statut du patchwork en France-
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Des tissus et de l'art textile : géométrie et variété : les quilts à gabarit unique
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 11/05/2024
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I- Géométrie et variété : au-delà des "scraps quilts " et "charms quilts" : les surfaces à gabarit unique
NB : un "scrap quilt est selon la tradition américaine un quilt comportant beaucoup de tissus différents ( littéralement : un quilt de chutes); L'artiste Roberta Horton indique un mininum de 75 tissus différents . Mes quilts en comportent entre 200 et plus de 1000 , parfois. Un scrap quilt peut être composé de formes uniques, ou de carrés appelés "blocs" . Les blocs feront l'objet d'un autre article.
Un charm quilt lui comporte des tissus tous différents souvent d'une même forme , au nombre de 999 , ou plus ... ou moins !
Quand je réfléchis au rôle des tissus dans ma vie et un de mes arts, je perçois, dès l'abord , une différence entre la manière dont j'envisage mes "surfaces" et celles de beaucoup d'autres, pratiquantes et artistes. Même et surtout si on ne voit que les ressemblances. pour classer, souvent en minorant ... déclasser, donc.
Cet attrait pour le tissu que j'ai ne vient pas d'un goût pour la couture utilitaire (justement, c'est un moyen d'y échapper) donc même si j'ai commencé en faisant des couvertures pour mes enfants, je créais d'abord et avant tout une surface en assemblage de tissus disparates. Ce besoin d'harmoniser une sorte de chaos est toujours en moi 40 ans après mes débuts. Et la géométrie n'est pas pour moi un moyen de respecter la tradition , mais justement de donner cohérence à un ensemble.Une structure.
Ma joie n'était pas d'aller dans un magasin et de demander à la vendeuse (comme je l'ai vu faire tant de fois! ) d'assortir pour moi .Ou de faire chauffer ma carte bancaire à un salon dédié aux "arts d'aiguille". D'où cette "collection" de toutes sortes de textiles venus d'un peu partout temps et lieux et personnes différentes .Et des tissus dits "commerciaux" aussi. . Pas de snobisme de la recup pour faire écolo ou "arte povera" . Du spécial pour patchwork et du pas du tout fait pour cet usage, les deux, toujours sans exclure rien de ce qui me semblait nécessaire pour une surface donnée dire quelque chose de personnel avec eux. Aussi les fils et les boutons, le dentelles, les perles, voire les plumes (ce qui est commun à beaucoup de pratiquantes textiles qu'elles en usent en loisir ou en art véritable) , mais avant tout LES TISSUS et non LE TISSU comme symbole de ci ou ça. Les tissus d'abord . Et surtout les tissus imprimés. Ou structurés par un tissage particulier. Or aimer les tissus, dans leur infinie diversité, ainsi c'est se condamner à n'être pas "contemporaine" ni d'ailleurs vraiment traditionnelle selon les préjugés autour de cette étiquette car là on me tacle sur mon trop de couleurs, mes équerrages imparfaits et le fait que non je vois pas d'obligation à matelasser toutes mes surfaces ..Je fais des quilts(matelassés c'est ce que le mot veut dire) et des patchworks (pas forcément matelassés) et c'est moi moi qui décide...pas le droit coutumier qui veut que ces géométries soient obligatoirement matelassées alors qu'aux USA et plus encore en Asie on trouve dès les débuts de surfaces assemblées non matelassées.Et que les justications réelles de cette "obligation" universellement imposée par le lobby des loisirs créatifs sont donc impératif commercial, aussi . On ne peut pas le dire.. Moi , je le dis! Et je le fais. Librement. Je ne vends rien. Et je suis pas sponsorisée , non plus. Je ne postule à aucune grande "messe d'art textile" , non plus. Je ne risque pas de méconter telle ou telle décideuse ès "ce qui vaut en art textile" : c'est déjà fait et il y a un bail !
Vu de loin mes quilts géométriques ressemblent à ce que les américaines nomment "scraps quilts" ou "charm quilts" . Et certes ces voies m'ont inspirée ; c'est même mon premier charm quilt en 1991qui m'a amenée à cette "collection", conçue, je l'ai dit comme un vocabulaire textile.
Dans ce charm quilt il n'y a pratiquement pas de tissus achetés ni même de tissus dit américains, je n'ai éliminé ni la toile à matelas(visible sur la photo de détail) , ni les jerseys ... juste renforcés d'une toile à beurre et j'ai brodé sur les triangles écrus du pourtour (qui viennent de la robe d'une collègue de travail !) le nom de tous les donateurs. L'agencement des couleurs et valeurs est de moi . Je n'ai pas suivi de"modèle" . Les matières sont multiples : coton , synthétique, viscose...
Si vous comparez à ce qui se fait aujourd'hui-et à ce qui se faisait à l'époque- dans la fameuse "tradition" américaine ce sont des quilts créés à partir d'assortiments souvent pré assortis, -les tissus vont déjà ensemble, ils ont une unité et sont tous de la même époque et mode - non que ce soit laid, ni non artistique, mais ce que je voudrais (desespéremment !) faire saisir c'est que si le travail de couture est le même,la structure ressemblante, la visée est totalement autre. Là, à la suite de ma "cueillette" je me suis retrouvée avec 999 tissus qui n'avaient rien à voir entre eux. Ma joie si profonde est de les faire "chanter ensemble" alors que ce n'était pas prévu pour cet usage . Et croyez-moi ce n'est si "facile" et croyez-moi encore c'est pour moi désespérant absolument que ce travail-là ne soit pas vu et qu'on me dise à chaque fois ça ressemble à .. justement ces quilts où le choix des étoffes, la manière de les assortir n'est absolument pas la même.
Quand je regarde le quilt de quelqu'un d'autre je regarde cela : comment la personne a choisi et agencé les tissus dans leurs différences , comment elle les a choisis, pour dire quoi. Pas que le dessin, la composition ou le jeu des valeurs-couleurs qui sont des critères certes importants, mais qui effacent celui qui fonde un art d'ssemblage du disparate. .Et c'est cela que j'aime à lire sur les blogs de patchwork-quilt, pas des conseils de couture qu'on peut trouver partout. Ni le quilt de la revue Machin chose refait en vert au lieu de bleu. L'art est dans ce rapport singulier que chacune peut avoir avec cette matière, si ces choix échappent au conditionnement des modes et tendances , et ce même si on part d'une source dite traditionnelle. On ne voit que la ressemblance de structure. C'est comme dire qu'un paysage d'un peintre c'est ressemblant à celui d'un autre même si l'un est hyperrréaliste et l'autre impressionniste et un autre frôlant l'abstraction parce que ce sont deux paysages. Je ne crois pas non plus qu'on dise aux peintres qu'ils font du traditionnel quand ils font du figuratif par exemple. Du moins pas si systématiquement ...
Autre manière d'aborder la variété de étoffes le monochrome, toujours avec une forme de base "unique" . Ce quilt Blues est aussi un charm quilt pas deux tissus semblables. Le dessin porte le nom d'Inner city block , et si vous cherchez sous ce nom vous trouverez maints tutoriels où les trois valeurs sont opposées (clair moyen foncé ) , souvent le bleu, comme dans ce quilt mais on met toujours les mêmes tissus ou des tissus rrès ressemblants; là encore j'ai recueilli tous les tissus bleus que je pouvais et pas des "tout bleus" mais à dominante bleue, ce qui est dfférent . Tissus américains, hollandais récupération de vêtements, et matières diverses toujours mêlées . La vue de détail vous permet de voir en quoi ce quilt est différent des autres qui lui ressemblent , ce qui est ma touche personnelle , j'ai assorti deux à deux des tissus ressemblants et ce fut une joie de créer ces unités de "faux jumeaux" plus ou moins hétérozygotes ; Et pour ceux qui comportaient d'autres couleurs que du bleu de placer ces notes "dissidentes" de manière à faire pour le regard des rappels et de échos ( cela chez moi se fait d' instinct, pas de calcul, c'est après coup que je peux expliquer la composition ) .
il m'est arrivé même n'user que de blanc. ,L'alpha et l'omega. Un jour de détresse intense , le motif du cercueil (coffin) cet hexagone allongé dont on faisait aux Usa les quilts de deuil '(Mourning quilts) s'est imposé et la couleur blanche ; j'assmilais dans mon esprit les morts d'espoirs avortés,de portes entrouvertes qu'on vous claque au nez, d'amitiés trahies ou d'abandons précoces parce qu'on lasse soudain, à des morts d'enfants (des choses mortes en leur enfance, avant qu'on ait pu en jouir complètement) . L'hexagone noir est unique et d'un symbolisme facile à élucider .
Le quilt Le Conservatoire qui est présenté ici est encore une autre "aventure" d'assortisseuse; Il s'inspire des ouvrages de l'artiste Deirdre Amsden à laquelle j'ai emprunté le procédé de dégradé de valeurs. Il s'agissait de présenter ma collection sans exclure grand chose. Les étoffes que j'avais différaient fondamentalement de de celles de Deirdre, je devais donc trouver mes pistes moi même , ce fut d'ailleurs un si grand plaisir et défi à la fois ...
Dans le quilt Jaillissements je suis partie de cette image numérique reprise en impression pour la doublure) : et là j'ai usé volontairement de tissus unis ou faux unis :
L'image initiale
On peut voir aussi dans l'index le quilt Pure Mosaïque qui lui aussi part d'une image numérique pixellisé et traitée en tissus marbrés et faux unis appelant la céramique.
Là il faudrait faire une pause .
Bien sûr je pourrais dire qu'entre le charm quilt de mes débuts et celui intitulé Jaillissement il ya eu une évolution vers le "plus contemporain" selon les critères actuels. Pourtant les deux surfaces obéissent exactement au même rapport aux tissus : le désir de varier à l'intérieur d'une zone mes étoffes le plus possible pour donner une sorte de vibration et de nuançage différenttout à fait de celui de la peinture et qui est propre à mon medium (cf photo de détail j'aurais pu mettre le même tissu gris .. ) ; j'ajouterai au niveau de "l'assortissage" expressif les deux premiers quilts ont été plus difficiles à créer . Car assembler des unis ou assimilés c' est toujours moins casse-gueule que de se "battre" avec x imprimés et motifs coupés qui partent dans tous les sens font "incohérents" de nature et comportent des couleurs additionnelles. Seulement l'uni ça ressemble forcément plus à un tableau de peintre abstrait, qui eux ont leur lettres de noblesse. L'imprimé, je le crains fait prolétaire au mauvais sens du terme et aussi " trop patchwork" le mot restant irrémédiablement entaché d'une sorte d'aura de médiocrité. . J'ai tout entendu dire au tournant de l'an 2000 par des amies "branchées" qui ne juraient plus que par l'uni et le teint arisanal voire la peinture sur tissu (annexons donc tous les peintres qui peignent sur toile à l'art textile : c'est la même démarche puisque le tissu là devient un support ) Moi je veux faire des choses qui ne se peignent pas ...ou très difficilement. Dans Jaillissement, le travail principal artistique est venu de l'image (que j'ai créée ) tandis que dans les deux pemiers quilts il vient des tissus et de leur agencement. Même si le nuançage des zones rétablit ce travail essentiel pour moi . sinon autant grder l'image telle quelle ; il est vrai la faire imprimer sur tissu suffit pour la caution textile de l'oeuvre- J'entends mon art des tissus tout autrementn et on m'accoera qu'avec plus de 4000 images numériques imprimables, j'aurais de quoi faire une oeuvre jugée contemporaine ... juste que : ce n'est pas ce que je veux faire, je n'y aurais aucun plaisir, mais qu'on comprenne que j'en ai les moyens côté "imagination" graphique et que je ne fais pas du patchwork pour me cdélasser à côté de cette "vraie" c réation... tellement plus noble etc.
My tailor is rich est fondé lui sur la forme dite "dé à coudre", et là encore c'était le désir d'user de petits morceaux de soie et de tissus en précieux lamés que j'avais récupérés ( petites chutes de la collection Abraham) , j'ai imaginé un "mouvement" avec les tons chauds alliés aux dorés et les froids aux argentés, il est évident que matelasset de telles étoffes me semblait une hérésie j'ai donc brodé à la main les lignes horizontales , comme des étagères où serait posée cette collection de dés.
