Composer ou dessiner ...

Est-on obligée d'être un as en dessin et peinture pour s'exprimer en textile ?

Toute surface qu'on crée, quel que soit le moyen dont on use et le style qu'on élit,  présente des formes agencées , et donc une composition. Un photographe ne dessine pas non plus avec un crayon, il ne peint pas, il compose avec son sujet,  le cadrage, la lumière etc. 

Rapporté à nos arts textiles, il existe donc evidemment, bien des manières de composer et/ou dessiner, toutes malheureusement ne sont pas prisées de la même manière. Là encore il y aurait les grandes et les petites ... les artistiques et les non-artistiques. Je n'invente pas : on me l'a dit et redit et reredit . On peut le lire un peu partout . "Il faut avoir fait les Beaux-arts (ou une école d'art)  pour être une "vraie" artiste  textile", a-t-on encore assuré il y a peu  une de mes connaissances. Culte du diplôme et de la formation voire de la voie royale ( mais je suis  résolument républicaine, moi, à cet égard...Sourire ).

Les quilteuses composent aussi, même celles qui ne dessinent pas, du moins celles qui créent les surfaces . Mais ça se sait moins ! il est vrai que pour parler de ce travail, il faut l'avoir fait et non emprunté à quelqu'un d'autre, on en revient toujours là . Pour la majorité des gens, je le rappelle, le patchwork est un loisir de reproduction de modèles . Et tant pis pour qui prétend l'exercer autrement . Tout se passe comme si les quilts qu'on expose avaient tous étaient faits d'après un modèle de revue, On n'imagine pas qu'ils puissent s'appuyer sur un travail réel et personnel de création avant l'opération couture. Ou si toutefois on le concède , ce travail ne saurait être d'artiste.

 Souvent   aussi et c'est lié, je vois  dans les livres actuels,  le passage imposé par le sketchbook, carnet d'esquisses, adorné de dessins splendides et présentés comme un savoir et une recherche graphique absolument nécessaires pour briller dans notre microcosme.   Ces carnets sont très beaux, des œuvres d'art en eux-mêmes, nul doute qu'ils puissent servir de base à un ouvrage textile, mais à mon avis , on peut faire autrement. Est--ce une absolue nécessité dans un travail où le tissu serait l'essentiel ? C'est une approche. Il y a en a d'autres, moins prestigieuses puisque ne se raccrochant pas à ces arts reconnus que sont dessin et peinture.

Les carnets d'une artiste textile peuvent ressembler à toute autre chose qu'un carnet d'esquisses pour peintre-dessinateur tout simplement parce que si le tissu prend la place  centrale, cela peut  se concevoir  autrement . Et l'approche  peut passer  aussi par  "pas de carnet du tout" : juste les tissus et ce qu'ils suggèrent. Qu'on me pardonne de prendre mon travail en illustration -non en exemple- Je n'ai accès qu'à  la genèse de mes ouvrages.

On commencera par ce  ce que je nomme l'inspiration et la création  en géométrie régulière que je me refuse à enfermer sous l'étiquette "traditionnel" .. Celle qui précisément n'est pas côté Beaux arts !  Ni cotée en tant qu'art. puisque toujours ramenée à son niveau "loisir de détente" . Et ne le sera jamais.

Ce non-art , si décrié, moqué, ridiculisé même parfois , ne s'élabore pas tout seul cependant .

La preuve. Cliquez sur les numéros des pages en bas pour lire la suite.


photos 1 et 2

La photo 1 montre une élaboration sur papier quadrillé du temps d'avant les logiciels à partir du bloc traditionnel dit Sugar Loaf : Pain de sucre. Le nombre de blocs, leur disposition leur taille -qui n'est nullement indifférente à l'aspect final et à ce qu'il propose- sont naturellement de mon choix. .Choix ici fait en fonction des étoffes que je voulais utiliser . J'y reviendrai. En regard la photo 2 elle vous montre le quilt Confiseries qui en résulte; Je parlerai plus loin de l'importance des graphismes autres que ce  "squelette" de base, tracé . On peut voir déjà ce que le choix des couleurs et valeurs lui apporte au niveau d'un "dessin" complémentaire : les lignes obliques que ce choix a créées sur la surface. Cela peut paraître facile ...mais alors  : qu'on s'y essaie avant de juger.

confos-1-recmarges.jpg

photos 3-4-5

Parfois comme sur les photos 3 et 4 et 5 qui montrent mes classeurs de dessins  d'ouvrages encore non réalisés -et qui ne le seront peut-être jamais -  (mon vivier comme je dis ) on trouve nombre de plans élaborés à l'aide des logiciels de patchwork.

