Modèles: une expérience de créatrice
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 28/09/2022
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Je voudrais évoquer ici une expérience en liaison avec l'article précédent Modèles.
Ma première phrase sera pour regretter que dans notre pays, réaliser des modèles pour des revues de loisirs créatifs soit se déconsidérer, trop souvent, au plan artistique.C'est vrai ça ne fait pas très intellectuel, ni prestigieux , ça ! Les vrais artistes textiles, souvent plasticiens de mixed media ne s'abaissent pas à cette sorte de transmission permettant la reproduction de leurs oeuvres A la rigueur ils organisent des stages, ou écrivent des livres. pour livrer quelques "recettes"censées rendre "créatif" . Quelque chose qui peut se "reproduire" n'est pas à leurs yeux digne du titre d'oeuvre d'art (c'est oublier les faussaires ! et tous ceux qui imitent pour s'entraîner ! ) mais chut ne mélangeons pas une fois de plus torchons et toiles de maître , l'ouvrage dit de dames et les Beaux-arts.
J'aime bien , on le sait, titiller les préjugés ordinaires et universellement admis, lorsqu'ils me semblent non justifiés.
Ce n'est pas le cas aux USA ou au Royaume-uni où il n'est pas rare dans les revues on voit passer le nom d'une artiste reconnue (et qui expose parfois en galerie ou musée ) .Il n'y a pas ce clivage, ou du moins pas autant. La remarquable revue de broderie britannique Stitch à laquelle je fus longtemps abonnée est un modèle du genre qui allie aussi tradition et modernité . Un autre esprit!
J'avais déjà donné à la revue Les Nouvelles du patchwork -dès 1992-une petite dizaine de modèles , mais là je fournissais juste les photos et les rédactrices se chargaient du travail explicatif et des schémas. Et ces modèles étaient fournis gratuitement, tout le monde étant bénévole. Et puis, on a mis huit ans pour publier mon quilt Patience dans l'azur et j'ai compris à mi-mot ("les temps changent" m'avait-on dit ) qu'on n'en voulait plus, là que j'étais has been, sans doute . La mode ne m'intéressant pas en art ni en littérature, j'ai suivi mon chemin .
Fin 2007 quand la revue Creation patchwork m'a demandé des modèles , comme pigiste, j'ai un peu hésité .D'autres relations contactées aussi, ont refusé pas assez prestigieux pas assez remunéré. On a même parfois sous entendu qu'on recrutait vraiment n'importe qui. Sympa pour moi ! On n'évite pas ces rosseries un tantinet mesquines.
Et puis je me suis rappelée que j'avais appris à broder et à coudre des robes grâce à des magazines. puis le patchwork non pas en copiant les modèles des autres mais en y apprenant les techniques et en m'imprégnant aussi de ce à quoi j'avais alors accès.
J'estime que lorsqu'on brode, il vaut mieux savoir maîtriser les points de broderie et explorer tout ce qu'on peut exprimer avec eux. Mais pas forcément dans une optique de perfection normée , mais d'expression personnelle. Mais pour explorer un point il faut en connaître l'existence et savoir d'abord le faire ordinairement, si je puis dire, avant de tenter d'en faire autre chose, c'est même à mes yeux ce qui fait la différence entre un(e) artiste qui sait son art et en joue , et un(e) autre qui fait du salopé ou du maladroit parce qu'elle ne sait pas faire autrement.(il est vrai si ça colle à ce qu'il ou elle veut dire, rien à reprocher, je ne fronce les sourcils que lorsque cela semble donner une plus-value ) , De même quand j'écris, j'aime disposer et d'un vocabulaire précis et riche (même si je n'en use pas toujours!) et maîtriser suffisamment les subtilités syntaxiques de notre langue . Pour écrire si j'ai beaucoup appris de l'imprégnation par la lecture et l'analyse d'oeuvres littéraires, une connaissance pointue de l'étymologie , de la phonétique du français, de la grammaire et de la conjugaison ne m'ont pas semblé inutiles. Qui peut le plus peut le moins, mais pas souvent l'inverse . Même s'il faut parfois savoir oublier ce qu'on sait , pour ne pas avoir l'esprit trop encombré. Or les points de broderie,c'est dans les revues et quelques manuels édités par lesdites revues que je les ai appris au fil de ma vie . C'était une transmission hélas féminine et populaire. Hors champ de la culture pour intelligentsias qui plus est . Sauf quand un grand nom de la littérature, je songe à Régine Desforges, vient mettre le phare sur le point compté. Si c'est Madame Lambda evidemment, le regard ne sera pas le même.