Comme c'est souvent en faisant une surface que l'envie et l'idée me viennent d'une autre toujours en explorant les "gabarits uniques" je me suis attaquée à une forme avec courbes , ainsi est né cet Avenir radieux comme je voulais la réaliser cette fois avec des soies et des velours , j'ai utilisé la méthode d'assemblage dite "anglaise" où on bâtit les pièces sur des papiers et on les assemble ensuite par surjet ; l'ensemble et fixé sur sur une flanelle et chaque pourtour est rebrodé au point de chaînette torse .. Les motifs qui constituent des sortes d'étoiles courbes (spinning star en anglais) Au centre pour cacher l'assemblage qui, avec ces tissus, ces formes et cette technique ne pouvait être impeccable, j'ai appliqué de petites étoiles (le motif en réduction) brodées main. La bordure est aussi ornée d'étoiles appliquées et brodées un peu plus grande Tout cela reste "imparfait" au plan du nickel chrome si prisé dans ma discipline, mais ce fut un tel plaisir de création et de toucher !
Et comme je n'ai pas renoncé au plaisir de ces surfaces à gabarit unique, (ne me voulant pas "contemporaine" ni "traditionnelle" mais intemporelle au meilleur cas -sourire) mais à tissus très variés, venus de partout et harmonisés à ma manière, il y aura probablement dans cette catégorie, des ajouts. Il y existe aussi d'autres comme Dentelles décalées à voir dans l'index .
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Apprentissages -deuxième partie
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 15/04/2024
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De la couture au patchwork
Préambule : C'est en 1982 que j'ai découvert le patchwork, par un coussin vu chez un amie.Un objet charmant fait de ses robes d'enfant et de celles de ses soeurs. Un déclic a joué. Je suis rentrée chez moi j'ai cherché tous les vieux bouts de tissus que j'avais, chutes de mes activités de "fouturière", restes de vêtements. Je n'avais pas la moindre idée de comment assembler cela. Rien à voir avec faire une robe! Surtout qu'une robe ce n'est pas fait avec des dizaines voire des centaines de tissus divers. On oublie TOUJOURS que le patchwork, au départ, c'est souvent cette diversité ! Pas quatre ou dix tissus achetés en pré assortis chez le marchand , comme ce fut hélas, si souvent le cas plus tard !
C'est pourquoi pour moi le patchwork ce ne fut pas essentiellement de la couture. ça ne l'est toujours pas .Mais enfin il fallait bien apprendre comment ça se monte et ce n'est pas toujours évident ! Plus tard quand j'ai disposé du logiciel Block Base qui recense des milliers de "blocs" ces carrés dessinés (et parfois jamais cousus) par diverses quilteuses d'après l'encyclopédie de Barbara Brackman Encyclopedia of pieced patterns je me suis rendu compte que certains blocs étaient de vrais casse-tête de montage. Sans explications! celui-ci par exemple :
starry crown
On peut le voir réalisé (tant bien que mal mais des années plus tard ! dans le quilt le sampler délicat cf Histoires d'ouvrages
A l'époque pas d'internet, les revues françaises en parlaient peu. Le savoir broder de Femmes d'aujourd'hui évoqué à l'article précédent ne donnait des informations que sur la méthode dite anglaise sur papier ou cartons,recouverts de tissus qu'on assemble par un point de surjet sur l'envers.
Le patchwork dans la tradition américaine, était pourtant revenu en France dans les années 70, après l'exposition Abstract design in American quilts initiée par le collectionneur Jonathan Holstein. Des revues comme Cent idées -à laquelle je fus abonnée- l'évoquaient c'est là que j'ai appris l'existence des "crazy quilts". Cette tradition américaine des quilts n'est évidemment ni la première ni la seule, mais elle était et reste encore alors dominante dans la transmission (et c'est aussi un business très important !). J'ai appris avec des livres, passé les premiers essais . J'ai cousu à la machine mais très vite j'ai préféré le geste main.
Assembler en patchwork géométrique (et je ne dis pas " coudre , c'est d'abord savoir décomposer ce qu'on appelle le bloc , cette unité répétée avec variantes éventuelles dans une surface. Savoir par où commenccr, comment assembler les morceaux, dans quel ordre etc. On peut aprendre dans un club certes, mais aussi dans les livres , ce que je fis . Mettons que je sois une asociale de ces apprentissages. et j'ai transmis mais en free lance ! Et par le moyen des revues quand de 2008 à 2012 je fus embauchée pour ce faire ...
Main ou machine, déjà est un premier choix, mais à la main il existe aussi différentes méthodes d'assemblage, et à la machine aussi. Ce qui compte c'est l'ordre d'assemblage, le fait aussi quand on coud à la main de ne pas passer sur la marge de couture ce qui donne à ces assemblages une souplesse que le travail machine plus net, plus impeccable ne donne pas. Des choix à faire qui pour moi n'étaient pas de simple couture , mais liés à un symbolisme et aussi à un toucher, à un abord de ma matière. J'avais besoin de travailler au plus près d'elle, dans une sorte de "corps à corps" si je puis dire, pas d'avoir des coutures nettes et impeccables du lisse et du chiadé. Impossible à faire saisir à la plupart de mes consoeurs. Obtenir quelque chose qui soit mon expression, ni du salopé non plus pour faire "contemporain" spontanéité et lâcher prise. Je connais aussi les poncifs des justifications. En cela, comme en tout : suivre mes exigences qui elles-mêmes visent à une certaine justesse entre ce que je veux obtenir et le résultat. Avec cependant beaucoup d'improvisation. On ne permet l'irrégularité qu'à ce qu'on nomme "contemporain" . C'est absurde. Bref on ne regarde les géométries qu'avec un compas dans l'ooeil quand elles sont textiles mais personne n'aurait l'idée de remesurer les rectangles de Mondrian ou le carré blanc de Malevitch pour voir si par hasard il n'y a pas une erreur de quelques millimètres ! ou un angle pas si droit que ça! J'interroge depuis 40 ans ces exigences castratrices et anti -artistiques à l'égard d'un pan de notre art abstrait textile.
Ces blocs dits traditionnels ne sont qu'un point de départ on devrait être libre de faire ce qu'on veut avec eux mais déjà en user c'est être "cataloguée" . Avant même de mettre en route une surface abstraite avec ces géométries et mon choix de composition et d'étoffes je sais que c'est exclu du monde de "l'art textile" contemporain. Mais comme je désirais des assemblages qui semblent réguliers (sans l'être toujours!) j'ai appris cette précision. j'ai appris aussi d'autres techniques d'assemblages : appliqué notamment qui sont plus proches de la broderie et pas aussi spécifiques au patchwork que ces constructions e blocs ou morceaux à formes géométriques. e détail est à l'article questions de vocabulaire 2 .
Choisir les tissus
Plus exactement ; les récolter et les accueillir. mais je ne suis pas une puriste ni de la récupération érigée en "éthique" obligatoire (si personne n'achète plus la récupération disparaît ipso facto), ni à l'inverse de n'user que de calicots neufs reservé à cet usage. J'ai rassemblé ce qu'on me donnait et j'ai acheté les étoffes qui m'inspiraient. Souvent sans projet précis . Non pas : "j'ai besoin de 3 mètres de ce tissu( pour faire un fond à tissu unique" , mais non je rassemblais vraiment comme on se crée un vocabulaire en mémorisant les mots dans les textes des autres, et les étudier,s 'en imprégner , en savoir toujours plus sur eux , les apprivoiser , les harmoniser , les faire chanter, vibrer . Et là tout ne s'apprend pas par des recettes, mais en observant autour de soi et en soi y contribue-comme en tout . J'ai commencé en ignorance totale de ce patchwork dit "américain" tissu d'Europe évidemment !) et mon premier quilt que je posséde tojours en 1982 ressemblait à cela , il n'est certes pas cousu selon les régles de l'art :
Planifier...ou pas ?
En patchwork dit traditionnel on part souvent d'un bloc un carré subdivisé ou décoré qu'on peut soit tracer soi-même soit emprunté. . Il est dommage que cet emprunt suffise à assimiler à la personne qui copie un modèle de A à Z . J'ai expliqué combien c'est différent. J'ai d'abord tracé à la main et colorié parfois, parfois non , et dès 1998 j'ai appris à user des logiciels de patchworks, mais ce ne sont pas mes seuls moyens de dessiner , je l'explique ici . Mon livre Jeux d'étoffes détaille ces approches. Mais je peux improviser et dessiner autre chose et si je choisis de partir de la géométrie régulière, c'est volontaire et correspondant à une visée expressive et esthétique.Mais avant de coudre comment tracer ?
Avant l'apparition des logiciels spécialisés il fallait donc apprendre à tracer ses patrons; choisir les dimensions, penser aux proportions. Même si la plupart des quilteuses suivent encore à cet égard des modèles plus ou moins adaptés à leurs goûts personnels. Très vite j'ai préféré composer par moi -même.
J'utilisais d'abord des recueils de blocs, ces carrés repertoriés de la tradition aux US mais dont beaucoup de dessins surtout les plus simples étaient issus d'autres arts dits "décoratifs" : mosaïques, marqueteries fresques en regorgent. On sait que le motif dit "log cabin " un des plus connus et plus utilisés remonterait à l'Egypte ancienne.Voici un exemple basique de ce motif:
Et pourtant que de 'créations variées avec ce classique du pachwork et ses variantes . Deux exemples : le quilt Caprice qui reste ce que je nommerai un classique , détestant le terme "traditionnel" car traditionnel, il ne l'est pas par le choix des couleurs :
Et ce tableau figuratif (silhouette empruntée à plusieurs nus peints et photographiques et redessinée) de la série over rose : Roses blanches d'un corps fou. Le corps est constitué de petits logs cabins irréguliers blancs, qu'on appelle crazy rose (rose avec technique dite crazy c'est à dire morceaux irréguliers) .
Notre création personnelle est donc moins là dans ces carés ou autres formes déjà tracées, que dans la composition qu'on va faire avec ce que je nomme une "source graphique.".Je m'étonne qu'on en parle si peu, dans les livres où on explique comment devenir 'artiste" pour leur préférer le carnet d'equisse où on montre surtout qu'on sait peindre et dessiner. C'est bien , mais à me yeux, pas du tout obligatoire dans un art textile différent. On a cependant tendu à le faire ressembler à autre chose qu'une expression par les tissus assemblés car le difficile de cet art c'est justement cela : assortir le disparate (d'où le succès des assortiments tout pré choisis que j'abhorre!) et composer avec cela quelque chose où on se dit par ce moyen-là (jamais vraiment étudié en France). 3C'est pas contemporain"! Et encore moins "conceptuel". I
Assortir
On m'a souvent demandé autrefois "coment tu fais pour mettre tant de tissus à la foi et que cela garde une unité voire une harmonie ?" aujurd'hui personne ne me me demande plus , c'est démodé. Place au blanc au noir au couleurs unies et finie la subtlité de surface où les motifs et les couleurs mêlées modulent un chant personnel et moi je continue à placer mes tesselles cd'étoffes imprimées non pas à l'ancienne- mes quilts ne essemblent pas à des quilts anciens- mais pour un chant qui m'appartient même s'il reste inaudible dans la contemporanéité.
quilt petite fleur pas deux tissus semblables ...
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Oui mais justement comment assortir et harmoniser ?
Je ne partage pas du tout du tout l'idée que tout va avec tout mis au hasard. Où est l'art si on on n'élabore pas, à cet égard ? Où est la patte personnelle de l'artiste ? " Allez pouf j'entasse tout et ça fera déjà une couverture." Même si le hasard est parfois heureux. Même si je dis aussi qu'on peut tout mettre dans un surface mais pas n'importe comment. .Le but pour moi : harmoniser en vue d'exprimer quelque chose. Pas de pré assorti (ça me fait hurler!) et un désir de se constituer une palette d'étoffes personnelle, qui certes pouvait inclure des tissus neufs mais aussi de vrais anciens, des copies de des broderies, des detelles de tissus pas faits pour 'jerseys, toiles à matelas ).Au lieu de vouloir suivre la mode de son temps -comme on le fait pour la décoration intérieure et les vêtements, utliser tous les tissus de manière intemporelle et dégagée de préoccupations ménagères style : laver ou pas.