Ce n'est pas le logiciel qui compose tout seul (même s'il existe dedans des plans tout faits ). Ce qui est prodigieusement intéressant c'est d'explorer, d'associer, de détourner,  de modifier. j'y travaille depuis 1998, je découvre encore, d'autant  que les logiciels évoluent. Et je rappelle qu'ils ont des fonctions de dessin libre, à main levée De tels outils ne remplacent pas l'imagination conceptrice, mais ils la libèrent. Ils libèrent surtout de la dépendance à la composition des autres, au vu que faire à la main un  dessin géométrique un peu complexe peut décourager (d'où la tendance à l'emprunter et à se l'approprier en y mettant ses tissus et ses couleurs ... )

Ils permettent d'aller beaucoup lus loin que la simple juxtaposition de blocs,  il y a beaucoup plus à faire avec ces géométries-là au niveau composition personnelle. Ce qui m'étonne c'est que dans aucun livre d'art quilt ou d'art textile contemporain cette source-là qui n'aboutit pas toujours à des quilts d'esprit dit  traditionnel , ne soit jamais citée. Signe d'une exclusion d'office.   "Il faut sortir de ce carcan" , je l'ai lu des milliers de fois. Il est vrai, pour être consacrée artiste textile, il faut surtout fuir cette voie-là , ça se chuchote en aparté ...

Le problème c'est que pour moi ce n'est pas un carcan c'est une liberté de choix et de composition, d'expression personnelle infinie. 

Ces dessins géométriques ne sont pas considérés comme de l'art bien évidemment  à la différence des carnets de croquis cités ci -dessus..Pourtant les deux sont points de départ ce que je nomme source graphique pour la mise en étoffes. Ils ne le sont pas parce que si le choix de l'armature compte, elle compte aussi  en fonction des étapes suivantes qui participent aussi de la composition. L'essentiel n'est effectivement pas toujours dans le dessin de base , la "grille" en quelque sorte. Une simple grille de carrés permet déjà des multitudes de compositions différentes aux étapes suivantes.

Et notamment  le  choix des couleurs et des valeurs . Ces jeux de contrastes, d'ombres et de lumières  sont un deuxième niveau de  "dessin" essentiel car c'est lui qui donne le rythme et la profondeur . Sinon on a quelque chose de "plat" . il ne s'agit pas ici de faire un cours pour expliquer comment y parvenir.   J'ai donné des pistes dans mon livre Jeux d'étoffes et je ne puis dire en quelques lignes autant qu'en plus de cent pages.

Souvent je dessine non plan en fonction  d'un choix d'étoffes que je veux utiliser et l'ayant en  tête. Parfois c'est l'exact contraire c'est le dessin qui me donne envie de le  "remplir" en tissus en quelque sorte. Le rapport entre l'échelle du motif du tissu et la taille du fragment qu'on va assembler a son importance. La direction, la densité des motifs aussi, la manière dont ils sont centrés, la façon dont ils vont se recouper, guider ou perdre l’œil et surtout la façon dont ils sont associés. Tout cela pas seulement pour faire joli, mais pour rendre ce qu'on a dans la tête, le coeur et le ventre. Comme les autres artistes, les vrais, ceux qui ont fait les Beaux-arts.

Les motifs ont un langage, des échos, ils se répondent par leur formes, leurs couleurs . Ils animent la surface et lui donnent vie. Certes on peut préférer la sobriété des pièces unies qui ressemblent tant à une surface  peinte, justement. On peut, mais autre chose existe aussi à côté qui se dit autrement .

Ce travail-là , le plus ignoré de tous, est aussi une composition, parfois fort complexe; Il ne s'apprend pas aux Beaux-arts, certes. Ni dans les écoles d'arts appliqués au motif que ce n'est pas du "contemporain", Il est même devenu une sorte de symbole de ce qu'il ne faut surtout plus faire comme étant démodé. .

Est-il pour autant nul et non avenu ? Pas artistique ? Au nom de quoi ? 

  Il y aura donc ce triple  jeu de lignes celle de l'armature , des couleurs et valeurs et   celle des motifs . Tout cela est un jeu complexe, le maîtriser demande comme en tout autre art une compétence, du travail, de la recherche, et peut-être même un talent...

Et puis côté dessin composition il y a encore dans un quilt la décision de le  matelasser ou non -il existe d'autres options-  et j'aimerais qu'on en soit libre. ou encore de le broder et  ce sont encore des lignes et des reliefs avec lesquels il v a falloir composer...  en accord avec le reste : simplement souligner, ou user d'un matelassage intense, ou encore de rien du tout, pourquoi pas ... c'est encore un travail qui touche à l'esthétique côté sculpture de bas relief ...

S'y ajoutent encore éventuellement ce qu'on nomme improprement "embellissements" et qui peuvent être des ajouts signifiant quelque chose, pas juste là pour faire joli..parmi lesquels la broderie dont les points dans leur variété est encore un autre code et ce,  qu'on utilise la main ou la machine.

Il y donc bien lignes  dessins  à toutes les étapes de cette composition...des lignes et des dessins qui en combinaison  avec  une matière sont censés produire un effet esthétique signifiant et même  rendre des émotions . Mais ce ne serait  pas être artiste que de maitriser tous ses aspects, puisque des personnes en décident à notre place.  Au nom de quoi et s'appuyant sur quelle connaissance des arts textiles, et même de l'art tour court, ça,  je me le demande.

 

Dessiner, tout simplement ...

