Symbole , assemblage, et transmission
NB Suite à la remarque d'un lecteur attentif que je remercie au passage, je précise que l'assemblage que j'évoque ici dans un extrait d'un long dialogue et à la demande de l'interlocuteur était celui du patchwork que je dirai basique, pour faire vite. Celui qui consiste à bâtir une surface en assemblant les tissus deux par deux les uns aux autres de manière à produire une surface où chacun d'eux reste visible, sauf la partie de la réserve de couture bien entendu dans cette technique .. Il est évident qu'il existe d'autres modes d'assemblange couture comme en art textile où on peut coudre en épaisseur plus de deux morceaux à la fois. Mais alors on ne les voit pas tous en surface et en entier du même coup d'oeil ...comme dans un patchwork classique.
Le symbole ramène étymologiquement au partage, à l’échange et même au contrat. Il est ce qui unit , il est lui-même accord de deux parties. La métaphore reste dans la stylistique, là où le symbole est langage quasi universel et échappe au carcan des mots et il est en général reconnu partout et ce, à travers les temps et les lieux, même s’il reste multiple et parfois contradictoire (je songe au symbolisme du linge blanc par exemple , qui recoupe d’ailleurs l’usage des rituels de vie au niveau des points de passage : naissance- mariage- mort , drap nuptial- linceul. Pour moi , d’ailleurs, elles ne se contredisent pas : elles s’ajoutent . D'où mon travail sur le blanc dans le Chant de couleurs.
Dans la décomposition singulière des gestes de la couture-assemblage, il y a bien cette dualité, ce rythme binaire (et fondateur ). Unité, dualité pluralité : du petit bout isolé, à sa jonction avec un autre, et puis à l’ensemble de ces jonctions multiples mais réalisées indépendamment et deux par deux ... Souvent d’ailleurs assortir se fait ainsi de proche en proche le morceau déjà cousu devenant lui-même une unité face aux morceaux libres qui vont , un par un s’y intégrer.
Le symbole impose l’image historique de la relation contractuelle , celle où les deux morceaux séparés devaient s’emboîter exactement, pour témoigner de l’authenticité de l’acte. Ce qu’on trouve encore aujourd’hui dans les « médailles d’amour », une fracture, une jonction exacte, mais qui reste séparable.
A la différence de la mosaïque ou de la marqueterie ou même du vitrail, la « tesselle de tissu » est un matériau qui arrive à nous chargé de ce que la matière est déjà, elle est déjà créée avec ses caractéristiques qui ne dépendent pas de moi du moins quand je ne la tisse, ne l'imprime ni ne la peins. J'aime ce travail à partir de ce qui m'est donné et même "imposé". Je l'aime aussi parce que derrière le tissu je vois et je sens le travail des hommes et des femmes qui ont permis qu'il arrive ainsi fait dans ma main. De même quand je travaille les mots leur étymologie et les variations de leurs significations me ramènent à la manière dont les hommes en ont usé avant moi. Et dans les deux cas, la manière dont est perçu le mot et la tesselle de tissu dépend du contexte.
Je suis attirée par cette pré-existence , je cherche autour et tout compte : la manière dont c’est tissé,, bien sûr, l’épaisseur, la couleur , les motifs et même la façon dont ils m’arrivent entiers ou tronqués (le motif interrompu ou celui qu’on découpe volontairement pour recomposer autre chose, celui qu’on complète ou prolonge, celui qu’on surligne (le matelassage dit en écho est sûrement autre chose qu’une décoration ). De la même manière , j'aime dans les manuscrits d'autrefois ou d'aujourd'hui, les bribes écrites, les ratures, les notes et les bouts de conversation saisis ça et là .
Je n’ai jamais pu m’empêcher de percevoir cela à la fois comme des codes et comme des symboles (le code n’ayant qu’un sens et le symbole souvent plusieurs plusieurs interprétations , c’est pourquoi d’ailleurs la poésie m’est langage si familier et que je la sens proche du tissage et des tissus, non pas par métaphore mais presque par identité de fonctionnement dans la pluralité des interprétations offertes ) .
J’ai beaucoup réfléchi sur la notion de surface également (quand on me demande ce que je fais j’ai toujours envie de dire que je crée des surfaces en tissus ; surface mais pas en deux dimensions : il y a en a toujours trois, puisqu’il y a épaisseur ... Le trompe l’oeil ou l’effet optique m’intéresse, le bas-relief m’intéresse mais je ne me vois pas travaillant tout cela autrement et que sur et par le tissu. Pourquoi comme ça , je ne saurais pas le dire.