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Je dois dire je n'ai pas appris par des méthodes" sur les couleurs qui iraient ensemble et celles qui n 'iraient pas. Comme j'ai toujours utilisé plus de tissus imprimés j'ai senti dès ce moment-là que l'esssence du patchwork tel que moi je le ressentais(dans sa différence avec les autres arts d'assemblage et la peinture) c'était deux choses : le tissu (pour un art textile) et ce qu'il représentait .Ni le hasard je m'enfoutiste soi disant "spontané" , ni des règles strictes. Uniquement mon instinct. Et ce que je veux faire dire aux tissus mis ensemble .Et je continue d'apprendre de tester de découvrir car même en ce domaine du patchwork américain géométrique dit _à torrt- traditionnel - il ya tant de possibiltés de combinaisons déformations choix à faire à tous ces stades que c'est inépuisable !Et on a beau me dénier toute imagination en ce domaine je sais en avoir. Juste qu'elle n'est pas "contemporaine" autant dire ne vaut rien aux yeux de nos décideuses branchées. Corollaire pas de murs pour exposer et certainement pas en solo . ça ne le "mérite pas(ou alors il faut faire partie de club et association. Je ne sais pas créer insi, pour moi le partage vient ensuite et individuellement. C'est mal vu '"elle se la joue trop solo" sonne de loin, à mes oreilles ) Je ne suis ni peintre ni graveuse à côté alors , rien pour doner une aura v rai grand art à mes compositions. . il est à remarquer que c'est le fait que j'écrivais qui m'a ouvert un jour les portes d'une galerie d'art (et pas pour exposer mes chères géométries ) Ah si j'oubliais on st louée pour la patience et le travaux de couture qu'on condescend à vous accorder avec le mépris congruent.
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Chères vieilles choses, livre textile
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 29/10/2022
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Chères vieilles choses ou 40 ans d'amour de l'assemblage des étoffes ...
Surtout quand rien n'est au départ assorti ! (j'ai toujours détesté viscéralement les assortiments spécial patchwork ! les kits et le pré-choisi )
Pour fêter mes quarante ans d'assemblage textile -assemblage pas forcément "couture normée", j'ai élaboré cet album autour de fragments de patchworks restant des ouvrages terminés , mais aussi de débuts d'ouvrages qui n'ont pas abouti sauf à cette page . J'y ai adjoint un peu tout ce que j'aime : des broderies blanches (pas faites par moi), des restes de vieux napperons récupérés dont les fils parfois ont déteint , des broderies personnelles créées comme "échantillons" , des dentelles et des boutons... alliant mon travail à celui d'autres inconnus ..et le passé dans mon présent.
Après la perfection à couper le souffle de l'album de Gabrielle montré dans l'article précédent , et qui ne suscite guère de regards ni d'amiration sauf outre manche et outre Atlantique, (pauvre Gabrielle !) , j'avais quelque scrupule à montrer mes pages imparfaites qui comme d'habitude échappent à un calibrage trop strict et plus encore à l'équerrage. ... et ce n'était pas le but de l'ouvrage . Pas une collection pour montrer ma maîtrise, mais une promenade dans diverses créations abouties ou inachevées.
Il fallut donc pour chaque page composer avec de l'extrême hétéroclite . Bien sûr la couleur y a aidé et le blanc qui est un des liants les plus "faciles" -mais à dire vrai c'était moins pour cette raison que je l'ai utilisé que pour mon amour des broderies blanches et du travail de blanc, avec toujours une pensée pour les brodeuses qui les ont réalisées ou, quand il s'agit de broderie mécanique, les ouvriers qui y ont contribué (ce qui a permis que ce textile-là que j'utilise existe) . Morceaux choisis à l'instinct au feeling comme on dit. ça avec ça parce que je le sentais et voulais ainsi.
Et comme c'est un livre , plutôt que des numéros , je voudrais à ces pages donner des noms. Chacune a son histoire. J'en conte ici quelques-unes.Il y a d'abord les deux pages consacrées aux quilts perdus . Le bloc (carré ou fragment) restant est donc est parfois tout ce qui en reste . L'histoire du coffret rose est racontée ici . La page s'est organisée autour de ce vestige et du souvenir de ma mère à qui il fut offert pour son avant dernier anniversaire. Et qui disparut mystérieusement jamais retrouvé à son décès.
IL ya aussi la page du quilt disparu dans un incendie, d'après le bloc dit Monkey Wrech ; de celui-là il me restait pas mal de blocs j'en ai élu un pour la douceur de ses tons pastels . Le quilt entier est visible dans l'index lettres H-I. Le quilt a été détruit dans l'incendie de la maison des amis à qui il avait été offert. Depuis la maison a été reconstruite et un autre quilt a pris sa place .
Certains ouvrages sont centrés autour d'une couleur , le rouge assez souvent . ils aboutissent ou non . Cette page comporte un début de quilt datant de mes essais d'utilisation du logiciel Quilt-Pro, je m'amusais beaucoup avec les formes . (années 98-99)
Et puis il ya les restes de quilts finis et qui exisent encore , eux, ici ou chez des proches ; Par exemple la page avec les feuilles rappelle le quilt "feuilles en folie" : (index lettre F )
Et celle consacrée aux coeurs contient un fragment du quilt Jardin d'amour et un autre d'un projet abandonné qui sera peut-être refait en "rogaton" . (lettre J1) ;
Il ya aussi la page du tissu "petit Chaperon rouge" , l'histoire du quilt "loup y es-tu " est racontée dans le livre Jeux d'étoffes. ! . Ici le tissu utilisé est un tissu de reproduction retrouvé plus tard , le quilt lui a été bâti autour du morceau d'origine , cette étoffe,je l'ai appris plus tard- a eu beaucoup de succès (d'où les rééditions avec dessins à échelle réduite) :
J'aimerais revenir sur la couverture , dont l'assemblage a été fait dans mes tout débuts au commencement des années 80 avec des tissus qu'une collègue lilloise et professeur de travaux manuels allait glâner pour moi dans les poubelles des usines textiles (las aujourd'hui fermées pour la plupart) . Début de ce qui sera une grande collection toujours en mouvement ..et une aventure comme un voyage .... ce fameux vocabulaire textile riche et varié qui m'est indispensable . -Je n'ignore pas qu'on peut créer tout aussi valablement sans, mais c'est ma manière!)
Les broderies, motifs ajoutés sur d'autres étoffes, le blanc souvent "sculpté" en bas relief par les broderies , sont un peu comme les citations dans un texte. il me frappe aussi que les blocs de patchwork ne parlent pas du tout de la même façon dans un livre et un composition autre que dans un quilt et je persiste pourtant à demander qu'on lise mes quilts comme des pages juxtaposées mais aussi des pages qui se recoupent et s'enchevêtrent et quae l'oeil peut donc découper à sa guise; cet aspect-là du patchwork n'est quasi jamais étudié puisqu'on le juge comme de la peinture (et qu'on tend depuis 20 ans à l'y faire ressembler) . J'y reviendrai plus tard. Les livres sont - tant mieux ou hélas pour moi qui aime à faire les deux- infiniment plus à la mode. Pour moi c'est deux manières différentes de publier une expression textile par assemblage. Et là la joie pure de composer et d'assembler ces 20 pages ....
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Modèles: une expérience de créatrice
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 28/09/2022
- Dans présentation
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Je voudrais évoquer ici une expérience en liaison avec l'article précédent Modèles.
Ma première phrase sera pour regretter que dans notre pays, réaliser des modèles pour des revues de loisirs créatifs soit se déconsidérer, trop souvent, au plan artistique.C'est vrai ça ne fait pas très intellectuel, ni prestigieux , ça ! Les vrais artistes textiles, souvent plasticiens de mixed media ne s'abaissent pas à cette sorte de transmission permettant la reproduction de leurs oeuvres A la rigueur ils organisent des stages, ou écrivent des livres. pour livrer quelques "recettes"censées rendre "créatif" . Quelque chose qui peut se "reproduire" n'est pas à leurs yeux digne du titre d'oeuvre d'art (c'est oublier les faussaires ! et tous ceux qui imitent pour s'entraîner ! ) mais chut ne mélangeons pas une fois de plus torchons et toiles de maître , l'ouvrage dit de dames et les Beaux-arts.
J'aime bien , on le sait, titiller les préjugés ordinaires et universellement admis, lorsqu'ils me semblent non justifiés.
Ce n'est pas le cas aux USA ou au Royaume-uni où il n'est pas rare dans les revues on voit passer le nom d'une artiste reconnue (et qui expose parfois en galerie ou musée ) .Il n'y a pas ce clivage, ou du moins pas autant. La remarquable revue de broderie britannique Stitch à laquelle je fus longtemps abonnée est un modèle du genre qui allie aussi tradition et modernité . Un autre esprit!
J'avais déjà donné à la revue Les Nouvelles du patchwork -dès 1992-une petite dizaine de modèles , mais là je fournissais juste les photos et les rédactrices se chargaient du travail explicatif et des schémas. Et ces modèles étaient fournis gratuitement, tout le monde étant bénévole. Et puis, on a mis huit ans pour publier mon quilt Patience dans l'azur et j'ai compris à mi-mot ("les temps changent" m'avait-on dit ) qu'on n'en voulait plus, là que j'étais has been, sans doute . La mode ne m'intéressant pas en art ni en littérature, j'ai suivi mon chemin .Fin 2007 quand la revue Creation patchwork m'a demandé des modèles , comme pigiste, j'ai un peu hésité .D'autres relations contactées aussi, ont refusé pas assez prestigieux pas assez remunéré. On a même parfois sous entendu qu'on recrutait vraiment n'importe qui. Sympa pour moi ! On n'évite pas ces rosseries un tantinet mesquines.
Et puis je me suis rappelée que j'avais appris à broder et à coudre des robes grâce à des magazines. puis le patchwork non pas en copiant les modèles des autres mais en y apprenant les techniques et en m'imprégnant aussi de ce à quoi j'avais alors accès.
J'estime que lorsqu'on brode, il vaut mieux savoir maîtriser les points de broderie et explorer tout ce qu'on peut exprimer avec eux. Mais pas forcément dans une optique de perfection normée , mais d'expression personnelle. Mais pour explorer un point il faut en connaître l'existence et savoir d'abord le faire ordinairement, si je puis dire, avant de tenter d'en faire autre chose, c'est même à mes yeux ce qui fait la différence entre un(e) artiste qui sait son art et en joue , et un(e) autre qui fait du salopé ou du maladroit parce qu'elle ne sait pas faire autrement.(il est vrai si ça colle à ce qu'il ou elle veut dire, rien à reprocher, je ne fronce les sourcils que lorsque cela semble donner une plus-value ) , De même quand j'écris, j'aime disposer et d'un vocabulaire précis et riche (même si je n'en use pas toujours!) et maîtriser suffisamment les subtilités syntaxiques de notre langue . Pour écrire si j'ai beaucoup appris de l'imprégnation par la lecture et l'analyse d'oeuvres littéraires, une connaissance pointue de l'étymologie , de la phonétique du français, de la grammaire et de la conjugaison ne m'ont pas semblé inutiles. Qui peut le plus peut le moins, mais pas souvent l'inverse . Même s'il faut parfois savoir oublier ce qu'on sait , pour ne pas avoir l'esprit trop encombré. Or les points de broderie,c'est dans les revues et quelques manuels édités par lesdites revues que je les ai appris au fil de ma vie . C'était une transmission hélas féminine et populaire. Hors champ de la culture pour intelligentsias qui plus est . Sauf quand un grand nom de la littérature, je songe à Régine Desforges, vient mettre le phare sur le point compté. Si c'est Madame Lambda evidemment, le regard ne sera pas le même.
Alors je me suis dit que je pouvais tenter l'aventure. Mes grands enfants étaient étudiants, ça me faisait aussi un peu de sous pour leurs études. surtout comme je venais de prendre ma retraite ça me rendait un rôle "actif" dans la société, même si on peut trouver ce rôle ridicule et dérisoire. J'avoue que lorsque pénétrant chez mon marchand de journaux, je voyais une de mes créations sur la couverture (et parfois plusieurs) , j'ai éprouvé comme une naïve fierté .
En patchwork géométrique, je n'ai pas vraiment créée de modèles exprès pour la revue ,je proposais ce qui était déjà fait vu le temps qu'il me faut j'ai donné le mode d'emploi pour avoir un objet ressemblant. Pas semblable, c'est impossible. Le but n'était donc pas dans mon esprit d'inciter à une copie sans interprétation personnelle. Ainsi les rares fois où j'ai pu voir ce que d'autres en avaient fait, j'étais heureuse de voir que c'était des adaptations, des interprétations.
