sur tous ceux qui y voient une facilité. Soyons francs, c'est vrai, les logiciels peuvent compenser mes incapacités en dessin dit d'art -surtout si ce dessin se réduit à l'imitation exacte de la réalité - mais maîtriser un logiciel et en user de manière à s'exprimer avec ses nombreux paramètres, demande aussi des heures d'investigation, de recherche de travail . Ce n'est pas de "l'automatisme" à preuve j'ai rarement vu deux artistes numériques produire des oeuvres vraiment ressemblantes, tant justement les possibilités d'expression sont avec cet autre outil, variées .Je pars d'un écran blanc les matrices que j'utilise, pour les métamorphoser sont les miennes. Il arrive que des pros me demandent mes "trucs" mais je ne suis qu' amateur. C'est peut-être le seul domaine où je pourrais (peut-être) avoir existence officielle : là je peux tenir une comptabilité sans trop de mal . Mais je me refuse à n'exister que partiellement, amputée de mes autres valences . Pour moi, cela n'aurait pas de sens.
Retraitée- partielle!- je ne peux m'inscrire officiellement comme si j'étais artiste essentiellement et en faisant mon gagne-pain et cotisant pour une retraite future. Un artiste n'est du reste jamais à la retraite : il crée jusqu'à son dernier souffle de vie, tant qu'il le peut.
De plus si j'ai commencé mon "plein temps" artistique à l'âge de 52 ans, c'est bien avant que je créais .En fait, depuis toujours. Certes dans certains domaines, je suis artiste récente -mais déjà frappée de "sénilité". Sexisme et âgisme sont aussi souvent mon lot quotidien.Evidemment pas de la part de tous. Reconnaissance à mes amis hommes et femmes souvent artistes d'arts semblables ou différents qui veulent bien me tenir pour une des leurs. Pour moi c'est immense ! c'est ce que je nomme ma bouffée d'oxygène.
J'ouvre ici une parenthèse : je n'ai pas de jalousie, ni même d'envie envers les artistes qui eux peuvent se déclarer et fonctionner "légalement' . Je ne méprise pas leur formation. Au contraire . Mais je rappelle qu' il en est d'autres, la mienne j'ai expliqué comment elle s'est faite," l'école d'art "pour moi continue tous les jours via livres, rencontres, discussions , interrogations;. Ce n'est ni mieux, ni moins bien, c'est autre chose.
En littérature c'est encore mieux; je suis professeur de Lettres, mais figurez-vous c'est un handicap, face aux modes actuelles qui voudraient que forcément un ex-professeur écrive uniquement conditionné par l'Université ... et mon écriture manquerait de spontanéité -forcément je serais scolaire (tout ça affirmé , le plus souvent, sans m'avoir lue bien sûr!) . J'ai écrit bien avant d'être professeur et quand je fais quelque chose, j'y mets toujours toute mon ardeur, mes exigences à l'égard de la vision que j'en ai et que je n'atteins jamais .
Enfin je ne crée pas essentiellement pour vendre . Je comprends que d'autres le choisissent : un artiste ne vit pas de l'air du temps! Mais j'ai mené ma vie selon ce choix : me réserver en fin de vie une période dont j'ignore la durée, et qui serait réservée à mes vocations vitales sans dépe,dre financièrement de cette activité.
C'est pourquoi je dis que je construis une oeuvre et pas une carrière. je veux créer, et non produire.
Ce que je saisis mal, c'est pourquoi ce choix-un peu forcé aussi par les circonstances et les réglementations en vigueur- dévaloriserait ce que je fais.
Si c'était officiel et professionnalisé serait-ce mieux ? Pour ma part j'en doute. Je ne regrette pas mon choix, je regrette le regard habituel sur les "amateurs" toujours un peu méprisant ou condescendant.
Alors voilà :je suis amateur mais pas dilettante. Mon oeuvre c'est plusieurs centaines de pages d' écrits, des centaines d'oeuvres textiles et d'images numériques tout cela créé sur plus de quarante ans. La quantité ne fait pas forcément la qualité, mais sur ce site, on peut quand même en juger sur quelques pièces! Et j'ai obtenu comme on dit des "retours" . Comme une pro ! Mais je reste un rien complétement négligeable, parce que je ne veux et ne peux légalement suivre les voies dites normales de "promotion- exposition- vente" etc. Un rien, appartenant déjà et avant moi à la nuit de l'oubli et du temps. Partageable difficilement, au compte-gouttes -mais chaque goutte est pour moi nectar !
Ce n'est pas un regret, c'est une explication,un témoignage, une constatation d'un état de faits. Dont je suis en partie responsable, par mes choix. Si tant est que j'ai choisi d'être inspirée de cette façon-là !Mais qui d'un autre côté m'est imposé : il faudrait que je renie ce que je suis et ce qui fait le sens même de mon travail pour qu'il en soit autrement.
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