questions de vocabulaire - 4
Réalisation, interprétation, création, art : la loi du silence et la peur des mots.
« Faire du patchwork (ou de la broderie), il me semble que cette expression recouvre des pratiques bien différentes et qui ne sont pas suffisamment différenciées, surtout dans l’esprit du public. Il y a « public » dès que l’on montre en dehors de la sphère privée. Et en particulier, dans les expositions, les revues ou internet.
Une femme achète un magazine, un kit ou un patron et confectionne un quilt d’après un modèle en le respectant à la lettre. Elle fait du patchwork.
Une autre-et c’est peut-être la même- va s’éloigner du modèle et placer ses propres tissus, ses propres couleurs. Elle fait du patchwork.
Une autre encore (et c’est peut-être encore la même) va composer elle-même : décider des motifs, de leurs placements, de leurs proportions, des couleurs, des valeurs, choisir les étoffes elle-même. Elle fait du patchwork.
Pour celui qui regarde de l’extérieur, sans savoir, c’est le même travail. Pourtant la première exécute, la seconde interprète, et la troisième crée. Ce qui n’est pas du tout la même chose. . »
J’écrivais cela en 2006. sur mon premier site .
Je n’ai pas changé d’avis . Sauf que j’ajouterais en gros et en rouge dans la dernière phrase : « mais tout le monde s'en moque, surtout si on ne le dit pas. ».
Je peux dire tout de suite ce que j’aimerais .
Déjà une fois le quilt fini, si on l’étiquette, qu’on ne le signe pas comme concepteur si on ne l’a pas conçu, ce qui consisterait à écrire : réalisation ou exécution d’après le modèle de ...et les références. Et s’il y a plusieurs emprunts ce qui est fréquent (combien croient « créer » en mélangeant deux ou trois emprunts bien reconnaissables) , le dire. et si on s’est inspiré d’un style de peinture contemporaine, d’une photo, le signaler. Et si l’ouvrage textile doit son apparence à une technique bien particulière appliquée un peu comme une recette, le dire aussi..A plus forte raison si on expose ou publie,où que ce soit, par respect du public qui a le droit de savoir ce qu’il regarde. Sans compter une perspective plus historique même si je n 'ai guère d'illusion sur la conservation de nos ouvrages, vu le peu de cas qu'on en fait généralement.
J'ai publié un jour un quilt dont la composition était personnelle mais qui devait beaucoup à la lecture du livre de Margaret Miller BLock Benders quilts. Je l'ai signalé: cela n"empêche pas mon quilt d'exister de par la "vision" que j'en ai eue,et de par mon dessein/dessin qui reste personnel. Mais ne pas le dire, puisque je publiais, m'aurait semblé malhonnête.
Faire la même chose pour les expositions .Même dans un petit club de petit village( le public n'y est pas forcément plus méprisable et inculte qu'à Paris!) .et sur les blogs qui sont tout de même ouverts à un public international. Un blog n'est pas un journal intime
Bref que comme les films, les quilts aient le cas échéant leur générique partout où on les montre.On le fait dans d'autres pays où le designer, la couturière et la personne qui matelasse sont souvent distincts et cités , le rôle principal revenant tout de même au designer qui est concepteur du projet . On ne peut pas réaliser ce qui n'a pas été conçu. En revanche la conception en tant que projet, elle, existe sans la réalisation. En France déjà certains éditeurs refusent, à la publication que le nom de la personne qui a matelassé soit cité et dans certaines expositions l'omerta la plus totale règne,et ce depuis fort longtemps. Evidemment être honnête ne paie pas et qui plus est discrédite.
Déjà on y verrait plus clair. On saurait ce qu’on admire : l’ingéniosité , l’imagination qui a présidé à l‘élaboration de cette surface textile , ce qu’il y a d’implication de la personne dans son oeuvre ou simplement les qualités techniques de l’exécutrice. Ou les deux.