Ces quilts avaient été créés le plus souvent non pas pour la revue, mais comme toute oeuvre d'art unique pour exprimer ce que je voulais dire avec ces tissus -là dans cette surface-là. En les publiant comme "Modèles" je leur aurais enlevé, semble-t-il, leur statut d'oeuvre unique, non reproductible etc. En donnant un tutoriel, je les dévaluais , selon l'opinion admise.. Je demeure persuadée que toute oeuvre peut en décomposant chaque étape être l'objet d'un tutoriel (plus ou moins complexe) . Vrai aussi que lorque je créais ces surfaces, il entrait dans ma composition beaucoup d'instinct et d'improvisation, mais après coup on peut toujours tout decomposer pour expliquer au moins dans les grandes lignes. Le détail appartient à la "patte" de l'artiste ! Et si on songe qu'en cet art c'est le détail qui donne sa vibration, son sens, sa tonalité, son expresion à l'ensemble, mon oeuvre resterait donc "unique".Ainsi ce jardin de l'abeille -un des modèles les plus complexes à expliquer où chaque hexagone ou presque est différent des autres et signifie, pour moi quelque chose par sa couleur et ses motifs.
Le jardin de l'abeille
Donner la possibilité de reproduire n'était donc pas vraiment permettre de copier ou de démarquer de trop près .
Le vrai travail, celui qui était rémunéré en droit d'auteur (et non d'artiste!), était un travail de pigiste technique .Ce sont même les droits d'auteur "écrivant" les plus élevés que j'ai jamais perçus (la littérature ne nourrit que rarement son homme, et on en est presque à payer pour être édité!) . J'ajouterai perfidement et très immodestement que si tout le monde peut écrire et considérer que c'est original et génial - puisque de soi -moi y compris ! -, rédiger de telles piges exigeait un certain nombre de compétences spécifiques. nonobstant celles d'être capable de créer les oeuvres originales (qui ne sont pas le modèle, à elles seules!)
Il fallait d'abord évaluer le matériel nécessaire, ce qui n'est pas simple quand on use de 2000 tissus différents ou qu'on mélange les fils ... récupérés un peu partout. Ensuite il y fallait des explications, claires, si possibles -c'est là où trente ans d'enseignement ne sont pas tout à fait inutiles- et surtout des schémas conçus à l'ordinateur, et la maîtrise du logiciel quilt- pro, inégalable pour montrer comment monter les morceaux s'est révélée indispensable. Ce qui donnait des pages comme ça dans la revue (après travail de la maquettistepour la mise en page) . Je ne les regarde jamais sans une obscure et vaniteuse satisfaction . (je ris!) :
S'ajoutaient les photos dites d'ambiance. Celles-ci étaient parfois réalisées par moi parfois par la directrice de la revue ce qui exigeait des envois risqués. J'y ai perdu ainsi un couvre-livre . Sans proposition d'indemnisation , bien sûr. Et les frais d'envoi à l'aller étaient aussi à ma charge. Et même si je garde de cette expérience (qui dura jusqu'en 2012) un excellent souvenir, il y eut forcément les hiatus et les bémols , comme dans tout parcours humain ! Par exemple les titres changés , sans doute pour être plus "accrocheurs", ou bien les photos déformées sur une couverture où mon quilt Noctambule est passé au miroir déformant .. Les problèmes de résolution (nombre de pixels par centimètre ou de points par pouce. ) La difficulté d'obtenir la mention "création"et non réalisation" sur ce qui pourtant en était quand on l'attribuant d'office à d'autres , sans doute mieux cotées que moi , même quand je partais d'un dessin original . Mais j'étais toutefois plus chanceuse que les créatrices des années 60 -70 dont le nom n'était même pas cité. Il y avait eu un progrès. Plutôt que "réalisation" j'aurais aimé parfois le terme interprétation surtout en broderie où l'essentiel n'est pas, mille fois non, dans le dessin. Je tiens aussi à la rigueur des mots, et de leur sens. Ce qui me rend très chiante, je le sais.
Les crazys quilts que j'ai créés à cette époque l'ont été à la demande souvent en accord avec un thème : Noël pour cette étoile des neiges :
ou le thème Les cérémonies pour Célébration, quilt conçu comme cadeau de mariage.
Pour les crazys quilts, je n'ai jamais donné de patron de détail , juste le plan d'enemble, car pour moi l'esprit crazy d'origine, tient aussi à la forme irrégulière de morceaux à sauver et à ennoblir par la broderie dans leur forme pour en perdre le moins possible. Et trop tenir la main (ou le pied?) dans ces "pas à pas" c'est bloquer toute initiative personnelle.
Un peu plus tard la revue Broderie d'art s'est créée et j'ai été aussi du voyage !
Travail un peu différent, pas de schéma de montage, sauf en la partie couture, mais des photos décomposant chaque étape d'un point :
et évidemment l'explication de la répartition des points et des fils par zone ou détail. C'était très long pour les créations complexes. Il fallait donner pour chaque détail une photo vierge d'indications et la photo "fléchéé" plus la légende correspondante (trois documents donc pour un détail !) ,On imagine quand il y avait ue bonne vingtaine de photos (parfois plus) la maquettiste se chargeant de remodeler cela de manière plus esthétique.
Les modèles de broderie, eux , ont tous été créés -sauf un- selon un cahiér de charges , lequel indiquait souvent une technique , et un objet dans lequel la broderie devait s'inclure. la France a la passion de l'objet d'art décoratif , tandis que dans les revues du Royaume-Uni on voit beaucoup plus de broderies encadrées. il m'est arrivé de refuser de créer des maniques en broderie fine . Car si c'est pour servir vraiment de manique on n'use pas d' un ouvrage unique et fragile qui va être abîmé aux premières utlisations, et si c'est pour le décor fût-ce celui d'une cuisine autant alors encadrer l'objet et le protéger.
L'objet était imposé , la technique ou le style parfois (précieux, rustique ) mais j'étais libre du reste -ce qui est pour moi l'essentiel; J'ai usé parfois de dessins existant dans les vieilles planches d'ouvrages (toujours en le signalant) mais le travail de brodeuse était ma création : point couleurs, matières. (et ce n'est pas rien !) .
Coussin rustique, desin emprunté , mais choix personnel de tout le reste.
J'ai aussi usé de dessins personnels :
Ou de photographies personnelles ou données par ma famille :
Jardin à Madère sur une photo de Michèle Lefebvre
J'ai ainsi fait un cetain nombre de sacs et de coussins ,écharpes, châles, quelques tableaux aussi , des pochettes... En simplifiant ce qui relevait de la couture, je ne suis pas une bonne finisseuse d'objets complexes ! Cette expérience m'a appris à broder plus vite, à adapter mes points et leur régulaité à la visée de ce que je voulais obtenir. Quand les commandes arrivaient, j'acceptais ou je refusais, et je m'établissais un planning , il fallait tout envoyer à la date fixée (ah ! l'enfer des x fichiers à télécharger ) . la pensée me vient souvent que de tout ce que j'ai créé il ne restera pour un public large que ces créations dans quelques revues . Beaucoup vivant dans l'instant, trouvent que c'est vaniteux de vouloir une conservation des oeuvres textiles de la sorte, autre et digne du temps et de l'imagination qu'on y déploie .Mon avis est inverse . C'est un art aussi qui est à revaloriser, dans toutes ses facettes, pas juste celles qui ressemblent aux Beaux arts ou qui sont exercés par des plasticiennes. Pas que mes chers chiffons personnels . J'ai même rêvé d'une étude autour de tous ces créateurs et créatrices de l'ombre, d'abord anonymes, et aujourd'hui méconnus encore et ce n'est guère aisé justement . Si j'étais historienne de l'art, je crois que je me pencherais sur cet aspect-là .
Et puis un jour, on ne m'a plus passé de commandes et j'ai compris que mon "emploi" n'existait plus .J'ai constaté ultérieurement que la même pige (c'était prévu au contrat) était repassée dans d'autres numéros, voire des livres de "synthèse" sur un thème . C'est ainsi et c'était aussi bien !
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Jeux d'étoffes : impressions expressions Traditionnel ou géométrie ?
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 20/03/2022
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Avat propos
J'ai décidé , pour fêter ce quarantième anniversaire en assemblage d'étoffes, de publier les introductions aux grandes parties de mon livre paru en 2010 Jeux d'étoffes, impressions, expressions .
La préface de Jean Paul Gavard Perret est déjà lisible ici .
Il est évident que ce livre est bien plus "riche" que ces extraits (200 pages en couleur ) mais je ne peux pas le republier en version "augmentée" sauf si un éditeur l'acceptait tel quel en se chargeant de la maquette (on peut rêver !) -
Ces introductions étaient suivies de présentation d'ouvrages où j'expliquais mes "stratégies" et démarches . Je suis une coloriste et une assortisseuse ,Pour moi l'association des étoffes surtout imprimées est LANGAGE , e je pense aussi à certains , qui ont su voir émerger autre chose que de jolis petits quilts pas trop mal faits ...
La géométrie fait toujours partie de mes points de départ ... mais pas exclusivement et ce livre evidemment le montre. et si mes sources sont citées, une source n'est pas un "modèle" qu'on décalque, un motif en noir et blanc qu'on utilise et avec lequel on compose suffit hélas pour qu'on sout taguée "traditionnelle" et donc son corollaire "sans imagnation" , les vraies artistes textiles c'est .. tout le reste.
Pour la différence entre patchwork et quilt un patchwork textile est un assemblage de tissus -qui n'est pas forcément matelassé, le matelassage se fait un quilt (qui n'est pas forcément assemblé) . Mais l'usage confond assez souvent les deux et il ya un diktat du matelassage "obligatoire" pour tout ce qui est inspiré de la géoméotrie , auquel je ne souscris nullement .J'y reviendrai.On peut établir sans trop se tromper que tout motif existant est forcément géométrique puisque possible à tracer à l’aide d’une équation mathématique plus ou moins complexe.
Mais quand on parle géométrie en matière de patchwork ce n’est pas ce qu’on entend. On y regroupe toutes les surfaces élaborées :
-à partir d’une ou plusieurs figures simples aisément reconnaissables : carré, triangle, rectangle,losange, trapèze, polygones divers, cercle…
- à partir des recueils de carrés –le plus souvent- dans lesquels s’inscrivent des lignes géométriques, appelés « blocs » et généralement attribués à la culture américaine. Il est bien évident que pour beaucoup ces motifs existaient ailleurs, et ce, depuis la nuit des temps parfois, et que ces anthologies ne sont pas exhaustives : on peut toujours tracer tout ce qu’on veut même à l’aide de simples lignes droites à l’intérieur d’un carré(ou d’une autre forme) prédéfini(e). Mais les américaines qui ont utilisé ces géométries les ont développées, nommées, codifiées, classées et associées à leur vie et leur histoire, aussi quand j’utilise un de ces carrés ou bloc, c’est à cette culture que je me réfère, comme on le fait d’ordinaire.
Quand j’ai assemblé mes premiers morceaux d’étoffes cependant, j’ignorais absolument tout de ce qu’on appelle le patchwork américain traditionnel. J’ai pourtant, naturellement, utilisé des formes géométriques tout simplement pour leur facilité d’assemblage. Je n’ai d’ailleurs découvert la tradition « américaine » que six ans plus tard, et je voudrais dire que si j’ai adopté assez vite, mais pas exclusivement, la structure en blocs, c’est pour deux raisons. La première était pratique : à l’époque, mes enfants étaient petits et je trouvais plus facile de travailler une surface par fragments, étant très souvent interrompue dans mon travail, la deuxième étant esthétique. Comme j’aime utiliser énormément de morceaux différents par leurs couleurs et leurs imprimés dans une surface, beaucoup plus que la majorité des quilteuses, j’ai saisi assez vite que la rigueur de la géométrie d’une part, la régularité de la répétition d’autre part donneraient à mes quilts cette structure forte qui me permettrait toutes les « fantaisies » dans mes choix d’étoffes et de couleurs.
Faisons un sort à la monotonie et au manque d’imagination qui seraient les corollaires de ces « géométries ». Je dirai simplement que ce n’est qu’un moyen d’expression comme un autre que je pousse d’ailleurs parfois jusqu’à la redondance voulue; c’est aussi un élément de stabilité et de « pacification » de mes surfaces, une sorte de halte proposée au regard quand il y a des centaines de tissus différents à appréhender, à la fois unis et dissociés selon qu’on les percevra d’une façon ou d’une autre, en composition avec leurs voisins immédiats ou en relation avec d’autres éléments plus lointains.
C’est le « carcan » qui me procure la plus extrême liberté. Sinon la confusion la plus totale règnerait. Je ne l’évite d’ailleurs pas toujours.