Les photos ci-dessus représentent, elles, une autre façon d'obtenir un dessin : la plus simple du monde : je prends un crayon et un stylo et je me lance... cela peut-être encore très géométrique comme pour la photo de gauche, mais on peut aussi arriver à élaborer quelque chose comme le dessin du centre, qui n'est effectivement qu'esquisse et se pense en tissus aussi ...Généralement pour ces ouvrages-là j’utilise moins d'étoffes , et moins de couleurs. La visée n'est pas la même, le rapport aux tissus  non plus . il est plus proche de celui du crazy quilt , ces surfaces sont souvent rebrodées ... Le quilt le jardin de Flore, visible dans la partie Ouvrages a été conçu ainsi.

La dernière image montre des idées que je note en regardant les motifs sur les étoffes. Je m'étonne toujours que dans un art dit textile ils comptent si peu . J'aime bien les prendre comme point de départ pour reconstituer autre  chose.

Je vois pas en quoi ce serait moins "artistique" que de partir d'une photo de la nature (ce que je fais aussi surtout en broderie notamment pour le triptyque aux pavots ). . A-t-on à ce point, côté artistes contemporaines, une détestation des imprimés sur le tissu, que ça ne puisse être une source à mettre en  étoffes, tout autant qu'une photographie ou un dessin ?

Pour ma part, je pourrais en faire le sujet d'un livre et même y occuper le restant de mes jours, mais j'aime beaucoup trop varier les sources (les plaisirs) pour cela ....

Les images numériques

A partir d'images nuùériques que je crée.

 Je m'intéresse aux images numériques depuis 2005, et je renvoie pour le détail aux articles que j'ai écrits  ce sujet. Ici je voudrais montrer un exemple d'interprétation en étoffes dune image de la Série Nous qui a été faite exprès pour cela; J'entends par là que souvent l'image numérique est faite pour elle-même et la décision de l'interpréter en étoffes vient (ou ne vient pas) plus tard.

 Là j'ai dessiné sur écran la composition que je voulais obtenir ou plus exactement son ébauche. L'écran était blanc donc ce que  vous voyez dessus est bien de moi (je dis cela parce que souvent on s'imagine que le dessin se fait automatiquement !) , J'y ai appliqué un effet de peinture parce  que dans ce type de travail j'ulilise des petits bouts d'étoffes restant d'autres ouvrages , et là tout compte leur épaisseur, leur toucher,  leur capacité à se mêler entre eux à s’ébouriffer et naturellement leurs motifs éventuels. Parce que c'est du patchwork et non de la peinture, précisément, et que je reste fidèle à mon désir d'être avant toute chose une artiste en tissus .

Je voulais aussi construire autour d'un tissu, le morceau de velours  vert symbolisant l'espoir.Tout est parti de lui,.. Malheureusement il rend très mal en photo du fait de sa chatoyance.

Le dessin sur le tissu  de fond a été ensuite tracé à main levée ( mais je n'ai pas besoin pour cela,  d'avoir fait les Beaux-arts : la vision, en moi était si forte de ce que je voulais ..) Ensuite vient  tout le travail de placement et de direction des morceaux d'étoffes  qui crée des lignes et enfin la broderie main et machine est un niveau surajouté, le dessin des points décoratifs  est aussi choisi, tout pour moi concourt à l’ensemble.

espoir-detail-1-1.jpg

Pas de dessin préalable du tout ...

Improvisations diverses

Pour ces œuvres juste les tissus, des ciseaux pour découper, les mains pour mixer.. Elles sont composées cependant. Je  veux dire par là que les choses ne se placent pas  n'importe comment mais en fonction de la représentation intérieure qui se met en " images -tissus "au fur et à mesure qu'on crée . C'est un de mes moyens favoris, et il ne s'apprend nulle part qu'à l'écoute de soi, des autres, du monde autour de soi et .... des tissus !

Ainsi mes voies qui sont volontairement multiples vont de la rigueur de la géométrie  au lâcher-prise de l'improvisation. J'ai besoin de tout cela pour dire ce qui est en moi .Je  ne veux m'amputer de rien au motif que ce serait trop traditionnel ou pas assez artistique ou pas  original etc.... Je passe outre aux écoles,  aux clans, aux préjugés depuis plus de trente ans et c'est si ça ne contribue certes pas  me faire reconnaître, du moins dans les milieux textiles , où il faut faire partie d'un club, d'un clan ou tout au moins choisir son camp et être  classable, cette attitude  assure ma liberté. De parole aussi.

 Dans tous les cas vous voyez, vous, des formes agencées des dessins, des couleurs. Ils sont nés d'un travail, d'une inspiration .  Mes professeurs ont été les livres innombrables que j'ai lus,  les œuvres que je visionne et analyse inlassablement , et mes contacts avec des artistes,  de disciplines différentes aussi .

Je ne parle pas ici de l'inspiration à partir des mots, mais elle est sous-jacente ...puisque les mots suscitent parfois des dessins, des images.

 La source essentielle c'est les tissus , ce qu'ils me donnent , l'envie de réaliser avec eux .

Est-ce si différent de ce que font les "vrais" artistes?  Passés par les Beaux- arts ou les écoles prestigieuses ?  Je vous en laisse juge .