Je connais des personnes qui vont à des expositions de patchwork, la plupart sont surprises d’apprendre qu’on ne peut absolument pas être sûr que ce qu’on regarde n’est pas la copie non signalée d’un magazine, calendrier ou autre publication ; elles croient, naïvement, que comme dans d’autres arts on n’expose que ce dont on est l’auteur. Cela revient à admirer une exposition de peintures faites par des faussaires, parfois, et sans qu’on le sache parce que ce serait normal et "dans l’esprit du patchwork ?"Et c'est dommage surtout pour les créations qui pâtissent ipso facto, du soupçon de n'être pas authentiques, mais calquées. Comment pourrait-on en être sûr au vu des milliers de modèles abondant partout, des copies de ces modèles présentés comme créations , des re-créations qui sont des relookages non avoués d'oeuvres existantes etc...
Quant aux galeristes et autres instances artistiques c'est un des arguments qui les fait reculer devant l'accueil de nos créations à structure dite classique puisqu'ils ne peuvent pas être sûrs que c'est vraiment l’œuvre du signataire.D'où la préférence donnée au contemporain et aux arts quilts prétendûment moins reproductibles et imitables (voire!!).
Et même pour ce qui est moins classique. Depuis dix- quinze ans vu la prolifération des modèles et l'absence de signalement de la source utilisée , on ne peut être sûr de rien, sauf si on a vu la personne travailler et qu'on suit son parcours.
Je concède que le patchwork a fonctionné très tôt , grâce aux "modèles" et patrons des magazines, aux USA notamment . Mais il suffit de comparer un modèle de fin de XIX siècle avec un de notre XXI débutant pour voir quelle est la différence. Dans le premier cas juste des blocs en noir et blanc, des gabarits, certes, mais aucun plan de quilts ni pas à pas où tout est dit !
Il existait déjà des kits c'est vrai mais il est notable que les oeuvres conservées qui nous sont parvenues sont rarement issues de ce moyen et quelle prodigieuse inventivité à partir du peu d'étoffes qu'on avait alors! Autre exemple ; alors que les magazines donnaient déjà des patrons de crazy quilts , ceux que la tradition a conservés utilisent rarement ces gabarits, préférant une expression plus libre. Qu'on compare avec aujourd'hui et on comprendra !
Vœux pieux, je le sais.. J’ai contre moi le droit coutumier et toute une partie de ce que je nomme notre "corporation" qui me voit comme une empêcheuse de quilter sans se prendre ainsi la tête.Ce n'est pas mon propos mais distinguer celle pour qui ce n'est qu'un simple loisir permettant de posséder un objet fait de ses mains de celle qui conçoit cet objet me semblerait salutaire au deux parties, et à notre art. Et ce n'est pas fait, presque jamais, en ce qu'on nomme improprement traditionnel.
Sinon à terme il y aura appauvrissement , reproductions en masse d'à peu près toujours la même chose qui plaît dans l'instant .. assèchement des sources vives de la création par mépris et négation totale du travail de créatrices, niées sur tous les plans : elle n'ont pas le droit de se dire artistes elles n'ont pas le droit de se dire créatrices elles ont juste le droit d'être pillées, spoliées, imitées tout ça, parfois et trop souvent, pour le plaisir et la gloire d'autres qui se parent de leurs attributs en disant : "c'est moi qui l'ai fait" et le profit du lobby de loisirs créatifs. Excessif ? Prouvez-le moi !
Il ne s’agit pas de perdre le plaisir de faire , mais d’affiner les sens de ce mot. Être honnête, c’est aussi défendre et illustrer notre art, ce qui est plus important qu’une gloriole conquise à coups d’oublis plus ou moins volontaires de ses dettes et emprunts patents.
Ce n’est pas si compliqué : pour se dire créateur, il faut que l’essentiel soit de vous. A savoir, en patchwork, la composition d’ensemble et le choix des étoffes .Mais la composition d'ensemble peut avoir un point de départ traditionnel( bloc, forme géométrique etc.), c'est ce qu'on va exprimer avec, par le moyen de la composition d'ensemble et des tissus qui compte.
Comme expliqué au début.
Cela dit j’aimerais revenir sur le mot création.