Et lorsque j’ai testé d’autres moyens d’assembler les tissus, si je suis restée fidèle pour toute une part de mes ouvrages à cette géométrie, ce n’est pas par obédience à une quelconque tradition, mais parce que je n’ai toujours pas fini d’en exploiter les infinies possibilités d’expression. Je ne m’inscris absolument pas dans la tendance qui voudrait que les quilts fondés sur des blocs répertoriés soient des ouvrages artisanaux bons uniquement pour un usage utilitaire ou ramenés à leur valeur historique de « copie d’ancien » pour perpétuer un art, dans une optique de transmission d’une certaine perfection technique et un respect absolu de ce qui nous a précédés. C’est une noble-et difficile- entreprise que je salue, mais qui ne m’attire aucunement.
L’aide des logiciels spécialisés permet d’explorer les infinis de ces géométries, et il ne s’agit pas seulement de juxtaposer et de colorier, mais de composer à l’aide d’éléments et de manière parfois très complexe, des surfaces expressives et singulières. Ces dessins ne sont évidemment pas de l’art textile, avant d’être transcrits en tissus, mon regret est souvent que ces centaines de schémas que j’ai créés en plus de dix années de recherche ne donnent pas naissance, chacun, à un ou des quilts. Cependant c’est un vivier, pour moi-même et quelques autres qui n’hésitent pas à y puiser.
La géométrie n’est pas non plus à mes yeux un stade par lequel on commence, et auquel, si on veut être artiste, il faudrait obligatoirement renoncer .On n’y reviendrait que pour des objets pratiques ou comme il m’a été dit souvent « pour se délasser » après s’être confrontée aux affres de la « vraie » création, car on le perçoit presque toujours comme une « facilité ». Ce serait dire que pour être écrivain, il faut renoncer à la narration si on veut se mettre à écrire de la poésie ou l’inverse. Et que la poésie c’est plus « facile » que le roman, ou l’inverse. On voit bien que c’est absurde.
Pour moi la géométrie n’est pas uniquement de la tradition, pas plus en tout cas que les paysages ou les quilts figuratifs qui sont en ce moment en plein essor, même si elle repose forcément sur des poncifs et des schèmes rebattus, elle est un « genre » textile parmi les autres et je regrette profondément une évolution qui tend à la nier en tant que moyen d’expression vivant et continuant à se transformer. Ce n’est « figé » que dans l’esprit des personnes qui ne la pratiquant pas ou plus ignorent son devenir et ses possibilités.
J’admets que ses structures fortes et répétitives puissent ne pas parler à certaines sensibilités. D’autres au contraire s’y attachent comme étant la marque du « vrai » patchwork. Clivage si perceptible qu’à de rares exceptions près, la plupart des personnes qui regardent mes ouvrages « me » coupent en deux, les unes attirées par mes géométries où elles voient soit de la virtuosité technique, soit justement, ce respect raisonnable et rassurant d’une tradition, les autres par mes abstractions plus informelles et presque personne n’établit entre les deux de lien. Aussi un des buts de ce livre sera peut-être de recoudre les parties d’un ensemble qui me représente tout autant dans une tendance que dans une autre. Ou du moins le tenter.
Je n’ai jamais cousu de quilt vraiment « traditionnel » au sens où on achète des étoffes en vue d’une harmonie préétablie, et ou on coud trente fois les mêmes tissus-ou des tissus très ressemblants- aux mêmes endroits. Je n’ai jamais de ma vie cousu deux fois exactement le même bloc. Je ne veux pas ajouter l’unité à la répétition dans un but décoratif, comme pour un motif de papier peint, par exemple. Je trouve plus passionnant d’introduire, dans mes surfaces, autant de variété que possible, frôlant la confusion, parfois. Si j’y parviens, j’incite l’œil à regarder de manières diverses et surtout en s’appuyant sur des points de départ différents. Il n’y a dans beaucoup de mes surfaces ni début, ni fin, et où que vous les preniez vous pouvez toujours du regard reconstituer vos propres assemblages, et pas seulement par ce qu’on appelle les effets secondaires, c’est à dire ces dessins qui effaçant le carré de base en proposent une autre lecture et qui restent aussi un « poncif » de la tradition des quilts. Ces motifs-là le primaire –celui du bloc et le secondaire- restent « imposés ».
Ce que j’aime à obtenir, c’est que le spectateur construise ou reconstruise le quilt tout autant que moi. Et, cette « interactivité » la géométrie, m’aide à la mettre en œuvre, en raison, paradoxalement, de ses lignes nettes. L’œil qui les suit va un moment les perdre, en raison du jeu sur les couleurs et les étoffes, puis les retrouver et ainsi de suite, mais une autre fois, ce sera un autre parcours. Sans compter que le jeu sur les valeurs crée aussi des reliefs, et des effets de luminosité,
même si les étoffes sont toutes mates. Et, même si je regarde pour la centième fois le quilt qui me fait face sur le divan du salon, je ne vois jamais exactement la même chose. Pour moi, un quilt est réussi quand il possède ce pouvoir de fascination, de métamorphose infinie. Je ne dis pas que j’y parviens, mais que j’y tends.
Ainsi suis-je toujours frustrée d’un regard, malheureusement très fréquent, qui assimile mes surfaces (et pas seulement les miennes) à ce qu’on nomme avec quelque mépris dans notre corporation des « resucées » de traditionnel au mieux du traditionnel renouvelé ou relooké.
Ce que je bâtis, dans tous les cas c’est une surface textile, où je tente de capter quelque chose de mes émotions et de les transmettre. Pas de faire un quilt en rouge et bleu sur le bloc « la patte de l’ours ». Ou de renouveler le dit bloc en utilisant la gamme de tissus à la mode que viennent de sortir les créateurs en tissu spécialisé, des couleurs insolites, ou une disposition inhabituelle. Je sais bien que d’une certaine façon, on n’y voit aucune différence, surtout si on veut réduire toute œuvre à son genre. Je ne cherche à y mettre ni du nouveau, ni de l’ancien, je me sers des structures géométriques comme d’une base graphique.
L’essentiel pour moi est dans le choix et le nombre des tissus mis en œuvre comme un vocabulaire, pour exprimer quelque chose de particulier, il faudrait donc regarder aussi dans l’idéal chaque « tesselle » de tissu une par une et se demander : pourquoi ce tissu-là à cet endroit-là ? Car ce qui est important pour moi, c’est à la fois l’ensemble, saisi dans sa globalité (un quilt dit-on se regarde de loin), mais aussi le détail, en sa signifiance, et entre les deux les amalgames plus ou moins étendus de surfaces qu’on peut saisir. La mode actuelle est de travailler sur des « couches » de matériaux successifs qu’on superpose sur une étoffe, je cherche plutôt à obtenir des profondeurs en restant en surface, en établissant des niveaux de « visions » différents.
Il y a toujours plusieurs temps dans mon travail ; souvent c’est l’idée des couleurs qui prédomine, se réveiller en se disant « quelque chose en jaune et gris ». A ce stade il n’y a pas encore de forme, mais ça peut être aussi bien « où intégrer cet écossais » ou « ce tissu « vert à pois gris » . Ça peut être une vision plus ou moins nette d’un dessin ou tout au moins d’une structure ; la vision est toujours floue, à ce stade, c’est ensuite que de proche en proche elle s’organise. Floue au sens que je ne pourrais pas la dessiner, mais exacte au sens que je ressens au fond de moi ce qui, dans mon travail, va m’en éloigner ou m’en rapprocher, et c’est là qu’intervient ce que je nomme l’instinct ou si on préfère l’intuition. Une œuvre construite au hasard c’est quand on prend tous les tissus sans contrôle aucun, comme ils viennent c’est l’optique de ce qu’on appelle les « scrap quilts »ou quilts faits comme beaucoup des miens avec une multiplicité de chutes variées. D’autant que beaucoup de scraps quilts traditionnels sont construits sur un fond blanc ou écru justement pour que le dessin apparaisse nettement ce qui n’est pas toujours ce que je veux obtenir. Une œuvre qui s’élabore par instinct, c’est quand la main et l’œil guidés par le travail intérieur que j’ai évoqué, par cette vision à la fois nette et fluctuante de la surface à atteindre, vont déterminer le choix, repoussant ceci, pour élire cela, déconstruisant et reconstruisant, jusqu’à s’arrêter à ce qui paraît le plus proche de la vision initiale, laquelle, évidemment, si la réalisation s’étale dans le temps , se métamorphose. Il n’y a rien de figé, de prédéterminé dans ce cheminement, sauf peut-être ce que je nomme la stratégie de départ. Encore souffre-t-elle des dérogations.
Le dessin, le plan sont pourtant nécessaires, mais souvent ce n’est qu’une cartographie dont on peut s’éloigner. Il est très rare que des modifications n’interviennent pas, et le plan qu’il soit en noir et blanc ou en couleurs, n’est qu’un dessin sur du papier. L’essentiel du travail ne sera jamais là, mais dans un choix précis d’étoffes et de nuances, où chaque chose doit paraître à sa place et que, même s’il avait été possible d’intervertir les éléments, tout aussi esthétiquement et légitimement, le regard justifie les décisions prises. Il faut de plus, travaillant par fragments sans cesse anticiper dans son esprit l’aspect final. Beaucoup composent après coup en agençant les blocs sur un mur avec du recul. Je procède parfois ainsi, mais le plus souvent je construis des rangées et je couds l’une avec la suivante sous les yeux et ainsi de suite. Arrivée au bout, il peut se produire que j’intervertisse l’ordre premier, que je déplace tel ou tel élément, mais c’est plutôt rare, parce que précisément, le « dessin » principal est en moi, beaucoup plus que sur le papier. Il est en moi déjà, dans l’élaboration de chaque élément. J’ai coutume de dire que si chaque bloc s’équilibre au niveau des couleurs, des valeurs et dans le choix des étoffes, l’ensemble -sauf accident- sera aussi équilibré, harmonieux et signifiant.
Et surtout, le dessin géométrique n’est pas l’essentiel il n’est que l’élément structurant d’un ensemble complexe.
Il faut y ajouter les couleurs bien sûr, dont le choix totalement libre et dépourvu de tabous non pas par désir de provocation ou de pseudo-originalité, mais par liberté que je m’accorde. J’aime à représenter la même nuance par un maximum de tissus différents, ce qui n’est pas si simple qu’on peut le penser : les nuances doivent être assez proches pour que l’effet d’ensemble ne se perde pas totalement, mais suffisamment variées justement, pour permettre à l’œil d’autres lectures que celles d’un quilt où le rouge est toujours représenté par la même étoffe ou tout au plus par une presque identique. Il faut jouer sans cesse entre l’effet d’unité et l’effet de dispersion.
Au dessin de la cartographie première, vont s’ajouter le relief et la profondeur donnés par le choix des valeurs (clair-moyen-foncé), on pourra procurer l’illusion de la profondeur ou au contraire de l’avancée, on pourra aussi choisir de gommer le relief par un choix de valeurs proches avec toutefois des dérogations. Ceci ne m’est bien évidemment pas particulier et nombre de quilteuses jouent avec ces possibilités, mais chacune le fait à sa manière.
Et ce qu’il y a de plus particulier à notre art, c’est bien précisément le choix des tissus.
Les tissus unis, ou sans motif trop marqués, accentuent à la fois la géométrie et l’effet de relief.
C’est un choix respectable, surtout si on songe aux merveilles produites par les Amish, mais ce n’est pas le mien.
A ce stade on est encore très proche d’un dessin qu’on pourrait peindre et la part du tissu en ce qu’il a de particulier n’est pas primordiale; et pour moi, ce le tissu a de plus particulier en dehors de sa texture (que j’aborderai plus tard) et de sa couleur dominante, ce sont ses motifs.
Associés à la géométrie, au travail sur le dessin et sur le relief, ce sont eux qui en dernier ressort guident l’œil d’un fragment à un autre. Ainsi y aura-t-il toujours, des rappels de couleurs qui forment un « chemin » parfois interrompu, mais aussi des rappels de formes, aussi bien dans le carré basique qu’on appelle bloc que dans l’assemblage des blocs en zones, puis en rangées, puis en surface. Il y aura des zones plus ou moins saturées en couleurs, plus ou moins compactes, plus ou moins brouillées par les motifs. C’est une construction progressive, où rien n’est au départ figé et préétabli mais où rien non plus n’est l’heureux effet du hasard.
Ce travail dont on dit à tort qu’il est plus facile « parce que les erreurs se verraient moins » est presque toujours chez moi une lutte entre le « trop » et le « pas assez », c’est pourquoi, je m’impose au départ des règles. Je ne les détaillerai pas ici, car elles sont expliquées sous chaque ouvrage, mais on peut en donner un exemple « rien que du bleu » mais s’accorder le droit à toutes les nuances de bleu y compris celles qui tirent sur une autre couleur (et c’est là que le classement élaboré au chapitre précédent se trouve précieux) les bleus tels que moi, je les vois et que d’autres verront peut-être gris ou verts…et autour de ces bleus une géométrie stricte qui va permettre de savourer le jeu sur les étoffes .