Alors je me suis dit que je pouvais tenter l'aventure. Mes grands enfants étaient étudiants, ça me faisait aussi un peu de sous pour leurs études. surtout comme je venais de prendre ma retraite ça me rendait un rôle "actif" dans la société, même si on peut trouver ce rôle ridicule et dérisoire. J'avoue que lorsque pénétrant chez mon marchand de journaux, je voyais une de mes créations sur la couverture (et parfois plusieurs) , j'ai éprouvé comme une naïve fierté .
En patchwork géométrique, je n'ai pas vraiment créée de modèles exprès pour la revue ,je proposais ce qui était déjà fait vu le temps qu'il me faut j'ai donné le mode d'emploi pour avoir un objet ressemblant. Pas semblable, c'est impossible. Le but n'était donc pas dans mon esprit d'inciter à une copie sans interprétation personnelle. Ainsi les rares fois où j'ai pu voir ce que d'autres en avaient fait, j'étais heureuse de voir que c'était des adaptations, des interprétations.
Ces quilts avaient été créés le plus souvent non pas pour la revue, mais comme toute oeuvre d'art unique pour exprimer ce que je voulais dire avec ces tissus -là dans cette surface-là. En les publiant comme "Modèles" je leur aurais enlevé, semble-t-il, leur statut d'oeuvre unique, non reproductible etc. En donnant un tutoriel, je les dévaluais , selon l'opinion admise.. Je demeure persuadée que toute oeuvre peut en décomposant chaque étape être l'objet d'un tutoriel (plus ou moins complexe) . Vrai aussi que lorque je créais ces surfaces, il entrait dans ma composition beaucoup d'instinct et d'improvisation, mais après coup on peut toujours tout decomposer pour expliquer au moins dans les grandes lignes. Le détail appartient à la "patte" de l'artiste ! Et si on songe qu'en cet art c'est le détail qui donne sa vibration, son sens, sa tonalité, son expresion à l'ensemble, mon oeuvre resterait donc "unique".Ainsi ce jardin de l'abeille -un des modèles les plus complexes à expliquer où chaque hexagone ou presque est différent des autres et signifie, pour moi quelque chose par sa couleur et ses motifs.
Le jardin de l'abeille
Donner la possibilité de reproduire n'était donc pas vraiment permettre de copier ou de démarquer de trop près .
Le vrai travail, celui qui était rémunéré en droit d'auteur (et non d'artiste!), était un travail de pigiste technique .Ce sont même les droits d'auteur "écrivant" les plus élevés que j'ai jamais perçus (la littérature ne nourrit que rarement son homme, et on en est presque à payer pour être édité!) . J'ajouterai perfidement et très immodestement que si tout le monde peut écrire et considérer que c'est original et génial - puisque de soi -moi y compris ! -, rédiger de telles piges exigeait un certain nombre de compétences spécifiques. nonobstant celles d'être capable de créer les oeuvres originales (qui ne sont pas le modèle, à elles seules!)
Il fallait d'abord évaluer le matériel nécessaire, ce qui n'est pas simple quand on use de 2000 tissus différents ou qu'on mélange les fils ... récupérés un peu partout. Ensuite il y fallait des explications, claires, si possibles -c'est là où trente ans d'enseignement ne sont pas tout à fait inutiles- et surtout des schémas conçus à l'ordinateur, et la maîtrise du logiciel quilt- pro, inégalable pour montrer comment monter les morceaux s'est révélée indispensable. Ce qui donnait des pages comme ça dans la revue (après travail de la maquettistepour la mise en page) . Je ne les regarde jamais sans une obscure et vaniteuse satisfaction . (je ris!) :
S'ajoutaient les photos dites d'ambiance. Celles-ci étaient parfois réalisées par moi parfois par la directrice de la revue ce qui exigeait des envois risqués. J'y ai perdu ainsi un couvre-livre . Sans proposition d'indemnisation , bien sûr. Et les frais d'envoi à l'aller étaient aussi à ma charge. Et même si je garde de cette expérience (qui dura jusqu'en 2012) un excellent souvenir, il y eut forcément les hiatus et les bémols , comme dans tout parcours humain ! Par exemple les titres changés , sans doute pour être plus "accrocheurs", ou bien les photos déformées sur une couverture où mon quilt Noctambule est passé au miroir déformant .. Les problèmes de résolution (nombre de pixels par centimètre ou de points par pouce. ) La difficulté d'obtenir la mention "création"et non réalisation" sur ce qui pourtant en était quand on l'attribuant d'office à d'autres , sans doute mieux cotées que moi , même quand je partais d'un dessin original . Mais j'étais toutefois plus chanceuse que les créatrices des années 60 -70 dont le nom n'était même pas cité. Il y avait eu un progrès. Plutôt que "réalisation" j'aurais aimé parfois le terme interprétation surtout en broderie où l'essentiel n'est pas, mille fois non, dans le dessin. Je tiens aussi à la rigueur des mots, et de leur sens. Ce qui me rend très chiante, je le sais.
