Selmy Accilien : Et tu m'as dit
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 10/03/2017
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Une voix parle au poète qui nous parle par cette voie. Et ce qu’elle transmet est traversé d’un souffle d’une rare puissance. Elle prophétise avec gravité, mais en apesanteur. Celui qui lit éprouve l’impression d’être à la fois le destinataire et l’instigateur de ce qui se trame et déroule sous ses yeux, comme une tapisserie mobile, dont les images s’animent. On regarde à la fois tous les coins du tableau, on avance en agglutinant les lignes lues à celles à découvrir.
C’est une voix qui donne à voir autant qu’à écouter et nous devons progresser à la fois de manière linéaire et dans la profondeur des superpositions qui imagent notre mémoire.
Le texte contient un étrange bestiaire où sont convoqués en même temps qu’évoqués le renne, le bison,le chien des bois, la colombe, chats sauvages et rossignols, pour n’en citer que quelques-uns. Temps et lieux mêlés, mais dans un ordonnancement que le rythme cadence.
Et même une étrange bête qui pourrait celle d’une apocalypse hélas déjà survenue et qui de misère en misère se régénère comme les hydres. Mais ce qui détruit, aussi, régénère.
« -Quelle est cette bête,Cette tortue démoniaque,dos épineux Qui visite, à moitié nuit
Les quatre coins de ma chambre ? »
Images visionnaires fortes de leurs symboles, mais qui gardent toutes la beauté concrète et quasiment palpable de leur état originel. Non pas de banales métaphores formelles, mais un monde où la vie qu’elle soit réelle ou rêvée, fantasmée s’accroche partout où on le lui permet. et même et surtout où on le lui interdirait.
Les lieux où se meuvent ses vies sont tout sauf purement symboliques. « Oniriques » dirait l’auteur , et pourtant l’eau et la terre, « l’île ou les îles » affirment leur matérialité. C’est un monde des origines d’avant les origines, une sorte de pré-genèse. Un monde d’avant une re-naissance.
L’eau est omniprésente : la pluie , surtout :
La pluie
Qu’est-ce que c’est que la pluie ? La pluie est la naissance de toutes les rivières oubliées
Mais tous les éléments sont tour à tour évoqués, invoqués,la terre, le vent, l’orage … bâtissant un paysage qui se construit, à la fois extérieur et intérieur. Toujours imprégné d’une souffrance qui se dit sans emphase, et avec beaucoup de lucidité, celle des « clair- voyants ».
L’expression de la douleur et du malheur n’est pas déploration mais révolte et surtout espoir.
Interrogations ouvertes d’une âme qui cherche son chemin et sillon jusque dans la nôtre car impossible de lire non pas sans entrer dans le texte mais sans que le texte entre en nous. Un rythme se déploie. On marche sur une terre imprégnée d’eau mais assoiffée d’une guérison comme un mal de pays qu’on éprouverait en une nostalgie à rebours.
« -Le pied gauche des nuages
Est un pas de chats sauvages
Qui a fendu le ciel en deux morceaux
Et les éclats qui tombent par terre
Font le dessin d’un poème qui dit »
Cette terre ne peut-être chantée sans la misère qui y adhère mais aussi l’espoir et la lutte Lutte d’une âme, celle du poète contre l’adversité personnelle mais incluse dans le sort fait à son pays :
« -Pauvre de la terre des hommes
Pauvre poète,pauvre
Le drapeau déchiré du ciel
Semble à ton visage
Car tu regardes trop les étoiles qui chamaillent en équipe
Dans l’étreinte des anges rebelles »
Une voix interroge et est interrogée, affirme et questionne, est questionnée elle-même introduisant une composition en abyme, écho et résonance dans un réel vertige. Dans un jeu du « je » du « tu » et du « il ».
« Il est d’une île de terre grise
Et de sable d’or
Petite île mal-aimée ou brisée de confiance Il est de nous et du ‘’tu’’
Qui est-il même ? »
Dans la valse des pronoms personnels, des questions et des réponses, le poète cherche non la Vérité ou tout au moins dans une forme intangible, mais ce « qui es-tu ?» relie à un « qui suis-je ?« « que fais-je en ce lieu ? » et même « que fais-je dans cette vie-là ? ».
L’auteur donne des éléments de réponse :
-La vie que j’avais à aimer Et reconnaître sa beauté
C’est la vie des pierres précieuses
Que j’ai élevées, les unes après les autres, Dans la rivière de mon cœur
Pas la vie des enfants que j’ai côtoyés
Pas la vie des terres que j’ai foulées sous mes pieds Mais la vie d’un poème qu’on refuse de lire La vie d’une colombe malade au pied droit.
Ce n’est ici que souligner quelques éclats d’une magnificence : ce poème : ne refusons pas de le lire, tout au contraire, découvrons-le en son ensemble et ses splendeurs et en savourons à chaque ligne le total bonheur d’un expression authentique et singulière.
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