J’ajoute à cette variété et à la rigueur des structures, un penchant pour la miniaturisation. Plus un morceau d’étoffe est petit moins j’ai envie de le jeter et tant qu’il est assez grand pour être assemblé avec des marges de coutures, il n’y a aucune raison pour moi que de pas tenter de le coudre ; cette miniaturisation, à l’égal de la géométrie m’autorise le choix d’un plus grand nombre d’étoffes et me permet de travailler mes fragments en les nuançant autant que je le juge nécessaire, mais en plus de cette notion esthétique, il y a l’idée d’une alchimie du « rien », ce que tout le monde jetterait, j’éprouve une joie indicible à lui donner droit de cité, plus un morceau est petit et négligeable, plus j’ai envie de lui trouver sa place. J’ai beaucoup plus de plaisir à ces minutieux assemblages qu’à découper le plus vite possible une dizaine d’étoffes assorties pour en faire une composition « classique », il est certain que construisant cette surface d’étoffes, je construis ou reconstruit quelque chose en moi et à l’extérieur de moi. Il faudrait lire aussi mes surfaces géométriques comme un tout-qui serait emblématique de ma vie- et non comme des ouvrages différents, une série de « jolis » petits quilts, comme on me dit si souvent. Une surface composée de surfaces.
Ps- on peut en voir quelques-unes sur la ligne suivante , mais se promener dans l'index les montrera mieux comme j'aime: faisant partie d'un tout . En égale importance pas en "occupe-doigts" . ou en stade "bon quand on débute ..."
Sur les géométries, on peut lire aussi des articles rédigés ultérieurement :
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Le bonheur en lisière -4
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 04/02/2021
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Au cours des années 90, j'ai commencé ma collection de livres américains achetés chez Brentano's, le plus souvent , puis diffusés par les commerçantes- artistes quilteuses de l'époque , si on voulait vivre de son art, il fallait déjà en passer par là , vendre des modèles, des kits, des tissus, organiser des stages. La machine commerciale était en route. Point trop de salons et un art pas encore vendu aux marchands du temple, cependant. Ma première grande influence fut l'artiste Nadine Rogeret à qui j'achetais mes premiers tissus américains . Ce furent longtemps, les seuls. J'aimais sa façon de créer en mélangeant dans ses oeuvres une inspiration qui venait de la géométrie et des compositions tout à fait personnelles. On voit nombre de ses oeuvres dans le livre de Claude Fauque Le patchwork ou la désobéissance . Si une me fut exemple, dans mes débuts en mosaïque de tissus, ce fut elle et je la salue au passage .
Je m'intéressais donc à cette géométrie dite traditionnelle et américaine , parce qu"elle coïncidait, en moi, à mille manières de construire avec des tissus. J'ai toujours aimé mettre beaucoup d'étoffes différentes dans ce que je fais , parce que pour moi c'est une sorte de richesse de vocabulaire. A mes yeux, c'était de la mosaïque, de la marqueterie, arts qui m'ont toujours fascinée et dont je n'ai jamais compris qu'ils soient jugés comme décoratifs et mineurs sauf quand un grand nom s'en empare , que la peinture s'en inspire ou qu'un mouvement d'arts plastiques en vogue les récupère. J'ai expérimenté évidemment, depuis, d'autres voies et certaines de mes créations actuelles sont toutes différentes, mais cette variété est la pierre angulaire de ce qu'on me pardonnera d'appeler ma démarche. Or, mettre énormément de tissus, de motifs et de couleurs venus non de chez un marchand qui vous les a assortis mais des découvertes et trouvailles un peu partout - neuf et ancien mêlés - exige pour équilibrer une rigueur que la géométrie des blocs et leur répétition me donnaient . La miniaturisation des morceaux aussi.
J'en étais donc là, à prospecter dans ma collection de tissus et les différents dessins issus de ce qu'on nomme "tradition" - J'envoyais en guise de voeux à l'association une photo d'un de mes patchworks, , on était début 92 et à ma grande surprise la directrice de publication Suzanne Lambert me répondit , et m'encouragea. Elle fit mieux elle publia comme modèle ce premier quilt réalisé d'ailleurs bien des années avant d'après un bloc trouvé dans une revue. Ce fut pour moi un puissant déclencheur, le geste qui me donna confiance . Mon livre lui est dédié. Sans elle, je n'aurais pas cru en moi. Je croiserai plus tard d'autres personnes (et aujourd'hui encore!) qui m'aideront à dépasser mes doutes, à continuer, car seule et souvent à contre-courant , ce n'est pas si facile. Je veux saluer celle qui fut pour moi à l'origine de ce que je nomme ma seconde vocation (la première, comme on le sait, était l'écriture ). et je préfère oublier les réflexions inévitables du genre "on te l'a pris parce qu' à l'époque, 'on manquait de modèles". Car oui , c'est ce qu'on entend au sein de notre corporation. (à suivre)
Pour Guillaume -1990- parution 1993 Nouvelles du Patchwork
tissus américains et de récupération
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Le bonheur en lisière 2
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 03/02/2021
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NB les liens sont donnés pour éviter de refaire des démonstrations déjà faites .
Il y a donc une histoire du patchwork et de l'art textile en France, une histoire ignorée et même occultée, qu'on commence à redécouvrir mais toujours à l'arrière -plan . On a longtemps cru (et moi aussi) que le patchwork, c'était exclusivement anglo-saxon, et surtout américain (certaines américaines le croient aussi!) , mais il m'étonnait qu'en France , on n'ait jamais rien créé en ce domaine. On sait maintenant qu'il n'en est rien. cf ce lien pour en savoir plus
Et une histoire récente un "revival" comme on dit outre-Atlantique,qui commence chez nous dans les années 70. On voyait d'ailleurs à cette époque beaucoup de tissus imitant le patchwork, mais précisément le patchwork tel qu'on le caricature et ainsi, il ne m'attirait pas . C'était l'époque où j'avais acheté les livres de Marie Jeanine Solvit.
J'ai raconté comment en 1982, j'ai rencontré l'assemblage d'étoffes dans mon livre Jeux d'étoffes impressions, expressions . Ignorant tout des règles du patchwork dit américain , je traçais avec des formes simples , je faisais des couvertures pour mes enfants. Celle qu'on voit ci dessous est une des premières , composée dans le Var où j'étais en vacances pour mon fils aîné. Elle date de 1987, ne comporte aucun tissu à cet usage ( j'en ignorais l'existence) et mélange allégrement lainages, synthétiques et coton . Elle obéit déjà à une stratégie d'assemblage : un imprimé et un uni soigneusement assorti , c'est forcément une création puisque je ne disposais d'aucun livre ou revue , mais toute création n'est pas forcément un chef d’œuvre. J'ajoute qu'elle a été lavée des dizaines de fois , et sur la photo a été prise en 2010 , on voit qu'elle a tenu la route... elle n'est pas non plus matelassée parce que pour moi un patchwork n'est pas et ne sera jamais forcément un quilt . Je n'avais pas besoin qu'on me dise comment placer les couleurs, ni même les unités qui ne sont pas des blocs à proprement parler : j'avais une idée personnelle-bonne ou mauvaise- de la chose.
couvertures -1987
C'étaient déjà des surfaces"expressives" que je composais , et là sans influence au vu de mon ignorance en la matière. J'étais dans ce qu'on pourrait appeler ma période primitive . Il est à noter qu'une couverture comme celle appelée Simplicité qui date des années 86-87 pour la conception mais fut terminée en 1992 'était déjà du "contemporain" sans le savoir au vu que j'ignorais à ce moment les "blocs" américains. Je n'allais d'ailleurs pas tarder à entrer dans l'enfer du célèbre clivage traditionnel-contemporain ... mais c'est une autre histoire... (à suivre)
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Le bonheur en lisière -Prologue
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 31/01/2021
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NB Je reproduis ici en plusieurs billets le long article que j'ai écrit sur mon parcours textile . Il dit l'essentiel de ce que j'ai vécu . J'ai commencé en 1982, ce n'est donc déjà pas pour moi un "loisir de retraitée " qui s'ennuie. Il complète l'index que j'ai achevé il ya quelques mois .
I-Prologue
. J'ai souvent eu l'impression que mon parcours en art textile était une suite de malentendus, voire de contretemps, signe d'une inadaptation foncière aussi à ce qu'il aurait fallu être et faire !
D'avoir vécu en lisière de la vie de ce qu'on nomme le "monde du patchwork et de l'art textile" où je ne suis ni inconnue, ni vraiment reconnue. Et très peu souvent comprise L'impression d'exercer le même art , mais avec un point de vue totalement marginal . Ce n'est pas volontaire; je ne peux absolument pas me contraindre à le vivre autrement .
Et c'est aussi en même temps, l'exercice d'un grand bonheur, d'une plénitude, parce que d'une grande liberté où précisément ce que je suis, ma nature, mon essence si on me permet ce mot, peuvent se développer . Je dirai même que ces malentendus, cet écart, ces hiatus ont été pour moi une chance, que je mesure : ils m'ont permis d'aller aussi loin que possible, dans ce que moi, je voulais créer. N'y voyez pas orgueil, ou alors, pas seulement, mais appel, vocation . Je n'ai jamais dit une seule fois que ce que je faisais était mieux que les travaux des autres, d'abord parce que je trouve cela stupide, ensuite parce que je n'y crois pas. Je crois en revanche, à la singularité de ce que je crée comme étant une œuvre particulière, témoignant de moi, et en ce qu'elle est aussi incluse dans une époque, un contexte inhérent aux arts qu'elle exerce , et soumise à des influences. Mais une influence n'est pas un formatage .
Une chance pour créer, mais un ostracisme pour être publiée et exposée . Là il vaut mieux nager dans le sens du courant et taire ses divergences . Je laisse le lecteur juge de voir si c'est justifié.
Parcours croisé forcément, avec le monde du patchwork, parfois au sens très étroit du terme et que je suis de très près, attentive à ses évolutions. et à la différence de beaucoup d'artistes traditionnelles , je ne me suis pas fermée à ses mutations, mais s'y ouvrir n'a jamais signifié pour moi faire autre chose que ce qu'un désir, une envie une force puissante m'incitait à Faire. Ainsi ai-je suivi mon évolution et non celle qu'il "fallait" suivre. On ne m'a pas vu abandonner la géométrie régulière sous la poussée de boutoir du destructuré dit contemporain, ni les tissus sous le bulldozer du mixed media déguisé en art textile, ni penser que la 3 D c'est mieux qu'une surface, plus " original" . Juste que tout cela est différent et que je n'avais rien à suivre qui ne s'intègre à mon propre parcours . Perméable mais pas influençable au point de perdre mon identité dans les tendances pour être sur un podium
Je livre mon expérience dans l'espoir de croiser des personnes dont le parcours est réellement proche. J'en sais quelques-unes et si les autres pouvaient sortir de l'anonymat et m'écrire je serais comblée. Non pas pour m'approuver forcément en tout ce que j'écris : mon expérience comme tout parcours est unique et comme tel subjectif. Je ne cherche pas des compliments , mais une réflexion sur notre art qui dépasse les querelles de personnes et de chapelles et surtout ne s'appuie pas sur les poncifs d'une pensée généreusement dispensée dans clubs, ateliers et revues. Les faits rapportés de l'histoire du patchwork, sont eux, incontournables. C'est bien comme cela que ça s'est passé et j'en ai les preuves dans les innombrables livres et revues que je lis, relis et médite. Et dans les relations que j'ai entretenues, parfois pendant de longues années et maintenant encore.
Aux yeux des pratiquantes, je "fais" du patchwork traditionnel et à côté de l'art textile contemporain . Le regard des spécialistes en art, quand d'aventure il se pose sur moi ce qui est déjà un bien grand honneur, est sensiblement différent, car ils n'ont pas été formatés revues, clubs de patchwork et n'ont pas grand chose à faire avec les clivages nés dans notre petite sphère. Et je peux vous dire: la plupart s'en moquent bien du "traditionnel", du "contemporain" et de "l'art textile " , ils regardent comme dans un autre art : la composition, la texture, ce qui en émane (ou pas). Certains entrent et d'autres restent à la porte. Certains hommes notamment, dès qu'ils voient des fils et des tissus, s'écartent de la couture comme s'ils risquaient rien qu'en la regardant, a fortiori en admirant , de perdre leur virilité, et certaines femmes féministes autrement que je ne le suis, tiennent l'aiguille pour un signe de servage ...Nobody is perfect.