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Dans mon travail, le symbole principal reste dans le passage du multiple à l’unifié mais où chaque morceau garde sa valeur propre. Et même chaque fragment « coupé » aléatoirement. C’est un grand « jeu » dont je ne me lasse jamais parce qu’il semble infini et pour moi il l’est si je mets en regard les possibilités dont le chiffre dépasse ce qu’on peut réaliser dans le temps d’une vie ou même de plusieurs.
J’ai considéré de manière plus fermée et sans doute partielle tout ce qui recoupait les assemblages, parce que c’était ce que j’avais envie de faire. Je connais bien cette histoire-là, ces usages-là, même si j’apprends encore. Le patchwork, mais au delà tout ce qui connecte des morceaux d’étoffes divers et les moyens de le faire, l’aspect « technique » m’a, à la différence de beaucoup de quilteuses, beaucoup moins requise que l’aspect symbolique.
L’histoire autour et aussi toutes ces histoires de vie qu’on dit petites, qu’on voudrait réduire à l’anecdote mais qui sont notre vie. Celle de tout le monde et du monde entier.
Quand on étudie ou qu’on tente d’étudier l’histoire des assemblages d’étoffes on bute sur beaucoup d’écueils. Le premier est sans doute que je ne suis pas historienne de formation . Le second c’est qu’il y a confusion constante entre les histoires des assemblages et les histoires du matelassage, parce que les deux activités sont souvent liées et que les Américaines qui sont la référence en la matière les mêlent dans leurs livres sur l’histoire de ce qu’elles nomment quilts et non patchwork, y présentant pourtant des tapisseries d’assemblages africaines ou asiatiques qui elles ne sont pas matelassées et pour cause : elles n’étaient pas destinées à réchauffer.
Or moi ce qui m’intéresse c’est d’abord l’assemblage d’étoffes , matelassé ou non sous toutes ses formes, incluant aussi l'assemblage des formes régulières géométriques qui de mon point de vue ne sont essentiellement ni traditionnelles, ni "américaines".
Le mot « quilt » est donc de ce fait ambigu, le mot patchwork péjoratif et justement parce qu’il symbolise, lui, dans le vocabulaire courant et même par les stéréotypes qu’il véhicule au niveau des images mentales, tout aussi peu flatteurs. Et depuis les années 1990, il est mal perçu même dans nos milieux de dire qu’on en fait( cf l'article Qui a peur du mot patchwork.) Cette sorte d’exclusion m’a amenée aussi à réfléchir : pourquoi cet art qui peut donner des résultats aussi émouvants que magnifiques est-il tant méprisé, et ce par celles-là même qui l’ont un temps exercé comme une sorte d’erreur de débutante ?
Les rites et les coutumes dont il est le corollaire sont en France très mal connus ou caricaturés ou alors réduits à des poncifs. Pourtant on a fait dans notre pays et indépendamment des influences américaines ou anglaises de purs chefs d’oeuvre, dans des styles très différents dont le point de départ n’était pas forcément et uniquement la récupération , on y sent puissamment la liberté d’une expression forte qui parle justement parce qu’elle est de tissus , se touche, se plie etc..
De ces merveilles tout ou presque a été perdu sauf ce que sauvent quelques collectionneurs. Il existe au moins un livre sur le sujet que je possède et quelques articles ' voir sur mon blog l'article concernant les Mosaïques d'étoffes). Donc on en a conclu hâtivement que ce mode d’expression n’était pas dans notre culture et on a rebâti par dessus tout une pseudo-connaissance laissant croire que l’assemblage d’étoffes c’est une invention des Américaines pionnières. Les Américaines elles -mêmes et certaines historiennes des quilts l'avouent innnocemment , pensent qu'elles ont inventé cet art , alors qu'elles en ont développé plusieurs "styles". Parce qu'on n'a pas suffisamment conservé ni les sources, ni l'histoire de ces assemblages en France, l'histoire et les symboles qui s'y rattachaient s'en est perdu. A l'étranger l'art textile en France c'est boutis, broderie; tapisserie et Haute-Couture.
Il y a aussi un autre courant de création par assemblage qui a été occulté c’est celui des années 1970 , je possède deux livres de cette époque (voir le blog) et il y avait des artistes catalogués un peu hâtivement naïfs qui créaient des oeuvres intéressantes. Je les ai recherchés, un à un sans en trouver aucun sauf de ceux et celles qui ont changé radicalement d’activité..).
Il y aurait donc une histoire à refaire et du côté de l’art et du côté des artistes ...