Mettons que je prenne un morceau de tissu rouge et un autre blanc, que je les déchire et que je les agrafe( surtout pas les coudre ) sur un fond de bois pour faire mixed media tendance. Ensuite j’écrirai que le rouge symbolise le sang, le blanc la virginité j’appellerai cela Viol et je justifierai le support en bois et l’agrafe par des allusions à la crucifixion, ou quelque autre idée grave et douloureuse.
Ou en optique inverse, je dessinerai un joli cœur bien rose, rose indien de préférence, je l’appliquerai sur un fond crème et je l’ornerai de broderies évoquant la crème Chantilly. Je l’appellerai Tendresse .
Probable qu'il se trouverait des gens"autorisés" pour apprécier les deux créations et même les qualifier d’artistiques mais ce ne serait pas les mêmes.Cela n'en resterait pas moins des créations, dans les deux cas. puisqu''émanant de moi, d'une idée que j'ai eue et que je peux mettre en œuvre.
Rien de génial dans aucun des cas, je vous le concède, mais s'il n'y avait que les génies qui créaient les musées seraient quasiment vides.
. A partir de là se demander si quand on crée, on est toujours « artiste » et ce que le mot veut vraiment dire. J’ai beaucoup lu et réfléchi là-dessus , et il existe à cet égard autant de théories que sur l ’existence de Dieu. Ce n’est pas dans mes modestes articles que je prétendrai définir ce qui reste par essence même indéfinissable, varié et fluctuant qui plus est.
On peut évidemment penser que les vrais artistes ont fait une formation en arts plastiques, aux Beaux arts, ou dans une école de design. C'est même le plus en plus souvent le cas, .Qu'on puiisse rechercher et apprendre par soi-même est suspect, entaché d'amateurisme.
J'objecterai aussi que pour être écrivain, il n'est pas fort heureusement nécessaire d'être professeur de Lettres, même si je le suis .Ce n'est pas la maîtrise de la syntaxe et la connaissance de la littérature qui donnent l'imagination et l'envie d'écrire. Et on peut même être fâché avec l'orthographe et être un grand écrivain ...
Une formation artistique donne des bases en dessin, en composition qui ne sont évidemment pas négligeables, elle donne aussi ,je présume une culture en histoire de l'art dont évidemment le patchwork est totatement absent du moins en France.. Mais le sens des tissus, de leurs assemblages et de qu'on leur fait dire, le don de faire passer sa vie, ses émotions dans ces mosaïques d'étoffes en est presque totalement indépendant. Ce n'est donc pas enseigné, je dirai presque c'est une chance ... car cela peut se déveloper spontanément, sans formatage académique.c'est bien le sens d'un art populaire, premier qui pourrait évoluer en restant ce qu'il est, dans son essence.
Malheureusement depuis quelques années (et j'explique pourquoi dans l'article précédent), la connaissance et le "don avec les tissus" s'efface au profit presque unique du dessin et des couleurs tendant à ramener le patchwork vers la peinture, parce qu'on a le sentiment que pour être reconnu il faut imiter un art majeur. Et il s'efface aussi , d'un autre côté, puisque par facilité, on préfère acheter du pré-assorti ...Elle s'efface aussi pour certaines par l'idée que le but du patchwork est une réalisation parfaite- le côté "bien cousu".
.Une remarque ultime : combien de phrases pleines d’acrimonie et d’une envie sournoise contre ces artistes "auto-déclarées" ou ces "soi dfisant" créatrices, surtout quand elles ne sont pas célèbres. En revanche pas grand chose sur les expert(e)s "auto-déclaré(e)s" dont les connaissances en art textile ne sont jamais vérifiées et pour cause ils/elles ont pouvoir de décision dans quelque grande messe quiltique ou artistico-culturelle.
Et ne parlons pas de celles qui osent proposer une réflexion : Elles ont la grosse tête et qui plus est elles se la prennent !
NB : J'aimerais que si on utilise ce que je dis et pense, on ne le paraphrase pas, sous couvert de nourrir sa propre réflexion, même en faisant référence à cet article. Je tiens aussi à la lettre autant qu'au mauvais esprit avec lequel c'est dit. Il vaut mieux citer, entre guillemets avec renvoi sur l'article dans son ensemble.Simple déontologie qui rejoint l'honneteté intellectuelle évoquée ici.