A ne pas lire donc comme un xième récit des malheurs de l'auteur en patchwork ...je suis pas malheureuse dans mon art, mille fois non .Je suis souvent en colère, en révolte, en position militante , car j'aimerais tellement changer le "regard sur", d'autant que je sais que c'est possible, pour y être parvenue quelquefois.
Je suis bien dans mon œuvre , où je n'ai surtout pas voulu faire carrière parce qu'à travers elle, j'ai visité tant de "mondes" imaginaires et ce n'est pas terminé, jusqu'à mon dernier jour je rêverai la vie en tissus, en fils, et en formes de couleurs à toucher ...
L'histoire du patchwork-assemblage de tissus variés- tel qu'il s'est répandu -essentiellement comme loisir dit créatif en France à partir des années 80 mais tentant de devenir un art en éliminant ce qui avait fait jusqu'alors son essence , est inconnue de celles qui l'abordent aujourd'hui et plus encore du public et ne disons rien du monde de l'art officiel dont il est d'office exclu.
Je voudrais souligner en quoi je ne me suis pas sentie adhérer à pas mal d'opinions tellement répandues qu'elles vaudraient " vérité" et de pratiques . Et plus j'ai approfondi ma connaissance des arts textiles et du patchwork, et celles des arts tout court aussi, plus je me sentais dissidente par rapport à une attitude générale et un discours officiel véhiculé par les "grandes , entendons par là les "dominantes" officielles du moment. Jusqu'à me demander si nous parlions du même art , parfois ! ce n'est pas un réglement de compte mais une tentative de démythification et aussi de démystification : je sais trop comment certaines réputations se sont faites et se font.
Pour parler musique : je préfère être la tonique que la dominante, en cette mélodie parfois grinçante.
Je voudrais retracer ici ce double parcours, le mien et celui de ce que je nomme la "corporation" .Je le voudrais aussi parce que le patchwork reste largement ignoré en France, et que les personnes qui l'exercent en loisir de divertissement en donnent une image faussée. Majoritaire, mais faussée aux yeux du grand public.
On me reprochera la longueur, je le sais, mais on ne peut aborder un sujet complexe en quatre phrases et deux photos . Il ne s'agit pas ici non plus de séduire ou complaire, mais de témoigner d'une expérience. J'ai espoir qu'il existe au monde un lecteur capable de lire tout sans se lasser.
(à suivre)
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Symbole-assemblage
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 03/12/2020
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NB article repiqué de la rubrique opinions et qui me semble plus accessible ici. c'est une partie importante de mon travail , ces réflexions pas seulement autour du textile au sens large, mais sur la partie que j'ai choisie comme un de mes arts essentiels . Et qui précisément n'a pas vraiment d'histoire en tant qu' art côté esthétique et expression personnelle quand il reste ce qu'il a vocation d' être dans son essence et ses particularités .Ma réflexion n'a pas audience car elle n'est pas dans la ligne des évolutions actuelles , qui tendent à rejoindre les grands arts en en imitant les caractéristiques avec des étoffes. Ce qui est très hautement prisé, sans doute à bon droit . Mais comme il est dommage, infiniment dommage qu'un autre point de vue soit mis sur la touche au motif que les décideurs en ce qui est de l'at textile contemporain s'en fichent éperdument.
C'est à donner... à qui n'en veut pas.
Je ne désespère pas. un jour peut-être et même si c'est long (je n'écris pas pour les zappeurs et ça peut s'imprimer !) quelqu'un comprendra ce que j'ai voulu non seulement faire et dire, mais donner à mon art. Non seulement des oeuvres mais une réflexion .
.A celles qui me disent : On n'est pas là pour se prendre la tête" je répondrai que pour moi réfléchir est un plaisir que je goûte et que je l'ai toujours senti comme nécessaire;Justement on a si souvent asimilé la femme qui coud ou brode à une idiote sans cervelle et inutile ... je n'ai pas envie non plus de cautioner cette image-là .
Le symbole étant étymologiquement l’action de « mettre ensemble » on peut presque dire que l’assemblage est un symbole pur du mot ! Même si en général on conçoit le symbole comme étant « duel », celui du couple signifiant/signifié et que là il s’agit de mettre ensemble plus de deux -mais on n’assemble jamais plus, par la couture, que deux morceaux à la fois : un dessus, un dessous. Et on recommence...cette répétition suit d’autres règles que celles du tissage mais quand on l’applique à des tissus le tissu vient lui-même chargé de ses propres symboles, de ce qu’il est comme matière.
Le symbole ramène étymologiquement au partage, à l’échange et même au contrat. Il est ce qui unit , il est lui-même accord de deux parties. La métaphore reste dans la stylistique, là où le symbole est langage quasi universel et échappe au carcan des mots et il est en général reconnu partout et ce, à travers les temps et les lieux, même s’il reste multiple et parfois contradictoire (je songe au symbolisme du linge blanc par exemple , qui recoupe d’ailleurs l’usage des rituels de vie au niveau des points de passage : naissance- mariage- mort , drap nuptial- linceul. Pour moi , d’ailleurs, elles ne se contredisent pas : elles s’ajoutent . D'où mon travail sur le blanc dans le Chant de couleurs.
Dans la décomposition singulière des gestes de la couture-assemblage, il y a bien cette dualité, ce rythme binaire (et fondateur ). Unité, dualité pluralité : du petit bout isolé, à sa jonction avec un autre, et puis à l’ensemble de ces jonctions multiples mais réalisées indépendamment et deux par deux ... Souvent d’ailleurs assortir se fait ainsi de proche en proche le morceau déjà cousu devenant lui-même une unité face aux morceaux libres qui vont , un par un s’y intégrer.
Le symbole impose l’image historique de la relation contractuelle , celle où les deux morceaux séparés devaient s’emboîter exactement, pour témoigner de l’authenticité de l’acte. Ce qu’on trouve encore aujourd’hui dans les « médailles d’amour », une fracture, une jonction exacte, mais qui reste séparable.
A la différence de la mosaïque ou de la marqueterie ou même du vitrail, la « tesselle de tissu » est un matériau qui arrive à nous chargé de ce que la matière est déjà, elle est déjà créée avec ses caractéristiques qui ne dépendent pas de moi du moins quand je ne la tisse, ne l'imprime ni ne la peins. J'aime ce travail à partir de ce qui m'est donné et même "imposé". Je l'aime aussi parce que derrière le tissu je vois et je sens le travail des hommes et des femmes qui ont permis qu'il arrive ainsi fait dans ma main. De même quand je travaille les mots leur étymologie et les variations de leurs significations me ramènent à la manière dont les hommes en ont usé avant moi. Et dans les deux cas, la manière dont est perçu le mot et la tesselle de tissu dépend du contexte.
Je suis attirée par cette pré-existence , je cherche autour et tout compte : la manière dont c’est tissé,, bien sûr, l’épaisseur, la couleur , les motifs et même la façon dont ils m’arrivent entiers ou tronqués (le motif interrompu ou celui qu’on découpe volontairement pour recomposer autre chose, celui qu’on complète ou prolonge, celui qu’on surligne (le matelassage dit en écho est sûrement autre chose qu’une décoration ). De la même manière , j'aime dans les manuscrits d'autrefois ou d'aujourd'hui, les bribes écrites, les ratures, les notes et les bouts de conversation saisis ça et là .
Je n’ai jamais pu m’empêcher de percevoir cela à la fois comme des codes et comme des symboles (le code n’ayant qu’un sens et le symbole souvent plusieurs plusieurs interprétations , c’est pourquoi d’ailleurs la poésie m’est langage si familier et que je la sens proche du tissage et des tissus, non pas par métaphore mais presque par identité de fonctionnement dans la pluralité des interprétations offertes ) .
J’ai beaucoup réfléchi sur la notion de surface également (quand on me demande ce que je fais j’ai toujours envie de dire que je crée des surfaces en tissus ; surface mais pas en deux dimensions : il y a en a toujours trois, puisqu’il y a épaisseur .).. Le trompe l’oeil ou l’effet optique m’intéresse, le bas-relief m’intéresse mais je ne me vois pas travaillant tout cela autrement et que sur et par le tissu. Pourquoi comme ça , je ne saurais pas le dire.
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Dans mon travail, le symbole principal reste dans le passage du multiple à l’unifié mais où chaque morceau garde sa valeur propre. Et même chaque fragment « coupé » aléatoirement. C’est un grand « jeu » dont je ne me lasse jamais parce qu’il semble infini et pour moi il l’est si je mets en regard les possibilités dont le chiffre dépasse ce qu’on peut réaliser dans le temps d’une vie ou même de plusieurs.
J’ai considéré de manière plus fermée et sans doute partielle tout ce qui recoupait les assemblages, parce que c’était ce que j’avais envie de faire. Je connais bien cette histoire-là, ces usages-là, même si j’apprends encore. Le patchwork, mais au delà tout ce qui connecte des morceaux d’étoffes divers et les moyens de le faire, l’aspect « technique » m’a, à la différence de beaucoup de quilteuses, beaucoup moins requise que l’aspect symbolique.
L’histoire autour et aussi toutes ces histoires de vie qu’on dit petites, qu’on voudrait réduire à l’anecdote mais qui sont notre vie. Celle de tout le monde et du monde entier.
Quand on étudie ou qu’on tente d’étudier l’histoire des assemblages d’étoffes on bute sur beaucoup d’écueils. Le premier est sans doute que je ne suis pas historienne de formation . Le second c’est qu’il y a confusion constante entre les histoires des assemblages et les histoires du matelassage, parce que les deux activités sont souvent liées et que les Américaines qui sont la référence en la matière les mêlent dans leurs livres sur l’histoire de ce qu’elles nomment quilts et non patchwork, y présentant pourtant des tapisseries d’assemblages africaines ou asiatiques qui elles ne sont pas matelassées et pour cause : elles n’étaient pas destinées à réchauffer.
Or moi ce qui m’intéresse c’est d’abord l’assemblage d’étoffes , matelassé ou non sous toutes ses formes, incluant aussi l'assemblage des formes régulières géométriques qui de mon point de vue ne sont essentiellement ni traditionnelles, ni "américaines".
Le mot « quilt » est donc de ce fait ambigu, le mot patchwork péjoratif et justement parce qu’il symbolise, lui, dans le vocabulaire courant et même par les stéréotypes qu’il véhicule au niveau des images mentales, tout aussi peu flatteurs. Et depuis les années 1990, il est mal perçu même dans nos milieux de dire qu’on en fait( cf l'article Qui a peur du mot patchwork.) Cette sorte d’exclusion m’a amenée aussi à réfléchir : pourquoi cet art qui peut donner des résultats aussi émouvants que magnifiques est-il tant méprisé, et ce par celles-là même qui l’ont un temps exercé comme une sorte d’erreur de débutante ?
Les rites et les coutumes dont il est le corollaire sont en France très mal connus ou caricaturés ou alors réduits à des poncifs. Pourtant on a fait dans notre pays et indépendamment des influences américaines ou anglaises de purs chefs d’oeuvre, dans des styles très différents dont le point de départ n’était pas forcément et uniquement la récupération , on y sent puissamment la liberté d’une expression forte qui parle justement parce qu’elle est de tissus , se touche, se plie etc..
De ces merveilles tout ou presque a été perdu sauf ce que sauvent quelques collectionneurs. Il existe au moins un livre sur le sujet que je possède et quelques articles ' voir sur mon blog l'article concernant les Mosaïques d'étoffes). Donc on en a conclu hâtivement que ce mode d’expression n’était pas dans notre culture et on a rebâti par dessus tout une pseudo-connaissance laissant croire que l’assemblage d’étoffes c’est une invention des Américaines pionnières. Les Américaines elles -mêmes et certaines historiennes des quilts l'avouent innnocemment , pensent qu'elles ont inventé cet art , alors qu'elles en ont développé plusieurs "styles". Parce qu'on n'a pas suffisamment conservé ni les sources, ni l'histoire de ces assemblages en France, l'histoire et les symboles qui s'y rattachaient s'en est perdu. A l'étranger l'art textile en France c'est boutis, broderie; tapisserie et Haute-Couture.
Il y a aussi un autre courant de création par assemblage qui a été occulté c’est celui des années 1970 , je possède deux livres de cette époque (voir le blog) et il y avait des artistes catalogués un peu hâtivement naïfs qui créaient des oeuvres intéressantes. Je les ai recherchés, un à un sans en trouver aucun sauf de ceux et celles qui ont changé radicalement d’activité..).