Les crazys quilts que j'ai créés à cette époque l'ont été à la demande souvent en accord avec un thème : Noël pour cette étoile des neiges :
ou le thème Les cérémonies pour Célébration, quilt conçu comme cadeau de mariage.
Pour les crazys quilts, je n'ai jamais donné de patron de détail , juste le plan d'enemble, car pour moi l'esprit crazy d'origine, tient aussi à la forme irrégulière de morceaux à sauver et à ennoblir par la broderie dans leur forme pour en perdre le moins possible. Et trop tenir la main (ou le pied?) dans ces "pas à pas" c'est bloquer toute initiative personnelle.
Un peu plus tard la revue Broderie d'art s'est créée et j'ai été aussi du voyage !
Travail un peu différent, pas de schéma de montage, sauf en la partie couture, mais des photos décomposant chaque étape d'un point :
et évidemment l'explication de la répartition des points et des fils par zone ou détail. C'était très long pour les créations complexes. Il fallait donner pour chaque détail une photo vierge d'indications et la photo "fléchéé" plus la légende correspondante (trois documents donc pour un détail !) ,On imagine quand il y avait ue bonne vingtaine de photos (parfois plus) la maquettiste se chargeant de remodeler cela de manière plus esthétique.
Les modèles de broderie, eux , ont tous été créés -sauf un- selon un cahiér de charges , lequel indiquait souvent une technique , et un objet dans lequel la broderie devait s'inclure. la France a la passion de l'objet d'art décoratif , tandis que dans les revues du Royaume-Uni on voit beaucoup plus de broderies encadrées. il m'est arrivé de refuser de créer des maniques en broderie fine . Car si c'est pour servir vraiment de manique on n'use pas d' un ouvrage unique et fragile qui va être abîmé aux premières utlisations, et si c'est pour le décor fût-ce celui d'une cuisine autant alors encadrer l'objet et le protéger.
L'objet était imposé , la technique ou le style parfois (précieux, rustique ) mais j'étais libre du reste -ce qui est pour moi l'essentiel; J'ai usé parfois de dessins existant dans les vieilles planches d'ouvrages (toujours en le signalant) mais le travail de brodeuse était ma création : point couleurs, matières. (et ce n'est pas rien !) .
Coussin rustique, desin emprunté , mais choix personnel de tout le reste.
J'ai aussi usé de dessins personnels :
Ou de photographies personnelles ou données par ma famille :
Jardin à Madère sur une photo de Michèle Lefebvre
J'ai ainsi fait un cetain nombre de sacs et de coussins ,écharpes, châles, quelques tableaux aussi , des pochettes... En simplifiant ce qui relevait de la couture, je ne suis pas une bonne finisseuse d'objets complexes ! Cette expérience m'a appris à broder plus vite, à adapter mes points et leur régulaité à la visée de ce que je voulais obtenir. Quand les commandes arrivaient, j'acceptais ou je refusais, et je m'établissais un planning , il fallait tout envoyer à la date fixée (ah ! l'enfer des x fichiers à télécharger ) . la pensée me vient souvent que de tout ce que j'ai créé il ne restera pour un public large que ces créations dans quelques revues . Beaucoup vivant dans l'instant, trouvent que c'est vaniteux de vouloir une conservation des oeuvres textiles de la sorte, autre et digne du temps et de l'imagination qu'on y déploie .Mon avis est inverse . C'est un art aussi qui est à revaloriser, dans toutes ses facettes, pas juste celles qui ressemblent aux Beaux arts ou qui sont exercés par des plasticiennes. Pas que mes chers chiffons personnels . J'ai même rêvé d'une étude autour de tous ces créateurs et créatrices de l'ombre, d'abord anonymes, et aujourd'hui méconnus encore et ce n'est guère aisé justement . Si j'étais historienne de l'art, je crois que je me pencherais sur cet aspect-là .
Et puis un jour, on ne m'a plus passé de commandes et j'ai compris que mon "emploi" n'existait plus .J'ai constaté ultérieurement que la même pige (c'était prévu au contrat) était repassée dans d'autres numéros, voire des livres de "synthèse" sur un thème . C'est ainsi et c'était aussi bien !
présentation ouvrages statut du patchwork en France- témoignage Réflexion-débat-questionnement
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