Il y aurait donc une histoire à refaire et du côté de l’art et du côté des artistes ...Je n'en ai plus le temps sans doute pas toutes les connaissances compétences requises -ce ne pourrait être qu'u travail collectif- (et jz n'y suis guère ni aidée, ni suivie vu que c'est à contre-courant de ce qui est admis actuellement) mais j'espère avoir posé quelques jalons.My tailor is rich - patchwork ... brodé main et non matelassé lamés et soies motif du " du dé à coudre"
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Qui a peur du mot patchwork -2009
- Par FISCHER JACQUELINE
- Le 28/04/2020
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NB article publié en 2009 sur site d'arts-up qui semble avoir disparu (il était en deshérence depuis plusieurs années, je reproduis donc ici les articles que ce site avait publiés et qui me semblent importants- ).
On va partir d’un constat simple : la difficulté qu’il y a pour un (e) artiste textile à dire en France et en ce début de XXI siècle : « Je fais du patchwork ».
Il est conseillé faisant cet aveu de baisser les yeux et d’adopter un profil bas .
Et d’ajouter aussitôt pour se dédouaner :
« Oui, mais je fais aussi de l’art textile », comme si le patchwork ne pouvait absolument pas en être.
J’imagine mal un peintre avoir peur d’admettre qu’il pratique surtout la gouache ou l’aquarelle ou un écrivain reconnaître avec réticence qu’il écrit surtout des romans.
Pour la raison évidente que roman et aquarelle ne sont pas perçus (ou plus perçus) comme des genres mineurs dans leur « art » de référence.
Mais le patchwork, oui.
Le grand public manifestera souvent son ignorance par un « tu fais du quoi ? » ou bien évoquera tout aussitôt ces couvertures en crochet qui florissaient dans les années 1970, ou bien encore des tissus moches avec un carré à pois, un autre à rayures et autre fleuri, prétendument « coordonnés ».
Les personnes qui ont voix au chapitre en matière d’art - sauf rares exceptions - oscilleront entre le mépris, la franche ironie ou la bienveillante commisération. Mais même dans ce dernier cas, on fera rarement l’effort d’aller voir de plus près ce que font ces créateurs - qui sont majoritairement des créatrices - de ces surfaces d’étoffes. A priori sans intérêt… On ne mélange pas les torchons avec les toiles de maître…Je me suis donc demandé ce qui produisait cet effet rédhibitoire et cette méconnaissance que je trouve injuste.
D’abord le mot patchwork n’est pas très harmonieux en lui-même et pour peu qu’on veuille évoquer sa qualité d’artiste en cette discipline on devra éviter le désastreux « patchworkeuse » pour le remplacer par « quilteuse », quoiqu’un quilt ne soit pas tout à fait un patchwork et que seuls les spécialistes connaissent le mot.
De plus dans la langue courante, il prend facilement des connotations péjoratives. Dès on évoque » un patchwork de... », c’est pour imaginer tout aussitôt un assemblage assez hétéroclite d’éléments qui dissonent.
Tout le contraire précisément de ce que cette activité a été dès ses origines : l’art d’harmoniser précisément ce qui n’avait pas été créé pour aller ensemble.
On dit aussi souvent qu’à la différence des pays anglo-saxons, et notamment des USA, la France n’a pas de culture du patchwork. On trouve pourtant dans certaines abbayes ou chez certains collectionneurs de magnifiques pièces exécutées à partir de morceaux, parfois superbement rebrodés. Car le patchwork a une histoire, y compris chez nous, et même si elle est beaucoup moins connue que celle d’autres arts mieux estimés, on s’y aperçoit de sa prodigieuse variété, voire complexité(1) et s’y initier amènerait à ne pas réduire ces surfaces d’étoffes à l’idée caricaturale qu’on s’en fait.
Quand on enseigne les arts plastiques, on n’a donc pas à se soucier de cette branche de l’art textile, perçue au mieux comme un artisanat d’art « appliqué » au pire comme de l’ouvrage de dame et on se tournera automatiquement vers les plasticiens en textile plus éloignés par leur pratique de quelque chose de « féminin », plus fait pour occuper les doigts que véritable création à valeur artistique.
Pas question de trouver mention de cet art dans une histoire de l’art. Sauf comme référent d’inspiration pour un mouvement comme le Pattern painting dans les années 70. Le patchwork ne deviendrait donc de l’art que lorsqu’il n’est plus exercé par des femmes qui en maîtrisent les finesses, mais que d’authentiques artistes reconnus comme tels s’en empareraient. Mécanique qui fonctionne aussi dans la corporation : plus facile de s’y faire reconnaître si on est déjà peintre plasticien et qu’on se penche sur les tissus, les valorisant avant même d’y toucher par sa pratique d’art noble, que si on y accède, plus humblement par le biais...de la couture. A moins que celle-ci ne soit Haute, bien entendu.C’est vrai qu’on a souvent créé des patchworks pour servir de couverture, mais on ne voit pas en quoi un objet utilitaire ne pourrait pas à notre époque et après le « ready made» trouver droit de cité dans une galerie ou un musée. C’est une surface exposable. Et même si on peut dormir dessous, ça n’empêche pas automatiquement d’y trouver ce qu’on analyse ailleurs : une composition, des couleurs, et même des jeux de motifs recomposés, du relief et des textures. Il suffirait de l’exposer à la verticale sur un mur dans un lieu consacré à l’art, le vrai, le grand pour –peut-être- s’en apercevoir.
« -Ah mais, me dira-t-on, à la rigueur au musée des arts décoratifs ». On sait assez bien combien le terme « décoratif » est senti comme une infériorité dans la hiérarchie imposée au regard. Comme si ce qualificatif ôtait tout droit à une signifiance, c'est-à-dire une capacité de l’œuvre à être lue et interprétée de différentes manières. Il suffirait de s’y essayer pour voir si c’est possible, plutôt que de coller des étiquettes qui dispensent de tout vrai regard.Cela dit, il faudrait que ce regard soit sûr que ce qu’il voit est bien une création et pas un décalque d’un modèle déjà existant, voire une copie pure et simple. Et là j’admets aisément que ce n’est pas facile.
Bien sûr il existe depuis les années 1980 et grâce notamment aux clubs indépendants de patchwork et à l’association France Patchwork de nombreuses expositions, attirant un public de plus en plus nombreux.
Mais ce public ne sait pas toujours faire la différence entre une œuvre copiée d’après un modèle existant et une création Le stade intermédiaire étant l’interprétation plus ou moins personnelle d’un modèle existant.Il serait extrêmement important que l’honnêteté règne et qu’on reconnaisse, dès qu’on expose, montre ou publie y compris sur internet, ses sources d’inspiration quand on en a et qu’elles sont aisément discernables. Ce le serait d’autant plus que les modèles abondent, et que les copies de ces modèles pullulent sans que mention de l’œuvre d’origine soit toujours faite. Il serait aussi important qu’on ne confonde plus celles qui composent à partir de ce vivier qu’est la tradition, au prétexte qu’elles n’inventent pas tout ( !) et celles qui copient les créations des premières.
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(1) On lira avec profit à ce sujet » le patchwork ou la désobéissance » de Claude Fauque et Marie-Noëlle Bayard Syros -alternatives 1993Or, si on se tait sur ses sources pour laisser croire qu’on a composé soi-même ce qui doit tant aux idées et à la conception de quelqu’un d’autre, c’est ce qui se produit. C’est de plus un facteur de dévalorisation de la créativité de celles qu’on imite, puisqu’on ne va établir aucune différence entre la composition authentique et sa « démarque ».
lI y faudrait aussi une ouverture d’esprit dans les jugements et sélection des critères de « bien cousu » « mal cousu » qui n’ont aucune signification dans une optique dite artistique. C’est à l’artiste de choisir s’il va se plier à une recherche de la perfection ou s’il va s’en éloigner pour exprimer autre chose. En cet art comme en beaucoup d’autres distinguer la prééminence de la forme sur le fond conduit jusqu’à la négation du second au profit exclusif de la première. C’est en quelque sorte le vider de son sens avant même qu’on ait pu se demander s’il en a un.
Trop de rigueur en ce domaine incite à une conception sclérosante et étroite de la création. Cela maintient notre art en esclavage, celui d’une norme de « couture » qui se justifie davantage pour un vêtement que pour une création libre. C’est le ramener précisément à sa valeur « décorative-utilitaire » sans échappatoire possible.
On observe aussi une fuite vers tout ce qui éloigne de l’art du patchwork dans sa particularité originelle. On a d’abord inventé le « contemporain », puis le quilt dit d’art –comme si tout ce qui se fait en appui sur la tradition, mais en la métamorphosant et la maintenant vivante, ne pouvait être ni contemporain, ni artistique- puis l’art textile catégorie un peu fourre-tout, où on a droit de cité, pourvu qu’on utilise un peu le tissu et le fil.
Et par voie de conséquence, l’évolution étudiée sur ces vingt dernières années montre qu’on a tendance à abandonner :-la structure géométrique répétitive et régulière qui assimile cet art à la mosaïque et la marqueterie. Il est même écrit à peu près partout qu’on devient artiste dès qu’on abandonne ces structures, en user serait un stade bon pour les débutantes, corollaire automatique d’un manque d’imagination. L’équation « géométrie régulière et/ou répétitive égale tradition, égale copie ou « resucée (sic) sans imagination » est inscrite un peu partout dans l’esprit des pratiquantes elles-mêmes.
On ne concède le droit de revenir à la géométrie que pour copier l’ancien, ou se reposer avec sa prétendue « facilité ».
A mon avis, outre que c’est d’un simplisme navrant, c’est encore mal connaître le pouvoir d’expression que recèlent les géométries plus ou moins régulières – un premier infini- croisé avec la variété des étoffes – un deuxième infini. Comment ces deux infinis conjugués pourraient-ils être épuisés ? Ce qui s’épuise, en revanche, c’est l’envie de les utiliser, parce qu’on sait qu’on va passer beaucoup d’heures sur quelque chose qui sera dévalué avant même d’être regardé. Ou jaugé à la seule régularité des points de couture. Ou encore confondu avec la copie d’un modèle.- l’usage de tissus faits dits « commerciaux » auquel s’oppose le tissu peint ou teint par l’artiste (et même la fuite du tissu tout court, utiliser le plastique, par exemple, matériau plus récent étant évidemment gage d’une innovation …en textile ?)
Au train où cet art évolue, certains artistes textiles sont déjà beaucoup plus des peintres et des plasticiens de techniques mixtes que des artistes du tissu. Ouverture intéressante, enrichissante, qui n’est pas en soi condamnable, bien entendu, mais là où le bât blesse c’est quand elle est présentée comme une supériorité. On est « plus artiste » en créant de l’art textile qu’un « banal » patchwork.
On peut se demander si on ne témoigne pas aussi de la crainte qu’on a d’utiliser du tissu assemblé pour s’exprimer et surtout de s’en servir d’une manière qui ferait « couverture décorative ».
Un art du tissu –et non pas forcément un art textile- reste sans cesse à refonder. Et à défendre. Le meilleur moyen, à mon sens est de l’illustrer par des œuvres ou des ouvrages personnels, encore faut-il qu’on leur permette d’être regardés en dehors des milieux fermés qui leur sont consacrés.
Il existe bien des musées pour le patchwork, des revues de patchwork, de temps à autre un article sur le patchwork dans une revue d’art, mais ce sont un peu des « ghettos » culturels. Une place réduite et assignée. Jusque là, mais surtout pas plus. Restez où vous êtes. Presque un préjugé nobiliaire.
Il existe bien des galeries d’art s’ouvrant à l’art textile, et c’est une excellente évolution ; mais on a l’impression que si on y entrait avec un quilt géométrique sous le bras -fût-il une création authentique-, on se sentirait là comme en fraude, en crime de lèse-art « véritable ».
Rares sont également les galeries virtuelles qui acceptent des patchworks comme des œuvres d’art.
Il faudrait donc une modification et de la pratique de certain(e)s
et de leur propre regard sur ce qu’elles/ils n’osent pas considérer comme autre chose que du « bricolage à vocation pratique » et du regard de beaucoup d’autres, critiques, galeristes ,enseignants, un effort vers une connaissance c'est-à-dire une absence de préjugés et d’a priori, qui est la base de toute reconnaissance, pour qu’on n’ait plus peur de se dire « artiste -en patchwork » comme on se dit « artiste-peintre ». Et ce, quel que soit le genre de surface qu’on choisit, dans cet art, de créer.